Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

SERMONS PRATIQUES

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LES PLAISIRS PERMIS

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Trois jours après, il y eut des noces à Cana en Galilée. La mère de Jésus était là, et Jésus fut aussi invité aux noces avec ses disciples. Le vin ayant manqué, la mère de Jésus lui dit: Ils n’ont plus de vin. Jésus lui répondit: Femme, qu’y a-t-il entre moi et toi? Mon heure n’est pas encore venue.

Sa mère dit aux serviteurs: Faites ce qu’il vous dira.

Or, il y avait là six vases de pierre, destinés aux purifications des Juifs, et contenant chacun deux ou trois mesures. Jésus leur dit: Remplissez d’eau ces vases. Et ils les remplirent jusqu’au bord. Puisez maintenant, leur dit-il, et portez-en à l’ordonnateur du repas. Et ils en portèrent.

Quand l’ordonnateur du repas eut goûté l’eau changée en vin, – ne sachant d’où venait ce vin, tandis que les serviteurs, qui avaient puisé l’eau, le savaient bien, – il appela l’époux, et lui dit: Tout homme sert d’abord le bon vin, puis le moins bon après qu’on s’est enivré; toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à présent. Jean II, 1-10 (v. Segond).


Qu’avez-vous trouvé dans ce récit? — Vous avez lu souvent, vous le savez presque par cœur. Nous étant rapporté par un témoin oculaire qui n’a ni pu ni voulu nous tromper, par l’apôtre Saint-Jean lui-même, a-t-il fortifié votre foi en Jésus-Christ, en sorte que vous soyez plus ferme à compter sur son grand pouvoir dans la vie et dans la mort, en d’autres termes, a-t-il produit sur vous le même effet que le miracle sur les disciples? Et il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui.

Ou bien, en remarquant que le Seigneur assista à la célébration d’un mariage, avez-vous réfléchi:

à LA SAINTETÉ DE CE LIEN QU’IL HONORA DE SA PRÉSENCE,

à son respect pour cette institution de la famille qu’il consacra par tant de paroles mémorables,

aux devoirs mutuels qui vous incombent donc, heureux époux, et qui vous sont imposés par Dieu lui-même.

Peut-être avez-vous suivi un autre ordre d’idées, et, considérant la réponse respectueuse mais catégorique de Jésus à sa mère: Femme, qu’y a-t-il entre toi et moi? Cette réponse qui montre qu’elle n’avait PAS À FAIRE INTERVENIR SA VOLONTÉ OU SES DÉSIRS dans l’œuvre du Fils de Dieu, vous êtes-vous demandé avec étonnement par quelle étrange erreur l’Église romaine en est venue à élever si haut Marie et à la placer en quelque sorte sur le trône de la divinité?

Toutes ces réflexions naissent d’elles-mêmes dans l’esprit à la simple lecture de notre texte, et puisque nous avons choisi cette portion de l’Écriture pour la méditer ensemble, il serait facile et naturel de reprendre chacune de ces idées, ou seulement l’une d’elles, pour la creuser davantage et l’étudier sous toutes ses faces. Toutefois il est une autre leçon qui me semble ressortir de l’histoire des noces de Cana et dont je voudrais parler aujourd’hui.

Nous pouvons profiter de cette histoire, semble-t-il, pour déterminer quels doivent être les sentiments et la conduite de l’homme à l’égard des plaisirs que le monde nous offre, et pour en conclure à de nouveaux motifs de fidélité et de foi.


On considère souvent la vie d’un point de vue pessimiste, voyant le mauvais côté des choses, dépeignant sous des couleurs sombres et souvent trop conformes à la réalité, les tristesses et les douleurs de l’existence. On a raison de le faire quelquefois et d'insister sur ce qu’il y a de tragique dans nos destinées, pour tourner les aspirations des hommes vers le grand et heureux dénouement auprès du Seigneur; mais ce n’est qu’une des faces de la vérité.

Des scènes pleines de douceur et de charme sont entremêlées aux scènes lamentables du drame dont nous sommes les acteurs.

