Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Lollards, Hussites et les Frères de l'Unité - (suite)

 
3. Jean Ziska et les guerres hussites

Les premiers, sous la conduite de Jean Ziska, entreprirent une guerre énergique et avec succès. La petite ville de Tabor, sur une haute colline, au coeur de la Bohême, devint un centre militaire et spirituel. Sur la place du marché, on peut encore voir les restes des tables de pierre autour desquelles des dix milliers de personnes se réunissaient pour célébrer la Ste-Cène sous les deux espèces, tandis que l'Église de Rome avait réservé l'usage du vin aux prêtres seuls et le refusait aux laïques. La coupe devint le symbole des Caborites. Au pied de la colline de Tabor, on peut voir un étang, nommé encore Jourdain, dans lequel des croyants en grand nombre furent baptisés sur la profession de leur foi. Ziska fut à la tête, non seulement des nobles, mais de la nation entière. Les paysans libres furent saisis par un esprit général d'enthousiasme irrésistible. Leurs instruments aratoires devinrent des armes redoutables et Ziska leur enseigna à employer leurs chars de ferme comme retranchements mobiles aussi bien que comme moyens de transports. Le pape lança des croisades contre eux, mais les armées envoyées furent mises en déroute et les Hussites envahirent et dévastèrent les pays environnants. De grands excès furent commis des deux côtés. L'Église fut obligée de pactiser avec les Hussites et, au Concile de Bâle (1433), elle leur reconnut le droit de prêcher librement la Parole de Dieu, de prendre la Ste-Cène sous les deux espèces, d'abolir la possession des biens temporels par le clergé et plusieurs lois oppressives. Cependant les guerres continuèrent, épuisant et démoralisant le pays. Des lois asservissant les paysans vinrent affaiblir la puissance de la nation et, en 1434, à la bataille de Lipan, les Taborites furent battus. On conclut un accord - le Pacte de Bâle - qui divisa les Bohémiens. Les Utraquistes étant les plus favorables à l'Église romaine, furent reconnus par le pape comme constituant l'Église nationale de Bohême et le privilège d'employer la coupe de communion leur fut accordé. Leur chef, Rokycana, fut élu archevêque et tout passa de nouveau aux mains de Rome.


4. Le filet de la foi

Pendant que ces événements se déroulaient et que les Hussites étaient à l'apogée de leurs succès, il y avait d'autres croyants qui, en matière de foi et de témoignage, n'avaient pas eu recours à la force matérielle, mais agissaient comme le leur avaient enseigné autrefois les prédicateurs vaudois. Ils continuaient à chercher et à trouver dans l'Écriture des directions spirituelles pour l'ordre des églises et le témoignage évangélique. En imitateurs de Christ, ils acceptaient les souffrances injustes et s'en remettaient à Dieu.

L'un des plus éminents fut Jakoubek (53), collègue de Huss à l'université de Prague. Déjà en 1410, il avait, dans l'un de ses cours, établi le contraste entre l'Église fausse et antichrétienne de Rome et la vraie Église, ou communion des saints, exhortant tous les chrétiens à revenir à l'Église primitive. Nommons encore Nikolaus, Allemand expulsé de Dresde comme hérétique, très versé dans l'Écriture et dans l'histoire de l'Église. Il influença les Taborites en leur exposant l'enseignement des apôtres et l'ordre des églises primitives, en contraste avec les erreurs qui s'étaient graduellement glissées parmi eux.

La question du droit des chrétiens d'employer l'épée fut grandement discutée à Prague. Les Taborites estimaient qu'il était juste aussi d'attaquer et de dépouiller l'ennemi, sous la pression des circonstances. Sur ce point, Jakoubek fut bientôt en pleine opposition avec les Taborites. Parmi ceux qui objectaient à l'usage des armes, même en cas de défense, Peter Cheltschizki fut l'un des plus influents et des plus capables. Bien qu'ayant plusieurs points de contact avec les Taborites, il ne se lassa pas de s'opposer à Ziska et à ses appels aux armes.

