Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Le Christianisme dans la Chrétienté - (suite)


 5. Un réformateur, Priscillien

Au quatrième siècle apparaît un réformateur dont l'oeuvre affecta de vastes cercles en Espagne. Elle s'étendit à la Lusitanie(Portugal) et à l' Aquitaine, en France, puis finalement à Rome même.

Priscillie n'était un Espagnol riche et influent, un homme remarquable par son érudition et son éloquence. Comme beaucoup, appartenant à sa classe sociale, il avait abandonné la religion païenne. Cependant il n'était pas attiré vers le christianisme et préférait la littérature classique aux Écritures. Il nourrissait donc son âme des philosophies dominantes, le néo-platonisme et le manichéisme. Il se convertit un jour à Christ, fut baptisé et commença une vie nouvelle de consécration à Dieu et de séparation du monde. Il devint un étudiant enthousiaste et un ami des Écritures, vécut en ascète, espérant arriver à une communion plus étroite avec Christ en faisant de son corps un temple plus digne du St-Esprit. Bien que laïque, il prêcha et enseigna avec zèle. Il organisa des conventicules et des réunions, dans le but de faire de la religion une réalité qui transforme le caractère. Un nombre considérable de personnes, surtout dans la classe intellectuelle, se joignirent au mouvement. Priscillien fut élu évêque d' Avila. Mais il ne tarda pas à se heurter à l'hostilité d'une partie du clergé espagnol.

L'évêque Hydiatus, métropolite de Lusitanie, se mit à la tête de l'opposition et, à un synode tenu en 380 à Saragosse,il l'accusa d'hérésie manichéenne et gnostique.L'affaire n'eut pas d'abord de succès, mais des nécessités politiques poussèrent l'empereur Maxime, qui avait assassiné Gratien et usurpé sa place, à rechercher l'aide du clergé espagnol. Alors, dans un synode tenu à Bordeaux(384), l'évêque Ithaque, homme de mauvaise réputation, chargea Priscillien et les « Priscillianistes» de sorcellerie et d'immoralité. Les accusés furent conduits à Trèves, condamnés par l'Église et remis aux mains du pouvoir civil pour être exécutés (385). Les éminents évêques, Martin de Tours et Ambroise de Milan, protestèrent en vain contre ce procès. Priscillien et six autres furent décapités, entre autres une femme distinguée, Euchrotie, veuve d'un poète et orateur bien connu. Ce fut la première fois que des chrétiens furent mis à mort par l'Église, mais non la dernière, hélas!

Des cas semblables devinrent fréquents. Martin et Ambroise refusèrent ensuite d'avoir aucun rapport avec Hydatius et les autres évêques responsables de ce crime. Quand l'empereur Maxime tomba, les cruelles tortures et le meurtre de ces nobles croyants furent relatés avec horreur et Ithaque fut destitué. Les corps de Priscillien et de ses compagnons furent ramenés en Espagne et on les honora comme martyrs. Néanmoins, un synode convoqué à Trèves approuva ces exécutions, leur donnant ainsi la sanction officielle de l'Église romaine. Confirmation en fut faite 176 ans plus tard, au Synode de Braga, en sorte que l'Église dominante, non seulement persécuta les « Priscillianistes », mais encore transmit à l'histoire la déclaration que Priscillien et ses adeptes avaient été punis à cause de leurs vues manichéennes et gnostiques et pour l'impureté de leurs vies. Depuis des siècles, ce jugement mensonger continue à être généralement accepté.

Bien que Priscillien eût beaucoup écrit, on pensait qu'il ne resterait rien de ses écrits. Ne s'était-on pas efforcé de les détruire. Mais, en 1886, Georges Schepss découvrit, à la bibliothèque de l'université de Würzburg, onze des oeuvres de Priscillien qu'il décrit comme «renfermées en un précieux manuscrit en caractères onciaux resté inconnu jusqu'à maintenant»(22) . Écrit en très vieux latin, c'est un des plus anciens manuscrits connus en cette langue. Il se compose de onze traités (quelques parties manquent) dont les quatre premiers renferment les détails du procès, et les sept autres, l'enseignement de Priscillien. La lecture de ces traités, écrits par Priscillien même, démontre que le rapport transmis à la postérité était absolument faux, qu'il était un homme de caractère pieux, pur dans sa doctrine,et un réformateur énergique, enfin que ses adeptes, hommes et femmes, étaient de vrais disciples de Christ. Les autorités ecclésiastiques ne se bornèrent pas à exterminer ces chrétiens, à les exiler et à confisquer leurs biens. Elles calomnièrent encore sans relâche leur mémoire.