Pour employer une image qu’affectionne le langage chrétien, la vie n’est pas seulement une vallée de larmes, c’est un pays accidenté, offrant çà et là des endroits difficiles et même des passages périlleux, des carrefours où l’on s’assied fatigué et quelquefois en larmes, ne sachant si l’on aura le courage d’aller au delà, mais présentant aussi des sentiers agréables et souvent de belles et larges routes, bien exposées au soleil, bordées d’arbres où l’on peut cueillir des fruits savoureux.

Oh! que de jouissances sont à notre portée, et à la disposition du moins favorisé d’entre nous!

Voici les joies de l’esprit, mine féconde, dispensant d’inappréciables trésors à celui qui possède quelque culture;

voici les joies du cœur, bien plus profondes encore et plus douces, lumière intime qui donne à la vie son principal attrait;

voilà les joies que nous goûtons dans la société de nos semblables, dans les rapports avec nos camarades, nos amis, nos voisins, nos parents;

voilà celles que nous rencontrons dans le commerce de ces êtres avec qui la Providence nous a intimement unis, dans le cercle béni de la famille.

Et que dire des pures jouissances de l’âme délicate qui s’enthousiasme ou s’émeut devant quelque grandiose spectacle ou devant une idée passant comme un songe aux contours lumineux?

Comment dépeindre les heures de bonheur accordées à cet homme épris de sa vocation lorsqu’il se livre à son art, à sa science, et qu’il travaille à son œuvre avec les talents qu’il a reçus d’en haut et l’ardeur qu’ils lui communiquent?

Comment énumérer enfin toutes les sources de plaisir que la vie fait jaillir sous nos pas, si même nous descendons jusqu’aux sollicitations tout extérieures du monde, et si nous envisageons les distractions, les fêtes, les spectacles, les sociétés, les réjouissances vulgaires qui nous invitent?

Or, une question se pose évidemment à tout disciple de Jésus qui fait les réflexions bien simples que nous venons de rappeler:


Quelle doit être l’attitude du chrétien vis-à-vis de toutes ces joies terrestres?

Il en est pour lesquelles vous n’avez jamais éprouvé et vous ne devez pas éprouver de scrupules, mais il en est d’autres où le doute est permis.

Ma qualité de chrétien a-t-elle pour effet de m’interdire tel ou tel plaisir auquel le monde se livre sans remords?

Dois-je renoncer à cette distraction honnête et généralement acceptée dans le milieu où je vis?

Est-ce que je forfais à ma vocation de membre du royaume des cieux en suivant l’opinion commune et en me refusant à rompre ouvertement avec elle dans certains cas?

Ne vous attendez pas à ce que, plaçant sous vos yeux les termes d’un problème de casuistique (Partie de la théologie morale qui a pour objet de résoudre les cas de conscience en appliquant les principes théoriques aux situations de la vie), je vienne ici dresser la liste des plaisirs qui, selon ma conscience, sont permis au chrétien, pour y opposer la liste des plaisirs qui lui sont interdits.

Aussi bien, en agissant ainsi, suivrais-je une voie contraire à celle que nous trace l’Évangile lui-même, qui n’a point pour objectif de nous donner des recettes pour la vie, et, différant en cela de l’ancienne loi mosaïque, propose des principes généraux, en laissant à chacun le soin d’en tirer les conséquences et d’en faire l’application à tous les cas particuliers. Non, mais nous emploierons notre méthode favorite, et la seule chrétienne, qui consiste à:


PRENDRE JÉSUS POUR JUGE DE TOUT POINT EN LITIGE

ET À RECHERCHER, quand nous sommes dans l’embarras,

CE QU’IL A DIT D’ABORD, ET PUIS CE QU’IL A FAIT.


Pouvons-nous en effet trouver un docteur plus sage que celui dont les paroles ne passeront point et qui s’est appelé lui-même la lumière du monde, pouvons-nous trouver un modèle plus accompli que celui qui est venu nous laisser un exemple afin que nous suivions ses traces et qui a pu dire sans craindre le démenti des siècles: Qui de vous me convaincra de péché?

Or le Seigneur a dit à ses disciples:

Vous êtes dans le monde, mais vous n’êtes pas du monde.