Les écrits des frères étaient fréquemment brûlés avec leurs auteurs. Cependant quelques-uns échappèrent à la flamme, entre autres un livre de Peter Cheltschizki, intitulé «Le filet de la foi» (54), écrit en 1414. Cet ouvrage, qui contient en grande partie l'enseignement des frères, exerça une grande influence. L'auteur écrit: «Dans ce livre, nous, les derniers venus, ne cherchons qu'à voir les premières choses et à y revenir, selon que Dieu nous en rendra capables. Nous sommes comme des gens examinant une maison qui a brûlé et cherchant à en retrouver les fondations. La chose est d'autant plus malaisée que les ruines sont recouvertes de plantes de tous genres et beaucoup de gens les confondent avec les fondations. Ils disent: «Voici les fondations» ou bien: «C'est ainsi que tout doit aller». D'autres le répètent après eux. Dans ces nouveautés qui ont pris racine, ils s'imaginent avoir découvert les bases de l'édifice, alors qu'il s'agit de quelque chose de tout autre, voire de contraire aux vraies fondations. Ceci complique beaucoup les recherches, car si tous disaient: «Le vieux fondement est enfoui sous ces ruines», ils se mettraient à bêcher et à fouiller pour le retrouver. Ainsi ils feraient oeuvre véritable en rétablissant toutes choses sur son fondement, comme le firent Néhémie et Zorobabel, après la destruction du temple. Il est beaucoup plus difficile maintenant de relever les ruines spirituelles, après un temps si long, et de revenir à l'état primitif, pour lequel il n'existe d'autre fondement que Jésus-Christ, et dont beaucoup se sont éloignés, en se tournant vers d'autres dieux.»

Il écrit encore: «Je ne dis pas que, partout où prêchaient les apôtres, tous croyaient, mais seulement ceux que Dieu avait choisis, ici beaucoup, là moins. Aux temps apostoliques, les églises de croyants étaient nommées d'après les villes, villages ou districts, où elles rassemblaient les frères d'une même foi. Ces églises avaient été séparées par les apôtres des non-croyants. je ne veux pas dire par là que les frères habitaient tous ensemble quelque rue spéciale de la ville, mais qu'ils étaient unis par une foi semblable et se réunissaient pour être en communion spirituelle les uns avec les autres au moyen de la Parole de Dieu. C'est à cause de cette association spirituelle dans la foi qu'on les nommait églises de croyants.» Cheltschizki relate encore «qu'à Bâle, en 1433, le représentant du pape dit qu'il y avait eu bien des choses à admirer dans l'Église primitive, mais qu'elle avait été simple et pauvre et que, de même que le temple avait succédé au tabernacle, ainsi la beauté et la gloire de l'Église présente avaient succédé à sa simplicité première. En outre, bien des choses ignorées de l'Église primitive sont maintenant révélées.» Cheltschizki se contente d'ajouter: «Le chant serait bien beau s'il n'était un mensonge.»

Il enseigna que le «grand-prêtre» (soit le pape) déshonorait le Sauveur en s'arrogeant la puissance divine de pardonner les péchés, qui n'appartient qu'à Dieu seul. «Dieu a témoigné que Lui seul remet les péchés et pardonne aux hommes leurs iniquités, à cause de Christ qui mourut pour les péchés de l'humanité. Le témoignage de la foi c'est qu'Il est l'Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde et par~ donne aux pécheurs. Il est le Seul et Unique qui ait le droit de pardonner les péchés, parce qu'Il est en même temps Dieu et Homme. C'est comme Homme qu'Il est mort pour le péché. Sur la croix Il s'est offert à Dieu en sacrifice pour le péché. C'est donc par Lui et par ses souffrances que Dieu a pu pardonner les péchés du monde. Lui seul a donc la puissance de pardonner. Le grand-prêtre, s'entourant de pompe et de luxe, et s'élevant au-dessus de tout ce qu'on appelle Dieu, a donc fait main basse, comme un voleur, sur les droits de Christ. Il a institué le pèlerinage à Rome, comme moyen de purifier le péché. Des foules exaltées accourent de tout pays, et lui, le père de tout mal, distribue, de quelque lieu élevé, sa bénédiction à la foule, pour lui accorder le pardon de tout péché et la délivrance du jugement à venir. Il sauve de l'enfer et du purgatoire et il n'y a aucune raison pour que personne soit condamné. Il envoie aussi, en tous lieux, des billets que l'on achète pour être délivré du péché et de la souffrance. Les gens ne prennent même plus la peine d'aller vers lui. Ils envoient l'argent et tout est pardonné. Ce qui appartient au Seigneur, ce fonctionnaire de l'Église s'en est emparé. Il reçoit les louanges qui sont dues au Seigneur et s'enrichit par la vente des indulgences. Que reste-t-il de l'oeuvre de Christ pour nous, si son représentant nous délivre du péché, du jugement et peut nous rendre justes et saints? Ce sont nos péchés qui nous barrent la voie du salut. Si le grand-prêtre les efface tous, que fera le pauvre Seigneur Jésus? Pourquoi le monde Le néglige-t-il ainsi, ne cherche-t-il. pas le salut auprès de Lui? Tout simplement parce que le grand-prêtre jette sur Lui l'ombre de sa majesté et l'obscurcit dans ce monde, tandis que lui, le prêtre, magnifie son nom. C'est ainsi que le Seigneur Jésus, déjà crucifié, devient la risée du monde, et que chacun ne parle que du grand-prêtre et du salut qu'il dispense.»


