Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

SERMONS PRATIQUES

----------

LA RELIGION PRATIQUE

----------

La religion pure et sans tache devant Dieu, notre Père, consiste à visiter les orphelins et les veuves dans leur affliction, et à se préserver des souillures du monde. Jacques I, 27.

L’Épître de Jacques a une tendance tout à fait pratique. Par là elle plaît aux uns et déplaît aux autres. Les uns la lisent et la relisent; les autres la laissent de côté. L’écrivain sacré exhorte ses lecteurs:

à la patience dans les maux,

à l’humilité véritable,

à la lutte contre les passions:

à la charité active,

à la foi se montrant dans les œuvres,

en un mot à LA RELIGION PRATIQUE.

Notre texte est en quelque sorte le résumé de toute sa lettre, l’abrégé de sa théologie, la caractéristique de sa tendance. La religion pure et sans tache devant Dieu, notre Père, consiste à visiter les orphelins et les veuves dans leur affliction et à se préserver des souillures du monde.

Quand je lis les cinq trop courts chapitres que Jacques a légués au monde chrétien, savez-vous ce qui me frappe?

C’est le rapport étroit qui existe entre eux et les enseignements de Jésus-Christ tels que ceux-ci nous sont présentés dans les trois premiers Évangiles:

même langage imagé,

même énergie extraordinaire,

même tour paradoxal dans l’expression de l’idée,

même haine de l’hypocrisie,

mêmes appels à la fidélité dans la vie et dans le cœur:

un air de famille enfin qui me charme tout particulièrement et qui s’explique fort bien, s’il est vrai, comme quelques-uns le pensent, que l’auteur de l’Épître soit un frère de Jésus selon la chair, un des fils de Marie.


Lisez dans le XXVe chapitre de Matthieu la Parabole du Jugement dernier, et puis prenez notre Épître: vous êtes évidemment dans le même courant d’idées, dans le même milieu spirituel, je ne dis pas seulement même couleur, mais même nuance, un peu pâlie cependant.

Un prédicateur anglais, après avoir décrit avec beaucoup de vie le bonheur de Lazare dans le sein d’Abraham, et la misère du mauvais riche dans l’abîme, après avoir rappelé d’une façon très dramatique le dialogue de l’ex-jouisseur avec le saint patriarche, se mit lui-même à interroger le Père des croyants:

Père Abraham, dit-il, y a-t-il beaucoup de wesleyens dans le ciel?

Non, il n’y a point de wesleyens.

Alors il y a beaucoup de baptistes?

Non, il n’y a point de baptistes.

Alors il y a surtout des anglicans?

Non, il n’y a point d’anglicans.

Père Abraham! Seraient-ce les catholiques romains?

Non, il n’y a point de catholiques romains.

Père Abraham! COMMENT DONC PARVENIR JUSQU’À TOI?

Ceux qui ne disent pas seulement: Seigneur, Seigneur! mais qui font la volonté de Dieu, ceux-là entrent dans le Royaume.

Tel est l’enseignement de Jésus, telle est la doctrine de Jacques, et c’est l’enseignement, c’est la doctrine que nous vous apportons aujourd’hui en vous rappelant ce verset: La religion pure et sans tache devant Dieu notre Père consiste à visiter les orphelins et les veuves dans leur affliction et à se préserver des souillures du monde.

Ce sont là deux exemples; dans notre langage plus systématique que celui des fils de l’Orient, nous dirions tout simplement:


La religion pure et sans tache consiste dans la CHARITÉ et dans la SAINTETÉ.


Mais j’entends d’ici une objection. Quelqu’un me dit:

Vous prêchez donc le salut par les œuvres?

Non, mon frère, je ne prêche pas le salut par les œuvres, je prêche qu’ON PEUT SE PERDRE PAR SES ŒUVRES, et il y a beaucoup de gens qui se perdent par leurs œuvres, mais ON NE PEUT PAS SE SAUVER PAR ELLES.

Alors vous méconnaissez l’action des idées, des convictions, de la foi, sur la vie?

D’abord il faudrait s’entendre sur ce que c’est que la foi.

C’est une étude que nous ferons, Dieu voulant, dans un prochain discours. Mais je méconnais si peu l’action des idées, des convictions sur la vie, que je me propose de vous montrer aujourd’hui:

- En premier lieu que l’idée chrétienne, quand elle s’est une fois emparée d’un esprit, conclut à une religion pratique pareille à celle que nous prêche saint Jacques, bien plus, qu’elle y pousse et doit avoir pour effet de la produire;

- En deuxième lieu qu’une telle religion, lorsqu’elle existe quelque part, présuppose chez celui qui l’a adoptée et qui la pratique sérieusement, l’idée chrétienne dans toute son étendue.