Nul ne peut servir deux maîtres, car, ou il haïra l’un et aimera l'autre; ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon.

Et les apôtres, qui se faisaient en cela l’écho de la parole du Maître ont écrit dans leurs épîtres: Affectionnez-vous aux choses d’en haut, et non à celles qui sont sur la terre. Ne regardez pas à ce qui passe, mais à ce qui est éternel. N’aimez pas le monde ni ce qui est dans le monde, car celui qui aime le monde, l’amour du Père n’est pas en lui.

Ah! quel avertissement pour nous!

Qu’aimons-nous sur la terre?

À quoi avons-nous donné nos cœurs?

Qu’est-ce que nous mettons au premier rang dans nos préoccupations et dans nos rêves?

Est-ce l’amour de Dieu?

Est-ce l’obéissance à ses lois?

Est-ce la ligne droite et toujours rigoureuse du devoir?

Est-ce le salut de nos âmes?

Sont-ce les intérêts éternels de ceux qui nous entourent?

Est-ce la consécration de nos vies à la pureté, à la piété, au bonheur de nos semblables?

Est-ce cette perle précieuse, ce trésor incomparable pour la possession duquel nous devrions être prêts à sacrifier tous les autres biens et notre part entière de félicité terrestre, si nous ne le tenions déjà, ce trésor, de la gratuité de notre Dieu?

Ou bien rejetons-nous tout cela à l’arrière-plan, au dernier rang, pour nous en occuper à nos heures, quand nous avons le temps, et pour nous lancer, avec une ardeur fiévreuse, dans le chemin, quel qu’il soit, que le monde nous ouvre:

jouissant de la vie partout où il est possible,

buvant à toutes les coupes qui sont pleines,

puisant à toutes les sources dont le murmure nous attire, avides des occasions qui se présentent?


Une pensée de vie éternelle vient parfois rappeler cette âme au sentiment de la réalité...

Non, passe, triste nuage assombrissant ma vie;

reviens plus tard, dans quelques années,

alors j’y songerai, mais pas maintenant.

La vision austère du Crucifié apparaît par moments sur le Calvaire, et ces graves paroles retentissent: Quiconque veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge de sa croix et qu’il me suive...

Arrière, crucifié, ta sainteté m’effraye,

ton sacrifice m’épouvante,

tes paroles me font peur;

reviens une autre fois,

aujourd’hui je ne puis ni t’entendre ni te suivre.


Frères, ou l’on est chrétien, ou l’on est mondain. Il faut choisir.

Entre la mondanité et l’Évangile il n’y a pas de milieu.

Ceux qui croient trouver un moyen terme se trompent et ne voient pas qu’ils sont en train de passer d’un état dans l’autre, de quitter le monde pour le royaume des cieux, ou, hélas! de s’éloigner de plus en plus de l’Évangile pour se plonger dans le monde.

Or la mondanité, c’est-à-dire l’interversion des rôles voulus par le Créateur, la préférence donnée aux choses de la terre sur celles du ciel; la mondanité, et elle existe, avec des apparences très différentes, aussi bien chez le campagnard que chez le citadin, dans les modestes logements de nos villages que dans les somptueux salons de nos châteaux, LA MONDANITÉ EST UNE IDOLÂTRIE: elle est INCOMPATIBLE avec l’amour du Père céleste et la pratique fidèle des devoirs qu’impose le christianisme, ELLE EST CONDAMNÉE PAR LE SEIGNEUR. Il n’y a pas là-dessus d’hésitation possible.

La question n’est certainement pas résolue par cette première considération, car si nous ne devons pas être DU monde, comme dit le Seigneur nous sommes DANS le monde, et, sans donner aux choses qui concernent ce dernier une importance exagérée, nous aurions tort de les dédaigner et de ne pas accepter avec reconnaissance ce que le Créateur a disposé pour notre bonheur, ce qu’il nous permet dans sa grande sagesse, ce que son Fils enfin a consacré par son exemple. 


Après avoir demandé à Jésus ce qu’il dit, voyons donc ce qu’il fait.

Le récit que nous avons pris pour texte nous donne sur ce point un enseignement que nous chercherions vainement ailleurs.

