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LES PATRIARCHES - (suite)

LES LETTRES DE TEL-EL-AMARNA

En ce qui concerne la période qui va des patriarches à Joseph et à Moïse, nous possédons, depuis 1887, des documents d'une très grande valeur qui jettent une précieuse lumière sur ces cinq siècles. Ce sont les fameuses tablettes de Tel-El-Amarna, découvertes grâce à une femme indigène.

Tel-El-Amarna est le nom arabe d'un village bâti près d'un temple, d'un palais et d'une ville qu'Aménophis IV ou Akhounaton, roi égyptien, avait fait élever, vers l'an 1420 avant Jésus-Christ.

Depuis quelques années, les archéologues ont appris à connaître ce roi dont la personnalité est fort attachante. Le Louvre possède de lui un admirable buste. Ce buste nous montre une figure éclairée d'intelligence et de douceur, et l'on n'est pas surpris, en contemplant cette figure qui semble vivante, que ce roi ait été un être extraordinaire. Il le fut en effet par la pensée, par l'énergie morale, et partout; par les efforts qu'il fit pour amener une réforme religieuse au sein de son peuple.

Il est appelé le roi « hérétique » parce qu'il se dressa contre les idées reçues depuis des siècles et enseignées par le clergé. Il voulut réagir contre le polythéisme toujours plus accentué du culte égyptien, et chercha à amener son peuple vers l'adoration d'un Dieu unique. Cette notion d'un Dieu unique était peut-être le fruit de l'influence israélite. Il est très vraisemblable que le monothéisme des Israélites ait pu être connu des Egyptiens, tout au moins de l'élite, et produire sur eux une certaine impression. Au reste, il faudrait se garder de présenter Akhounaton comme le précurseur de Moïse, comme si Moïse avait pris de lui son enseignement. Depuis Abraham, la notion d'un Dieu unique s'était maintenue sans interruption au sein de la Famille élue, puis du Peuple élu. Moïse a continué cette sainte tradition et a reçu directement du Seigneur les révélations nouvelles. Le monothéisme du roi est inférieur de beaucoup au monothéisme de Moïse. Pour Akhounaton, le Dieu unique c'est le disque solaire, non pas le soleil lui-même. Nous sommes encore très loin de la sainteté, de la spiritualité de Jéhovah.

Ce qui nous rend Akhounaton plus sympathique encore, ce sont les souffrances qu'il eut à endurer. Il vit se dresser contre lui non seulement le clergé, mais les fonctionnaires et, sans doute, une partie du peuple. Sa situation devint si difficile qu'il résolut de fuir la cour et d'aller bâtir une ville nouvelle, une ville à lui, où, entouré de ses amis, il pût pratiquer librement son culte et gouverner à sa guise. C'est précisément sur l'emplacement de sa ville et de son palais, que l'on a bâti le village de Tel-El-Amarna, où les tablettes dont nous avons déjà parlé ont été retrouvées. Parmi ces tablettes, quelques-unes sont adressées par Akhounaton lui-même à des fonctionnaires en Syrie ou en Palestine. Ceux-ci ne se sentent plus suffisamment soutenus. Ils sont sans doute, eux aussi, scandalisés par l'attitude de leur roi. Les ennemis de l'Egypte surent mettre à profit l'antagonisme entre le Pharaon et une partie de son peuple. La haine contre Akhounaton, surtout chez le clergé, fut terrible. Après sa mort, ses ennemis s'appliquèrent à faire disparaître son souvenir, et à discréditer son oeuvre.

Son oeuvre fut de courte durée. Son gendre, le fameux Tout-Ank-Amon, dont on a récemment retrouvé la tombe, s'empressa de renier les idées de son beau-père, et de revenir à l'ancien culte. Le Louvre possède une très intéressante statue qui le représente entre les genoux du dieu Amon, et sous sa protection. Chose curieuse, sa tête a disparu tandis que, nous l'avons dit, une admirable sculpture représentant Akhounaton orne l'une des salles du Louvre. Ainsi, après plus de trente siècles d'oubli, la noble personnalité du roi réformateur apparaît en pleine lumière, et obtient enfin une juste réhabilitation.