5. L'Église de «l'Unité des Frères»

Prêchant dans la fameuse église «Tyn» à Prague, l'archevêque utraquiste Rokyeana (55) recommanda éloquemment les enseignements de Cheltschizki et dénonça les erreurs de l'Église de Rome. Toutefois, il ne pratiquait pas ce qu'il prêchait. Beaucoup de ses auditeurs résolurent de vivre selon les principes enseignés et, prenant pour conducteur un homme de bonne réputation, Grégoire, connu comme le patriarche, ils délaissèrent Rokycana et fondèrent (1457) une communauté au nord-est de la Bohême, dans le village de Kunwald, où se trouvait le château de Lititz. Beaucoup d'autres se joignirent à eux, parmi lesquels des disciples de Cheltschizki et des Vaudois, ainsi que des étudiants de Prague. Tout en restant en relations avec l'église utraquiste, ils revinrent, sur plusieurs points, à l'enseignement de l'Écriture et à l'ordre des églises primitives. Ils avaient un prêtre utraquiste comme pasteur, mais nommaient des anciens. Selon l'ancienne coutume vaudoise, ils avaient aussi dans leurs rangs des «Parfaits» qui abandonnaient tous leurs biens. Mais on ne les laissa pas longtemps en paix. Au bout de quelques années, la colonie de Kunwald fut dissoute. L'église utraquiste persécuta ces frères aussi amèrement que l'avait fait l'Église de Rome. Grégoire fut emprisonné et torturé. Un certain Jakob Hulava fut brûlé, et les frères se réfugièrent dans les montagnes et les forêts. Cependant, leur nombre augmentait et, peu à peu, la persécution cessa.

En 1463, dans les montagnes de Reichenau (56), et, en 1467, à Lhota, se tinrent des assemblées générales de frères, auxquelles participèrent beaucoup de personnalités de haut rang et où l'on examina à nouveau les principes de l'Église. L'un des premiers actes accomplis fut le baptême des croyants; car le baptême par immersion était habituel chez les Vaudois et chez la plupart des frères d'autres pays, mais il avait souvent été empêché par l'intensité des persécutions. Ils déclarèrent aussi formellement leur séparation de l'Église romaine et se donnèrent le nom de Jednota Bratrskâ (Église de la Fraternité) ou Église de l'Unité des frères. Leur intention n'était pas de former un nouveau parti, ou de se séparer des nombreuses églises de frères en divers pays. Ils espéraient plutôt que leur exemple en encouragerait d'autres à faire connaître nettement leur séparation du système de l'Église romaine. Avant de clore ces assemblées, en choisit neuf des participants sur les soixante présents; puis trois d'entre ces neuf furent désignés par le sort et enfin l'un d'eux, Matthias de Kunwald, fut désigné et envoyé vers l'évêque vaudois Etienne, en Autriche, pour être consacré, afin de prouver que la relation était maintenue avec les frères vaudois. Ils ne considéraient pas cette consécration comme indispensable, mais comme désirable. Ils pensaient qu'au temps de Sylvestre, l'Église romaine avait perdu la succession apostolique - ou ce qu'il en restait - et que c'était plutôt chez les Cathares, les Pauliciens, ou les Vaudois qu'il fallait la chercher.