Sur quoi dirige-t-il en effet nos yeux?

Sur une fête où l’on mange, où l’on boit, où l’on se réjouit, où la gaieté se donne libre et franche carrière. Et au milieu des convives, au centre de cette table joyeuse, que voyons-nous?

Jésus-Christ, notre maître, notre modèle, le Fils unique de Dieu, qui ne croit pas déroger en s’associant aux réjouissances d’une famille dans un jour de bonheur, et ne juge pas au-dessous de sa vertu de prendre part à un festin de noces.

Bien plus, il s’intéresse directement à la réussite de ce dernier, et fournit, par un effet de son pouvoir divin, ce qui est nécessaire et qui manque. — Et ce n’est point un fait exceptionnel.

Il agit ainsi d’après un principe de conduite qu’il adopta dès l’abord et auquel il fut constamment fidèle.

Nous le voyons, en effet:

se mêler aux fêtes nationales et les célébrer à la mode populaire,

accepter les repas qui lui sont offerts et jouir de la vie avec une sainte modération, sans s’inquiéter de l’étonnement de ceux qui auraient voulu voir en lui un ascète, ni même des insinuations malveillantes de quelques-uns.

Quoi qu’on fasse en ce monde, on excite le mécontentement de certaines gens, et même en suivant la ligne droite du devoir, on ne saurait faire taire la malignité des hommes; celle-ci est toujours prête à s’alimenter à vos dépens, et le plus sage est de la laisser librement s’exercer.


En disciples conséquents du maître, comment donc convient-il de se comporter?

Quels que soient votre sexe ou votre âge, quelles que soient les circonstances où vous vous trouviez, dans la prospérité ou dans la gêne, dans le bonheur ou dans l’épreuve, dans une existence très occupée ou dans une vie relativement oisive, que votre vocation vous porte à l’austérité ou vous expose au piège de la dissipation, il y a des joies pour vous, il y a des plaisirs auxquels le monde vous sollicite plus ou moins souvent, d’une façon plus ou moins pressante.

Cette semaine, demain, aujourd’hui, ce cas va se présenter.

Que répondrez-vous?

Comme si vous n’étiez pas dans le monde, renoncerez-vous à tout ce que la vie vous offre pour vous renfermer dans une gravité chagrine, et où la misanthropie aurait souvent plus de part qu’une piété vraie?

Ah! cet extrême n’est point à redouter de notre époque. Ce fut l’exagération des âmes enthousiastes et des ermites du premier âge de l’Église, ce n’est point celle des chrétiens du XIXe siècle.

Je craindrais bien plutôt la tendance contraire; je m’effrayerais plus vite à la perspective de VOIR LE MONDE VOUS ARRACHER AUX BRAS DE VOTRE PÈRE CÉLESTE, vous détourner de votre Sauveur, vous plonger dans ce tourbillon où tant d’âmes sont entraînées et font naufrage chaque jour.

Oh! devant ce danger que l’exemple de tout ce qui nous entoure fait courir à notre piété, à la vue de ces feux follets séduisants nous attirant sur le bord des abîmes et nous conduisant, à notre insu, dans le sentier des précipices, avec l’expérience que nous avons acquise du péril de TANT DE DISTRACTIONS RÉPUTÉES HONNÊTES ET POURTANT MORTELLES À CERTAINES ÂMES, honorons les saintes hésitations de quelques-uns, que nous devrions ressentir peut-être, et les déterminations fortes de plusieurs, qu’il nous serait bon de prendre parfois, et conduisons-nous toujours d’après les principes chrétiens qu’il nous reste à fixer dans cette discussion familière et fraternelle.

L’apôtre Paul a prononcé une parole d’une haute spiritualité, et qui a besoin, pour être bien comprise, d’un cœur chrétien et converti: Tout est pur, a-t-il dit, pour ceux qui sont purs.

M’appuyant de son apostolique autorité, en parlant des plaisirs auxquels il est licite de prendre part, je m’empare de ce mot illustre et je dis: Tout est permis (vous saisissez dans quelles limites) pour ceux qui sont vraiment chrétiens.