Les tablettes de Tel-El-Amarna sont extrêmement intéressantes, car elles nous révèlent toute une histoire qui était, avant cette découverte, à peu près inconnue. Ces tablettes sont en réalité des lettres échangées entre les rois d'Egypte, en particulier Aménophis III et Aménophis IV, et leurs gouverneurs en Syrie, en Palestine et en Phénicie.

Nous apprenons ainsi que les rois d'Egypte avaient, sous Amasis 1er (environ 1600 avant Christ), conquis la Syrie et avaient peu à peu étendu leur pouvoir (avec Aménophis III) jusqu'au nord-ouest de la Mésopotamie. Dans ces diverses contrées, l'Egypte était représentée par des gouverneurs tels que Rib-Addi, gouverneur de Byblos; Abi-Milki, gouverneur de Tyr; Widia, gouverneur d'Askalon; Yabitiri, gouverneur de Gaza et de Joppé, etc., etc. Ces gouverneurs écrivent à leur suzerain pour lui rendre compte de leur administration, pour protester de leur fidélité, et surtout pour demander de l'argent, des faveurs, des secours, car, disent-ils, la puissance égyptienne est fortement menacée. Elle fut, en effet, en si grand danger et si peu soutenue par l'Egypte elle-même qu'elle finit par s'écrouler, à partir d'Aménophis IV.

Ces tablettes contiennent aussi des lettres échangées entre le roi d'Egypte et certains rois mésopotamiens. Il y est question d'alliances, de mariages, de commerce.

 

Ces fréquentes relations entre l'Egypte et la Mésopotamie nous permettent de mieux comprendre l'histoire d'Abraham. L'on sait combien certaines critiques ont considéré comme invraisemblable le récit biblique du voyage d'Abraham en Canaan, puis en Egypte. Mais ce récit n'offre point de difficulté pour l'archéologue. L'accueil qui fut fait à Abraham en Egypte, le respect que le Pharaon lui témoigne, comme aussi la facilité avec laquelle il put s'établir en Canaan et y prospérer, tous ces événements si importants dans la vie du patriarche, et que plusieurs commentateurs s'obstinaient à nier, apparaissent comme naturels, à la lumière des documents de Tel-El-Amarna.

En même temps disparaît une autre objection de la critique, l'objection relative au langage. La critique affirmait qu'Abraham ne pouvait s'être fait comprendre des Cananéens, ni surtout des Egyptiens ; elle prétendait qu'Abraham ne pouvait connaître que le dialecte de sa tribu. Et sans doute il connaissait ce dialecte ; mais il connaissait aussi, à n'en pas douter, la langue internationale de ce temps : le babylonien cunéiforme. Ce n'est pas le moindre mérite des tablettes de Tel-El-Amarna que de nous avoir révélé l'existence de cette langue. En effet, toutes ces tablettes, non seulement celles qui proviennent de Mésopotamie, mais celles aussi qui proviennent de Syrie, de Palestine, d'Egypte, sont écrites dans la même langue, le babylonien cunéiforme. Les rois d'Egypte eux-mêmes, dans leur correspondance avec les gouverneurs et les rois, au lieu de se servir de leur écriture, se servent du babylonien cunéiforme. Cette langue internationale, langue diplomatique, commerciale et religieuse, servait de trait d'union entre l'Asie et l'Afrique, et cimentait en quelque sorte la civilisation de ce temps, jouant le même rôle que le grec aux approches de l'ère chrétienne, et que le latin au Moyen Age.