Ils communiquèrent leur décision à l'archevêque Rokycana. Ce dernier les ayant blâmés du haut de la chaire, ils lui écrivirent qu'ils ne désiraient pas créer quelque chose de nouveau, mais retourner à la vraie Église des premiers chrétiens que les Vaudois avaient toujours maintenue. Il leur fut répondu que, par leur séparation, ils condamnaient tous ceux qui n'étaient pas de leur nombre et niaient qu'ils pussent être sauvés. Ils répliquèrent alors que jamais ils n'avaient rattaché le vrai christianisme à certaines formes ou opinions seulement; qu'ils reconnaissaient la présence de vrais chrétiens parmi ceux qui n'appartenaient pas à leurs assemblées et considéraient que l'Église de Rome péchait en déniant le salut à ceux qui refusaient soumission au pape. L'un des frères, neveu de l'archevêque, lui écrivit: «Nul ne peut dire que nous condamnons et excluons tous ceux qui obéissent à l'Église romaine... Telle n'est pas notre pensée... Nous n'excluons pas davantage les élus de l'Église catholique romaine que ceux des Églises indienne et grecque ... »

Ces frères insistaient sur la sainteté de la vie telle que Christ et ses apôtres l'avaient enseignée, appuyée sur la discipline ecclésiastique scripturaire, mais combinée avec une pleine liberté de conscience. La vie simple était recommandée. Aucun frère ne devait souffrir de la pauvreté, les riches étant prêts à les secourir.

L'accroissement de ces églises amena des changements. Des gens riches et instruits se joignirent à elles et la direction passa à des hommes d'éducation supérieure. Lukas de Prague fut pendant quarante ans, jusqu'à sa mort (1528), le plus éminent et le plus actif de ces conducteurs. Il écrivit beaucoup et avec talent. En fait, à cette époque, les oeuvres des frères dépassèrent de beaucoup celles du parti catholique romain, tant par l'abondance de leurs ouvrages que par l'usage de l'imprimerie. Ils écrivirent nombre de cantiques et en composèrent la musique. Ils cessèrent de croire qu'il était mal d'occuper des positions importantes comme fonctionnaires de l'État, ou de faire, par le commerce, d'honnêtes bénéfices, en plus des gains strictement nécessaires à l'entretien de la vie. Ils consentirent aussi à prêter serment. L'instruction se répandit et les écoles des frères furent généralement recherchées. La doctrine de la justification par la foi fut plus clairement enseignée que précédemment. Lukas développa aussi l'organisation du gouvernement de l'Église et introduisit un certain rituel dans le culte, resté simple jusqu'alors. Tous ne le suivirent pas. Quelques-uns demeurèrent attachés aux formes anciennes.

Au bout de quelque temps, le pape Alexandre VI persuada le roi de Bohême que la puissance croissante des frères mettait son trône en danger, et, en 1507, l'Édit de St.-Jacques ordonna, sous peine d'exil, l'obéissance à l'Église catholique romaine, ou à l'Église utraquiste. Les frères furent de nouveau persécutés, leurs réunions interdites, leurs livres brûlés. Eux-mêmes furent emprisonnés, bannis ou cruellement mis à mort. Cette épreuve dura dix ans, pendant lesquels Lukas se dépensa sans compter pour réconforter et encourager les croyants, jusqu'à ce qu'il fût lui-même saisi et emprisonné. Grâce à la bonne réputation des frères, la persécution finit par s'éteindre. Quelques-uns de leurs plus cruels ennemis moururent subitement et de manière étrange, ce qui épouvanta les autres et les empêcha de continuer leur oeuvre de mort. Le roi de Bohême mourut aussi, et des querelles entre catholiques romains et utraquistes détournèrent l'attention des persécuteurs. Les frères retrouvèrent alors la tranquillité.


6. Les Frères de Bohême et Luther; les guerres de religion

Dans le même temps, il vint d'Allemagne la nouvelle de l'énergique protestation de Luther à Wittenberg. Dès que possible, les frères envoyèrent là-bas des représentants et se mirent en contact avec les réformateurs. Lukas, sorti de prison, exprima quelques doutes au sujet des méthodes, à son avis un peu violentes, de Luther et des étudiants de Wittenberg. Tout cela était si différent de la vie bien réglée qu'il avait introduite dans les communautés de frères, où chaque acte découlait d'un principe défini. Cependant les frères, en général, saluèrent avec enthousiasme des alliés si inattendus. De son côté, Luther avait des doutes sur les frères. Cependant, en 1520, il écrivit à Spalatin: «Jusqu'à présent, j'ai proclamé, bien qu'inconsciemment, tout ce que Huss a prêché et défendu. Johann Staupitz a fait de même. En somme, nous sommes tous des Hussites sans le savoir. Paul et Augustin en étaient aussi, dans le sens complet du terme! Voilà notre horrible misère: nous n'avons pas su reconnaître comme notre chef le docteur bohémien ... »