Mais quel est celui qui soit moralement assez audacieux pour dire: Moi je suis vraiment chrétien, je n’ai pas à craindre cette tentation à laquelle tant de mes frères succombent, je ne suis pas exposé à cette faiblesse, je n’ai rien à redouter de cette influence?

Quel est le présomptueux qui oserait répéter la parole de Pierre: Quand tous t’abandonneraient, moi, ô Seigneur, je ne t’abandonnerais pas?

La défiance de soi-même et la confiance en Dieu sont les deux règles principales de la prudence chrétienne, mais tandis que le devoir de la confiance est le même pour tous, la défiance de soi-même doit avoir ses degrés suivant les individus. Il y a des caractères plus fermes que d’autres; il y a des tempéraments moins exposés au péril; il y a des êtres chez lesquels des facultés natives, une éducation forte, des goûts sérieux, tout un ensemble de circonstances favorables, mettent le cœur à l’abri de plus d’une séduction.

Telle chose constitue un danger pour celui-ci qui est inoffensive pour celui-là; telle coupe est enivrante et même empoisonnée pour les uns, qui passe impunément dans la main des autres.

On ne peut donc dire, en dressant deux catégories bien tranchées des plaisirs que la terre nous présente: voilà ceux qui sont défendus aux chrétiens et voilà ceux qui leur sont permis. 


À CHACUN DE S’EXAMINER, DE SE CONNAÎTRE, ET DE PRONONCER LE JUGEMENT; à chacun, scrutant ses faiblesses et ses passions, de se fixer sa règle à soi-même et de dire: Voilà ce qui est mauvais pour moi, voilà ce que je dois m’interdire. Et qu’est-ce qui vous est mauvais, qu’est-ce que vous devez vous interdire? Voulez-vous que je vous aide à trouver?

Lorsque, à la suite de quelque fête, la vie ordinaire avec ses obligations vous déplaît,

lorsque votre sort vous semble plus triste qu’auparavant,

lorsque votre famille, vos affections, vos devoirs de tous les jours, deviennent insuffisants à remplir vos cœurs, parce que vous avez donné à ceux-ci quelques mets ayant plus de saveur et de charme: ne vous abusez pas: VOUS AVEZ PRIS UN PLAISIR MAUVAIS, non pas en soi-même peut-être, mais mauvais pour vous.

Lorsque, dans les heures, ou même dans les jours qui suivent votre passage dans le monde, votre ardeur chrétienne est en baisse et vos sentiments religieux éteints,

lorsque les choses de Dieu ont perdu de leur attrait pour vous, ne fût-ce que pour peu de temps,

lorsque votre prière monte péniblement jusqu’au Seigneur,

lorsque votre piété gît languissante et flétrie comme les fleurs qui ont orné la tête d’une danseuse au lendemain d’un bal: prenez garde: VOTRE ÂME S’EST PLONGÉE DANS UN BAIN GLACIAL POUR ELLE, et le tentateur s’est réjoui de vous voir dans cette compagnie ou cette société.

Lorsque, enfin, au sortir de quelque réunion ou distraction mondaine,

ce livre que nous avons ouvert au commencement de ce service,

ce livre qui nous instruit de nos devoirs et nous inspire tant de joies et d’espérances,

ce livre qui est le conseiller, le consolateur, la lumière, la clef de voûte de nos foyers domestiques;

lorsque ce livre nous paraît fade, sans agréments, lorsque nos yeux distraits s’arrêtent sur ses pages sans pouvoir s’y fixer, lorsque nos cœurs sont enivrés et en quelque sorte noyés par le monde, hélas! pauvres faibles créatures, vermisseaux sans force, c’est que NOUS AVONS ÉCOUTÉ LA VOIX SÉDUCTRICE QUI EN A TROMPÉ TANT D’AUTRES, c’est que nous avons exposé notre âme délicate à un vent trop chaud pour elle, c’est que NOUS AVONS GOÛTÉ LE FRUIT DÉFENDU EN PRENANT PART À UN PLAISIR FUNESTE.


Ah! gardons-nous de dédaigner ces symptômes accusateurs; si notre conscience, interrogée devant Dieu, nous dit que nous nous égarons parfois sur une voie fatale, n’allons pas persévérer au risque de refroidir nos âmes chrétiennes, d’éteindre en nous le feu de la grâce et d’attrister le Saint-Esprit de notre Dieu. 