Je suppose deux hommes, doués par la nature des mêmes qualités de l’esprit et du cœur, deux frères jumeaux ayant même éducation, même fortune, et participant aux mêmes avantages sociaux. Ils sont tous deux jeunes, riches, et atteignent la plénitude de leurs forces physiques et intellectuelles. Seulement, par un contraste dont on pourrait citer des exemples:

- l’un croit, et c’est chez lui une conviction ferme, qu’il n’y a point de Dieu au-dessus de nous et point de vie après celle-ci;

- l’autre, et ce n’est pas chez lui un peut-être, une possibilité, c’est une certitude, l’autre croit qu’il y a un Dieu qui l’aime, qui lui a envoyé un Sauveur, et qui, sous certaines conditions acceptées dans le fond du cœur, lui prépare une existence bienheureuse au delà du tombeau.

Pensez-vous que la vie de ces deux frères, s’ils sont conséquents à leurs idées, puisse être exactement la même?


Pour suivre notre texte, examinons-les tous deux d’abord sur la charité.

Il est évident que le premier se posera comme but, de se procurer à lui-même pendant cette courte et unique vie le maximum de jouissances possibles, et qu’il développera en lui l’égoïsme qui est tout le contraire de la charité et ne pousse ni au sacrifice ni au dévouement.

S’il fait quelques bonnes actions, ce sera ou par une sorte de bonté naturelle qui n’est heureusement point rare ici-bas, – ou par un reste d’éducation chrétienne dont il faut toujours tenir compte quand on considère des hommes qui valent mieux que leurs idées, ou pour calmer la voix de la conscience qui, bien qu’endormie souvent, se fait entendre même chez l’incrédule, – ou pour s’éviter la vue de souffrances pénibles, – ou simplement pour faire comme les autres, pour se conformer à l’opinion courante qui est pénétrée en beaucoup de choses du levain de l’Évangile et qui veut qu’un homme fasse du bien à ses semblables.

Mais ce bien se fera sans principe arrêté, un peu à l’aventure, d’ordinaire sans esprit de suite, et ne pourra en aucune façon être inspiré par ce sentiment très vif que le Seigneur a allumé dans le cœur de ses disciples: la charité.


L’autre, celui qui croit en Dieu et en Christ, aura un but tout différent.

Ce sera de bien employer sa vie, et de faire, pendant ces quelques années préparatoires à une existence supérieure, le plus de bien possible, pour plaire à Dieu et pour obéir à son Maître. Il regardera les autres hommes non seulement comme ses semblables par le physique et par la destinée, mais comme ses frères et ses sœurs appartenant à la grande famille du Père Céleste; il ne s’occupera pas uniquement de leur corps qu’il faut alimenter ou de leur vie terrestre qu’il faut soulager et réjouir, mais encore de leur âme immortelle qu’il faut sauver avant qu’il ne soit trop tard. Son intérêt pour le prochain prendra nécessairement un caractère poignant, tragique, passionné même dans le bon sens du mot, et il ne croira jamais avoir assez fait.

Son activité bienfaisante trouvera dans les spectacles qui l’entourent aussi bien que dans les faits de sa vie intérieure un stimulant irrésistible, bref, il sera charitable dans toute l’étendue du terme, s’il est croyant comme nous nous le sommes représenté.


Examinons-les maintenant sur la sainteté de la vie.

L’incrédule se fera une morale personnelle conforme à ses principes. La nécessité d’être pur, d’être saint ne lui apparaîtra que comme une rêverie d’illuminé. Il se proposera uniquement d’éviter ce qui pourrait troubler ou abréger ses jours. La crainte de nuire à sa santé, le souci de sa réputation, de ses intérêts qui pourraient, étant donnés les préjugés régnants, être mis en souffrance par une conduite trop ouvertement dissolue, voilà les freins qu’il pourra opposer à ses passions.

S’il est sage, il se conduira donc d’après le précepte du philosophe grec: Rien de trop. S’il ne l’est pas, si les freins susmentionnés sont impuissants contre son tempérament, il se plongera dans tous les vices dont il a le penchant, et s’il vient à en souffrir, il n’aura, dans sa théorie, péché que contre lui-même. Il pourra bien s’accuser d’avoir été insensé, jamais d’avoir été criminel.

Au contraire le croyant, l’enfant du Dieu saint, l’aspirant aux joies pures du ciel, celui qui a compris ce qu’est le péché, ce qu’il coûte à l’homme et à Dieu, celui qui se sent délivré de la condamnation par le sacrifice du Calvaire et de la servitude par l’immolation d’une victime sans tache, regardera la sainteté personnelle comme son premier devoir. Il en fera le but de ses efforts, l’objet de ses prières, le terme de son espérance.