Un autre grand chef des Frères de l'Unité était Jean Augusta qui, à trente-deux ans, fut nommé évêque. Guide des plus capables, il favorisa une entière coopération avec les protestants d'Allemagne. En 1526, l'ancienne maison royale de Bohême s'éteignit et le royaume échut à la famille catholique des Habsbourg. Ferdinand 1er l'ajouta à ses nombreux états. En Bohême, beaucoup de nobles avaient été favorables aux Frères et s'étaient même joints à eux. Ils avaient rendu de grands services à la cause chrétienne en accueillant dans leurs domaines des croyants persécutés. Jean Augusta s'adressa à l'un d'eux, Conrad Krajek (qui avait fondé l'un des principaux centres des frères à Jungbunzlau), pour le prier de négocier avec le nouveau roi si mal disposé. Ces démarches furent heureuses, et les croyants jouirent d'un temps de prospérité.

En 1546, une guerre éclata entre la Ligue de Smalkalde, ou Ligue des princes protestants d'Allemagne, sous la conduite de l'Électeur de Saxe, et l'empereur Charles-Quint frère du roi de Bohême: les étais protestants contre les catholiques romains. Ferdinand somma les nobles et le peuple de Bohême, qui étaient ses sujets, de lui aider. L'Électeur de Saxe invita les frères à le secourir dans cette lutte pour la foi protestante. Parmi les nobles bohémiens, quelques-uns des plus influents faisaient partie des frères, qui étaient très nombreux et estimés dans le pays. Une réunion fut tenue chez l'un des nobles, et il fut décidé de combattre pour la cause protestante. A la bataille de Mühlberg, en 1547, les protestants furent battus. Ferdinand rentra à Prague victorieux et commença à persécuter les frères, en vue de leur anéantissement. Quatre gentilshommes furent exécutés publiquement à Prague. D'autres se virent confisquer leurs biens. Les réunions furent interdites, et ordre fut donné à quiconque refusait de se joindre aux Églises romaine ou utraquiste de quitter le pays dans le délai de six semaines.

Alors commença une vaste émigration. De tous côtés, les exilés, formant de vraies caravanes de chars, se dirigèrent vers la Pologne. En cours de route, ils rencontraient des populations sympathiques, et purent ainsi passer sans frais la douane et reçurent partout l'hospitalité. On leur refusa cependant la permission de s'établir en Pologne, ou en Prusse polonaise, et ce ne fut qu'après six mois de pérégrinations qu'ils trouvèrent asile à Köenigsberg, ville luthérienne de la Prusse orientale. L'un d'entre eux, Georges Israël, jeune forgeron, remarquable par sa foi comme par sa vigueur physique, surmonta tous les obstacles et obtint pour les frères la ville d'Ostrorog, en Pologne. Ils s'y établirent et en firent un centre d'où leur oeuvre rayonna dans tout le pays. Ils ne se contentaient pas de prêcher l'Evangile, mais s'efforçaient de rapprocher les unes des autres les diverses sections du protestantisme.

En 1556, Ferdinand devint empereur et le trône de Bohême passa à son fils, Maximilien. Sous son règne, les frères furent autorisés à retourner dans leur patrie, à rebâtir leurs lieux de culte et à reprendre leurs réunions. Bon nombre d'entre eux ne s'étaient pas exilés. Leurs églises furent bientôt réorganisées en Bohême et en Moravie, s'ajoutant à celles de Pologne. Jean Augusta, qui avait été longuement emprisonné. et souvent torturé, décida de se joindre à l'Église utraquiste, dans la pensée qu'il pourrait ainsi amener cette église à s'unir aux frères. De fait, beaucoup d'utraquistes étaient devenus protestants, en sorte que la Bohême et la Moravie étaient en majorité protestantes. Les principaux conducteurs des frères étaient alors deux gentilshommes, Wenzel de Budowa et Charles de Zerotin. Ils possédaient de vastes domaines, vivaient sur un pied presque royal, et étaient des hommes pieux qui, dans leur vie familiale, donnaient une place d'honneur à la lecture de la Bible et à la prière. Le pays prospéra et l'éducation se généralisa. Un noble polonais, arrivant, en 1571, à l'une des colonies des frères, écrivait: «0 Dieu éternel, quelle joie s'alluma dans mon coeur! Lorsque je me fus renseigné sur toutes choses, il me sembla être transporté dans les Églises d'Éphèse, de Thessalonique, ou de quelque autre centre apostolique. Là je vis de mes propres yeux et entendis de mes propres oreilles les choses que nous lisons dans les Épîtres ... » De 1579 à 1593, un grand travail fui achevé, soit la traduction de la Bible des langues originales en tchèque. Cette «Bible de Kralitz» a servi de base à la traduction employée aujourd'hui. Elle devint la pierre angulaire de la littérature tchèque.