Rompons, rompons avec ce que le monde a de mortel pour nous; arrachons l’œil, coupons le membre, sacrifions le penchant qui pourrait être une occasion de chute ou seulement troubler le miroir délicat de notre cœur chrétien.

À cette observation attentive de l’effet désastreux ou bienfaisant que certains plaisirs ont sur nos cœurs, observation qui doit nous engager à rechercher ou à éviter bien des choses suivant les cas, ajoutons une obligation impérieuse pour le chrétien.


Le chrétien ne doit aller, ne doit se présenter

QUE partout où le Seigneur Jésus peut le suivre,

QUE partout où il peut inviter son maître avec lui.


O principe directeur de la vie, ô règle invariable et inviolable! Combien de nous y furent constamment fidèles!

Combien souvent au contraire, VOUS AVEZ DÛ DIRE AU SEIGNEUR JÉSUS:

Reste à la porte; n’entre pas avec moi.

Ce ne sont pas ici des noces de Cana, de chrétiennes réjouissances où tu puisses te rendre. Tu y serais mal à l’aise.

Ni les conversations, ni la compagnie, ni l’air qu’on respire, ni l’esprit qui souffle, ni ce qu’on y dit, ni ce qu’on y fait, ni ce qu’on y voit, ni rien, ne saurait te convenir.

Reste; ce n’est que pour un moment, ce n’est que pour un soir je te retrouverai plus tard.


Je te retrouverai plus tard! EN ÊTES-VOUS BIEN SÛR?

Sans doute, il sera toujours là, le Seigneur, toujours le même, malgré vos infidélités; mais vous, les sens excités, les passions exaltées, le cœur rempli du monde, l’âme tout entière captive de la vanité et du péché, en sortant de là:

trouverez-vous encore quelque joie dans la société du crucifié,

goûterez-vous encore son langage,

ne l’éloignerez-vous pas encore une fois peut-être pour longtemps, peut-être pour toujours?


Je m’arrête... Des tableaux trop douloureux s’offrent à mes regards, des défections trop éclatantes reviennent à mon souvenir.

Ô grand Dieu, combien de jeunes hommes, combien de jeunes filles, après avoir débuté par la profession d’une piété sincère et avoir donné à l’Église les espérances les plus légitimes et les plus douces, se sont ainsi détournés de la foi!

Combien de cœurs se sont laissé charger de chaînes! Combien de disciples ont quitté les sentiers étroits et ont passé sur la voie large pour avoir un instant, un instant seulement, abandonné Jésus-Christ!


Il y a une belle légende que les moines du XIIIe siècle se sont plu à raconter dans leurs livres et qui mérite, par sa profondeur symbolique, la popularité dont elle a joui pendant un temps: c’est la légende de Christophore, c’est-à-dire du porteur de Christ.

Il s’était donné pour emploi de faire franchir un fleuve aux voyageurs et persévérait de mois en mois et d’année en année dans son œuvre charitable. Or un jour, comme il tient dans ses bras un enfant, le saint ne sait ce qui lui arrive, les eaux se soulèvent et bouillonnent, la frêle créature pèse dans ses bras comme si elle était de plomb. — Enfant, lui dit le passeur après l’avoir déposé sur la rive, tu m’as mis en un grand danger: car si j’eusse porté le monde entier sur les épaules, il n’eût pas pesé plus que toi. — Ne t’en étonne pas, répondit l’enfant, car tu as porté le monde et celui qui l’a créé: je suis le Christ.

Ah! frères, en traversant le fleuve de la vie, ce fleuve qui sépare la naissance de la mort et la terre du ciel, soyons aussi des Christophores, PORTONS PARTOUT CHRIST AVEC NOUS, et si parfois il pèse sur nos mains débiles, ne le lâchons pas, tenons-le ferme, jusqu’à ce que nous soyons parvenus sur la rive où la lumière brille et où toute lutte cesse, et qu’il puisse nous dire aussi:


JE SUIS LE CHRIST, TON SAUVEUR.




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