Ne pas la rechercher, ne pas la désirer, ne pas la conquérir par des victoires successives, c’est être infidèle à sa destinée, c’est renoncer au bonheur, c’est commettre un crime contre Dieu. Et ce sentiment, ce besoin qui ne peut autrement que de saisir le cœur de l’homme fermement convaincu des réalités de la foi, est le frein le plus puissant contre les passions charnelles, le préservatif le plus efficace des souillures du monde, et le mobile le plus propre à nous arracher au terre à terre de la vie ordinaire pour nous transporter dans un monde supérieur et plus beau.

Et s’il n’est pas toujours suffisant d’admettre dans son esprit la vérité chrétienne pour sanctifier sa vie, si l’on voit tous les jours des gens qui, proclamant les principes de la religion, se plongent néanmoins dans les souillures du monde, savez-vous pourquoi?

C'est qu’il y a souvent au fond du cœur des doutes sur les vérités que l’esprit admet,

c’est que les principes religieux qu’on affiche sont fréquemment une simple étiquette, une cocarde dont on se pare par une sorte d’entraînement, par une influence de milieu, par un sentiment vague et irraisonné, en sorte qu’on adopte ces vérités, ces principes, non comme des choses absolument certaines, mais comme des choses seulement plus probables que d’autres, et auxquelles on adhère par un choix de préférence, sans les faire siennes par une assimilation personnelle.

C’est aussi, pour un bon nombre de soi-disant chrétiens, par un abus fâcheux des doctrines particulières de leur Église.


Dans le protestantisme, LE DOGME DU SALUT GRATUIT A PU PRODUIRE DANS CERTAINES ÂMES LES EFFETS LES PLUS FUNESTES, y faisant naître la pensée que la conduite importe peu pourvu qu’on croie fermement que Dieu pardonne tout pour l’amour de Christ.

Plus le Seigneur a à pardonner, se dit-on, plus il y a de foi à croire qu’il fait grâce.

Tandis que l’esprit du mal s’agite dans les membres,

tandis que Satan règne dans le cœur,

tandis que l’âme se meurt et que le jugement approche,

ON COMPTE TÉMÉRAIREMENT SUR LA MISÉRICORDE DE DIEU.

Ô l’humaine perversité! De quoi n’abuse-t-on pas?

On va jusque dans l’Évangile chercher les doctrines du salut pour les déformer à l’usage des pécheurs; on va prendre les remèdes que le ciel dans sa bonté a mis à la disposition des hommes, et on les change, ces remèdes, en poisons mortels.


Dans le Romanisme, la doctrine de l’absolution par le prêtre explique un mélange parfois monstrueux de dévotion et de mondanité, d’attachement à l’Église qui absout le coupable et au vice qui met en état d’être absous.

Que de grandes dames qui peuvent faire dater leur dévotion fiévreuse du jour où elles ont criminellement rompu les liens du mariage. Elles ont dès lors en effet d’autant plus besoin de l’Église et de ses grâces qu’elles commettent plus de péchés contre Dieu et les hommes, et elles trouvent dans les messes entendues, dans les chapelles fondées, dans les ornements sacrés brodés de leurs mains, dans les œuvres pies en un mot et surtout dans la fidélité au confessionnal, UN COUSSIN POUR ENDORMIR LEUR CONSCIENCE, une éponge complaisante pour effacer leur souillure. Il y a là une situation dramatique et un état diabolique de l’âme qui mériteraient d’être étudiés par un romancier de talent.


* * *


Si la vérité chrétienne, bien comprise et reçue avec une vraie foi, produit nécessairement la charité et la sainteté, d’autre part, la charité et la sainteté, lorsqu’elles existent chez un individu quelconque, présupposent en lui la possession de la vérité chrétienne. C’est ce qu’il me reste à vous montrer.


Prenons d’abord la sainteté.

Je ne dis pas seulement qu’elle ne saurait se maintenir sans la vigilance et sans la prière, ces deux vertus maîtresses qui nous sont si souvent prêchées dans l’Évangile, car l’homme doit prendre garde aux pièges de toutes sortes qui lui sont tendus, et, dans sa faiblesse, ne peut demeurer saint par ses propres forces et sans le secours d’en haut; j’affirme que la sainteté, même la sainteté toute relative que nous rencontrons ici-bas, n’a jamais pu se produire qu’à la suite de certains faits spirituels que nous allons énumérer.

Il a fallu la régénération, c’est-à-dire un changement de cœur, ce que Jésus appelait une nouvelle naissance, car l’homme est attiré naturellement, par son propre penchant, en sens inverse de ce qui est saint, et il ne peut tourner le dos à son penchant, rompre avec sa nature pécheresse, que par une révolution complète dans ses sentiments.