L'ambition des nobles était que l'Église de l'Unité des frères ne fût plus simplement tolérée et exposée en tous temps à de nouvelles persécutions. Ils aspiraient à la voir devenir l'Église nationale de Bohême. Lorsqu'en 1603, l'empereur Rodolphe II demanda à la Diète bohémienne de l'argent pour une campagne qu'il projetait contre les Turcs, Wenzel de Budowa réclama la révocation de l'Édit de St-Jacques et une complète liberté religieuse pour le peuple. Le crédit demandé ne devait être voté qu'à ces conditions. La noblesse protestante des divers partis appuya cette demande et le peuple se rangea avec enthousiasme à ses côtés. L'empereur, ballotté entre protestants et jésuites, promit et se rétracta à réitérées fois, et rien ne fut obtenu. Alors Wenzel convoqua tous les nobles. Ils se procurèrent des hommes et des ressources, puis jurèrent de recourir à la force, si leurs conditions n'étaient pas acceptées. L'empereur céda, signa la Charte bohémienne, qui donnait pleine liberté religieuse, à la grande joie du peuple. On forma un comité de vingt-quatre «Défenseurs» qui devait veiller à la mise à exécution des termes de la Charte. Tous les partis protestants et les frères de l'Unité signèrent la Confession générale et nationale protestante de Bohême. Mais, en 1616, Ferdinand Il monta sur le trône. Entièrement sous l'influence des jésuites, et bien qu'il eût juré à son couronnement d'observer la Charte, il commença immédiatement à la violer. Ses deux ministres principaux, Martinitz et Slawata, prirent des mesures de contrainte contre la liberté des protestants et l'attitude des deux partis antagonistes devint de plus en plus menaçante. La crise inévitable fut provoquée par une querelle au sujet d'une église protestante que le roi avait fait détruire. Là-dessus les Défenseurs pénétrèrent de force dans le château royal de Prague, où était assemblé le Conseil du toi. A la suite d'une violente altercation, Martinitz et Slawata furent jetés, par la fenêtre, d'une hauteur de quelque vingt mètres. Fort heureusement, leur chute fut amortie par un tas de fumier et ils n'eurent pas grand mal. Les Défenseurs mirent une armée sur pied, déposèrent Ferdinand et nommèrent roi l'Électeur palatin Frédéric, gendre de Jacques 1er d'Angleterre. Les jésuites furent expulsés et la messe fut ridiculisée.

Le point culminant de la lutte fut la bataille livrée sur la Montagne-Blanche, en dehors de Prague, en 1620. Les Défenseurs essuyèrent une grande défaite. Le 21 juin 1621, sur la grande place de Prague, fermée d'un côté par l'église de Tyn et de l'autre par le palais de la Diète, vingt-sept gentilshommes protestants furent publiquement décapités, entre autres Wenzel de Budowa. Ils refusèrent l'offre qui leur fut faite d'adopter la foi catholique pour sauver leur vie. Le meurtre et la violence régnèrent alors dans le pays. Trente-six mille familles quittèrent la Bohême et la Moravie et la population de la Bohême tomba de trois à un million d'habitants. Ainsi disparurent ensemble la religion hussite et l'indépendance de la Bohême.

La guerre de Trente ans avait commencé à semer la ruine sur de vastes contrées de l'Europe.


53) «Jahrbücher für Kultur und Geschichte der Slaven», N. F. Bund V, Heit 1, 1929. E. Perfecky.

54) «Das Netz des Glaubens» par Peter Cheltschizki, traduit du vieux tchèque par Dr Karl Vogel. (Emhorn Verlag in Dachau bei München).

55) History of the Moravian Church», J. E. Hutton.

56) Die Reformation und die älteren Reformparteien», Dr Ludwig Keller.

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