L'existence de cette langue est attestée, non seulement par les tablettes de Tel-El-Amarna, mais par de très nombreuses tablettes découvertes depuis en Mésopotamie, en Palestine, en Syrie, en Egypte. Cette langue ne supprimait pas les dialectes locaux ; elle était sans doute prononcée de manières assez diverses suivant les pays ; mais il est hors de doute qu'elle était parlée et comprise d'un grand nombre d'hommes appartenant à plusieurs races. Elle était certainement familière aux princes, aux chefs, aux hommes riches et influents, aux grands commerçants, aux lettrés et aux prêtres. Cette langue était répandue, non seulement par des voyages, des relations commerciales et politiques constantes, mais aussi par un système postal régulier entre la Babylonie, la Palestine et l'Egypte. Les tablettes, recouvertes d'un étui en argile qui servait d'enveloppe (parfois avec indication de l'adresse et du sujet de la lettre), circulaient partout. On a découvert des coffrets en argile qui servaient à conserver, dans chaque famille, les tablettes ancestrales et à les préserver d'accidents, surtout au cours de nombreuses pérégrinations de la tribu. Parmi les tablettes que l'on a retrouvées ailleurs qu'à Tel-El-Amarna, il en est beaucoup qui remontent bien au delà de l'époque d'Abraham.

Ainsi s'explique la facilité avec laquelle Abraham se fait comprendre en Canaan et en Egypte. Il parle et écrit en babylonien, et il trouve partout des hommes pour le comprendre, d'autant plus que, partout, il a surtout affaire avec les puissants, avec les rois et les chefs. (Pharaon en Egypte Melchisédek, roi de Salem ; Abimélek, roi de Guérar les rois du chapitre 14 de la Genèse, etc.).

 

Le Musée du Louvre possède des lettres de Rib-Addi (ou Adda), gouverneur de Byblos ; de Abdi-Risha, de Aïab, de Beridia, de Schouwardata, au roi d'Egypte, et du roi d'Egypte à Intarouda d'Akshapa, etc.

C'est Rib-Addi, de Byblos, qui semble avoir été le correspondant le plus zélé, mais non le plus désintéressé, car il est le type du quémandeur. Le British Museum possède au moins 14 de ses lettres.

Ces tablettes sont de diverses dimensions, petites pour la plupart. La manière dont elles sont faites atteste leur origine. Celles qui viennent d'Egypte sont faites avec la boue du Nil ; d'autres sont faites avec de l'argile de la côte syrienne ; d'autres portent au verso la marque d'un sceau cylindrique babylonien. La plupart sont écrites en lettres cursives, moins appliquées que les lettres des documents officiels des rois de l'Assyrie.

On peut classer ces 320 lettres en trois catégories : 1° les lettres de la période de la suprématie égyptienne ; lettres des rois de l'Asie occidentale alliés à l'Egypte ; 2° les lettres qui indiquent le déclin de la puissance égyptienne ; lettres de vassaux ou gouverneurs de Phénicie, de Canaan ; 3° les lettres postérieures, se rapportant à la Palestine du sud, surtout celles écrites de Jérusalem.

Toute cette correspondance est extrêmement précieuse, parce qu'elle nous révèle les relations intimes qui existaient entre l'Egypte et la Palestine et la Syrie dès le XVe siècle. Cette révélation confirme celle de la Bible qui nous montre que, bien avant le XVe siècle, dès l'époque d'Abraham, des relations existaient entre ces diverses contrées. A partir du XVe siècle, les Egyptiens ne furent pas seulement des voisins, mais des dominateurs. Il y avait, à la cour des Pharaons, des scribes spécialement chargés de la correspondance avec l'Asie occidentale. Ils étaient capables de transcrire les lettres cunéiformes en lettres hiéroglyphiques. Ils notaient sur la tablette sa date d'arrivée et son origine. Ils copiaient les réponses faites aux lettres. Les lettres envoyées aux fonctionnaires de Palestine et de Syrie étaient confiées à des coureurs spécialisés. La plus longue des lettres de Tel-El-Amarna a 98 lignes ; la plus courte à 10 lignes.

Les relations commerciales de l'Egypte avec la Syrie ont été aussi mises en lumière par les fouilles de M. Montet à Byblos. Les Egyptiens allaient chercher à Byblos du bois, du sapin pour les mobiliers et les cercueils ; de la résine pour embaumer. On a trouvé à Byblos cinq nouveaux fragments hiéroglyphiques, dont un avec le nom de Thoutmès III. Sous le Moyen-Empire, la déesse Hathor était appelée « Déesse de Byblos ». L'Egypte est en partie responsable du déboisement de la Phénicie.


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