Pour opérer la régénération, il a fallu l’action de l’Esprit de Dieu, car l’homme est incapable de cette œuvre. La pensée ne lui en vient pas, encore moins le désir. Il faut un plus puissant que lui, agissant en lui et pour lui, et ne cessant plus d’exercer une influence irrésistible sur son être intime.

Pour avoir le Saint-Esprit, il faut aspirer à le recevoir; il faut le désirer, le demander; il faut donc vivre dans l’union avec Dieu, car Dieu, qui respecte la liberté des hommes et qui ne veut que des serviteurs se donnant volontairement à lui, ne marque pas du sceau de son esprit indistinctement toutes les créatures humaines; il choisit celles de ses créatures qui remplissent certaines conditions qu’il a lui-même fixées et que son amour prévoyant propose à tous.

Mais, pour être uni avec Dieu, il faut l’œuvre de réconciliation opérée par le Christ; il faut avoir saisi avec empressement cette main tout ensemble fraternelle et divine qui conduit l’enfant prodigue VERS LE PÈRE DISPOSÉ À ACCUEILLIR LE PÉCHEUR REPENTANT; il faut avoir ouvert son âme, avoir cru à la Parole du Seigneur.

Vous voyez donc que, si nous remontons de degré en degré, jusqu’à la source de la sainteté, nous, trouvons en dernier ressort: l’Évangile de Christ.


Prenons la charité.

J’entends par là l’amour des hommes se manifestant par une activité constante en leur faveur, par une bienfaisance pratique persévérante qui ne soit pas un coup de tête, un simple élan du cœur, momentané et capricieux, mais UNE HABITUDE DE LA VIE.

La charité envers les hommes a son origine dans l’amour pour Dieu.

C’est parce que l’on aime Dieu que l’on aime aussi toutes les créatures de Dieu, même les moins aimables, parce qu’on sait qu’elles sont des objets de la divine sollicitude et qu’elles nous sont confiées. Sans cet amour pour le Seigneur, se soumettrait-on volontiers à toutes les peines, à tous les ennuis, à tous les sacrifices, à toutes les ingratitudes, à toutes les déceptions qui germent dans le champ de la bienfaisance?

L’amour pour Dieu suppose que l’on connaît Dieu tel qu’il est, c’est-à-dire comme l’Être souverainement bon, souverainement digne d’être aimé, comme le Père céleste dont nous sommes les fils et les filles légitimes et pour qui nous devons avoir un sentiment vraiment filial d’attachement et de soumission.

Cette connaissance de Dieu suppose que l’Évangile a été entendu et accepté, bref, que l’on a écouté celui qui a dit:


Nul ne vient au Père que par moi.

Mon Père et moi nous ne sommes qu’un.


Si donc nous faisons pour la charité le même travail d’analyse que pour la sainteté, nous arrivons au même résultat, à savoir qu’elle procède de la foi en Christ.

Il ne me reste qu’à conclure.

Appliquons-nous à la religion pratique qui nous est prêchée par saint Jacques.

Que le but de nos efforts, que notre pensée constante soit d’ajouter la vraie charité à la vraie sainteté, et la vraie sainteté à la vraie charité. Les deux vont ensemble.

L’apôtre ne nous dit pas que la religion pure et sans tache consiste dans l’une ou dans l’autre, mais dans l’une ET dans l’autre. Ce sont les deux rames de la nacelle et si l’une vient à manquer l’embarcation tournera dans une mauvaise direction.


Oui, que ces deux vertus soient le fruit de votre foi, et votre religion sera vraie à vos propres yeux.

Vous aurez la satisfaction de vous sentir dans la vérité pleine et entière, dans le bon chemin, sur la route qui mène, non sans difficultés mais sans détours, dans ce ciel où vous désirez d’entrer et où tout est sainteté et amour.

Et votre religion sera vraie devant les hommes, elle portera avec elle sa démonstration, sa preuve, elle célébrera Dieu aux yeux de tous, elle sera une prédication vivante pour les indifférents et pour les incrédules, et la parole que les anges chantèrent à la naissance de Jésus lorsqu’ils entonnèrent ce cantique: Gloire soit à Dieu, cette parole sera accomplie en vous et par vous.

Et votre religion sera vraie, comme dit l’apôtre, devant Dieu notre Père, qui vous regardera comme des adorateurs SINCÈRES et des membres effectifs de sa famille, qui vous communiquera les joies du salut, la paix de ses bien-aimés, les arrhes de son Esprit, et qui vous dira au dernier jour:


Cela va bien, bon et fidèle serviteur.

Viens prendre part à la joie de ton Maître.





Table des matières