Le style littéraire de Priscillien est vivant et attrayant. Il cite constamment l'Écriture (23) à l'appui de ce qu'il avance et montre une connaissance intime de l'ensemble de l'Ancien et du Nouveau Testament. Cependant il maintient le droit du chrétien de lire d'autre littérature, et l'on en profita pour l'accuser de vouloir inclure les livres apocryphes dans le canon des Écritures, ce qu'il ne fit pas. Il justifie sa position et celle de ses amis quant aux études bibliques auxquelles participaient des laïques, voire des femmes. Il explique aussi leur opposition à prendre la Sainte-Cène avec des personnes frivoles et mondaines.Pour lui, les discussions théologiques de l'Église avaient peu de valeur, car il connaissait le don de Dieu et l'avait accepté par une foi vivante. Il se refusait à discuter sur la Trinité. Il se contentait de savoir qu'en Christ on peut saisir le seul vrai Dieu à l'aide du Saint-Esprit (24 ). Il enseignait que le but de la rédemption est de nous tourner vers Dieu, qu'il importe donc de nous détourner énergiquement du monde, afin d'éviter tout ce qui entraverait notre communion avec Lui. Ce salut n'est pas un événement magique, accompli par quelque sacrement, mais bien un acte spirituel.L'Église, il est vrai, établit une confession de foi, baptise et transmet aux hommes les commandements, ou Parole de Dieu. Cependant chacun doit décider pour lui-même, croire personnellement. La communion avec Christ est-elle brisée? que chacun la rétablisse par une repentance individuelle. Il n'existe pas de grâce officielle spéciale. Les laïques ont l'Esprit-Saint, sont comme le clergé.

Priscillien expose longuement le danger et la fausseté du manichéisme. Son enseignement tiré des Écritures y est directement opposé. Il ne regarde pas l'ascétisme comme une chose capitale en elle-même, mais comme un moyen de parvenir à une union absolue de tout l'être avec Dieu, avec Christ, union dont le corps ne peut être exclu, puisqu'il est l'habitation du Saint-Esprit. Cette union, c'est le repos en Christ, l'expérience de l'amour divin, de la direction d'En-Haut et d'une incorruptible bénédiction. La foi au Dieu qui s'est révélé est un acte personnel qui enveloppe l'être entier dans une dépendance absolue de Dieu pour la vie et pour toutes choses. Cette foi entraîne avec elle le désir et la décision de Lui être entièrement consacré. Les oeuvres morales s'ensuivent naturellement; car, en recevant la vie nouvelle, le croyant a reçu en lui-même ce qui est l'essence même de la moralité. L'Écriture n'est pas seulement vérité historique; elle est aussi un moyen de grâce. L'esprit humain s'en nourrit et découvre que chacune de ses parties renferme une révélation, une instruction et une direction pour la vie quotidienne. Discerner la signification allégorique de l'Écriture n'exige pas une préparation technique, mais la foi. Il met en évidence le sens messianique et typique de l'Ancien Testament et le progrès historique réalisé par le Nouveau, non seulement au point de vue de la connaissance, mais pour démontrer que tous les saints sont appelés à une entière sanctification.

Un tel enseignement devait forcément provoquer un conflit avec l'Église de Rome, surtout avec les cercles représentés par un évêque aussi astucieux et politique qu'Hydatius. Dans la vie sainte d'un simple croyant, le clergé découvrait ce qui condamnait leur position spéciale. Le pouvoir de la « succession apostolique» et de l'office sacerdotal était ébranlé par un enseignement qui insistait sur la sainteté, sur un renouvellement de vie continuel par le Saint-Esprit et sur la communion avec Dieu. La distinction arbitraire entre le clergé et les laïques était rompue dès le moment où le pouvoir magique du sacrement faisait place à une possession vivante du salut par la foi.

La brèche était irréparable du fait qu'elle était due à deux points de vue distincts concernant l'Église. Ici il ne s'agissait pas simplement de supprimer des conventicules, ou de résister à tel ordre monastique s'organisant hors de l'Église, mais bien d'une différence absolue de principe. La tactique d'Hydatius était de fortifier le pouvoir de l'évêque métropolitain en sa qualité de représentant du Saint-Siège de Rome,dans le but d'établir l'organisation centralisatrice romaine, encore impopulaire et incomplète en Espagne, où elle n'était pas encore acceptée par les évêques de moindre importance. Les milieux "auxquels s'associait Priscillien étaient, en principe, diamétralement opposés à ce système. Leur connaissance des Écritures, qu'ils avaient adoptées comme règle de vie, les amena à préconiser l'indépendance de chaque congrégation, ce qu'ils pratiquaient du reste déjà.

Après la mort de Priscillien et de ses compagnons, les groupes partageant leur foi augmentèrent rapidement.Bien que Martin de Tours parvînt à amoindrir la première vague de persécution qui suivit ce tragique événement, elle continua implacable pendant longtemps. Néanmoins, ce ne fut qu'environ deux siècles plus tard que les réunions furent finalement dispersées.


22) Priseillian ein Neuaufgefundener Lat. Schriftsteller des 4 Jahrhunderts. Vortrag gehalten am 18. Mai 1886, in der Philologisch-Historischen Gesellschaft zu Würzburg von Dr Georg Schepss K. Studienlehrer am Humanist. Gymnasium mit einem Blatt in Originalgrösse Faksimiledruck des Manuscriptes, Würzburg. A. Stuber's Verlagbuchhandlung, 1886.

23) Les citations sont tirées d'une traduction antérieure à celle de Jérôme (la Vulgate).

24) «Priscillianus, ein Reformator des Vierten Jahrhunderts. Eine Kirchengeschichtliche Studie zugleich ein Kommentar zu der Erhaltenen Schriften Priscillianus» von Friedrich Paret, Dr Phil. Repetent am Evang.-Theol. Seminarin Tübingen Würzburg, A. Stuber's VerlagsbuchhandIung, 1891.

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant