Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

L’ENFANT PRODIGUE

***

Il dit encore: Un homme avait deux fils. Et le plus jeune dit au père:

Mon père, donne-moi la part de bien qui me doit échoir. Et le père leur partagea son bien. Et peu de jours après, ce plus jeune fils ayant tout ramassé, partit pour un pays éloigné, et y dissipa son bien en vivant dans la débauche.

Après qu'il eut tout dépensé, il survint une grande famine dans ce pays; et il commença à être dans l'indigence. Et s'en étant allé, il se mit au service d'un des habitants de ce pays, qui l'envoya dans ses terres paître les pourceaux. Et il eût bien voulu se rassasier des carouges que les pourceaux mangeaient; mais personne ne lui en donnait.

Étant donc rentré en lui-même, il dit: Combien de serviteurs aux gages de mon père ont du pain en abondance, et moi, je meurs de faim! Je me lèverai et m'en irai vers mon père, et je lui dirai: Mon père, j'ai péché contre le ciel et contre toi; et je ne suis plus digne d'être appelé ton fils; traite-moi comme l'un de tes mercenaires.

Il partit donc et vint vers son père. Et comme il était encore loin, son père le vit et fut touché de compassion, et courant à lui, il se jeta à son cou et le baisa. Et son fils lui dit: Mon père, j'ai péché contre le ciel et contre toi, et je ne suis plus digne d'être appelé ton fils. Mais le père dit à ses serviteurs: Apportez la plus belle robe, et l’en revêtez, et mettez-lui un anneau au doigt et des souliers aux pieds; et amenez le veau gras, et le tuez; mangeons et réjouissons-nous; parce que mon fils, que voici, était mort, et il est revenu à la vie; il était perdu, et il est retrouvé. Et ils commencèrent à se réjouir. (Luc XV, 11-24.)


Mes frères,

J'aime à relire et à méditer toutes les paraboles du Seigneur; la simplicité et le naturel de leur composition touchent mon cœur, la vive lumière qui en jaillit éclaire les profondeurs de mon âme, les enseignements variés et solennels qui s'en dégagent nourrissent mon esprit.

Mais il en est une entre toutes qui fait mes délices: c'est celle de l'enfant prodigue.

La finesse et la profondeur des aperçus psychologiques qu'elle renferme, les descriptions fidèles qu'elle nous offre des divers états d'âme par lesquels passe l'homme qui rompt avec Dieu, la peinture vivante qu'elle fait des impressions qu'il subit et le côté paternel de l'amour divin qu'elle nous révèle, contribuent à en faire la plus belle et la plus saisissante des paraboles de Jésus.

Pénétrant jusque dans les replis les plus secrets de l'âme humaine, Jésus y dévoile les rapports les plus intimes et les plus mystérieux qu'elle soutient avec Dieu. Dans un tableau saisissant de réalité il montre comment elle se perd par le péché et tombe dans la misère la plus profonde, comment elle se retrouve par le repentir, et comment Dieu va à sa rencontre et la sauve en lui ouvrant les bras de son infinie miséricorde.


* * *


I


Le péché.


Un homme avait deux fils qu'il aimait d'une égale tendresse et qu'il traitait avec la même affection. Arrivé à l'âge adulte, l'aîné, sentant qu'il était le futur chef de la famille et le représentant de sa race, s'attacha au foyer paternel et travailla sérieusement pour se mettre à la hauteur des devoirs qui lui incomberaient et des responsabilités qui pèseraient sur lui.

Le cadet croyant qu'il n'occuperait jamais qu'un rang secondaire dans sa famille, que sa condition lui imposait plus de devoirs qu'elle ne lui rapporterait jamais de plaisirs, se mit en devoir de relâcher les liens qui le rattachaient à sa famille au lieu de s'appliquer à les resserrer. Il voulut être libre de sa personne et entrer en possession de sa part d'héritage paternel.

D'après la loi mosaïque, le père de famille était tenu de donner au «premier-né une double portion de tout ce qui lui appartenait, parce qu'il était les prémices de sa vigueur; le droit d'aînesse lui appartenait» (Deutéronome XXI, 17.) 

Anticipant donc le partage qui ne devait avoir lieu qu'à la mort du père, il lui demande sa part en argent, afin de pouvoir s'éloigner sans retard du foyer paternel et aller vivre à sa guise où bon lui semblera.

Ce n'est pas que son père lui ait rendu la vie difficile ou amère en le faisant trop travailler, en lui refusant les plaisirs légitimes de son âge ou en le traitant plus mal qu'il ne traitait son frère; non, mais:


IL A CÉDÉ À L'EMPIRE DES PASSIONS QUI LUI ONT SOUFFLÉ LA RÉVOLTE,

il s'est laissé éblouir par les séductions du dehors qui l'attirent avec une puissance qui va devenir irrésistible,

maintenant il trouve qu'il étouffe dans l'atmosphère de la maison paternelle,

que l'ordre et le travail qui y règnent sont devenus un joug insupportable,

que le regard droit de son père le gène et l'ennuie.

IL A HÂTE DE SE SOUSTRAIRE À CET ESCLAVAGE.


Mes frères, c'est l'image fidèle d'une âme dominée par les convoitises de la chair.

Le service de Dieu n'a plus d'attraits pour elle;

sa volonté sainte lui est un joug,

le devoir une servitude dont elle veut s'affranchir à tout prix.

La liberté de penser et de faire le bien ne lui suffit plus, il lui faut la liberté de tout faire à sa guise: c'est l'unique condition du bonheur qu'elle entrevoit comme un mirage trompeur.

Combien de jeunes gens pensent comme l'enfant prodigue et se décident soudainement à fouler aux pieds tout ce qu'ils ont tenu pour sacré jusqu'ici!


Observez que le père de famille consent au partage qu'on exige de lui.

La loi lui donnait le droit de le refuser, et de contraindre son fils à demeurer auprès de lui. Il n'en use pas, parce qu'il sait que la contrainte ne ferait qu'envenimer les mauvais sentiments de son fils contre lui.

Le cœur navré, il lui donne «la part de bien qui lui devait échoir,», c'est-à-dire qu'il lui fournit les moyens de consommer sa révolte et d'alimenter ses convoitises.


Si le père de famille représente Dieu, cela veut dire:

que DIEU RESPECTE LA LIBERTÉ DONT IL A DOUÉ L'HOMME,

qu'il le laisse s'insurger contre sa volonté

et finalement l'abandonne à l'empire de ses passions ameutées.


LE SAINT-ESPRIT CESSE DE LUTTER AVEC LUI

ET LE LIVRE SEUL À LA TERRIBLE PUISSANCE DU PÉCHÉ.


Puisqu'il persiste à se croire plus sage que Dieu, et à vouloir rompre avec lui comme avec un maître trop sévère et trop exigeant, qu'il aille faire les terribles expériences de la vie; elles se chargeront de le ramener à lui.


* * *


II


La misère.


Le voilà libre!

Libre de la règle du foyer paternel,

libre de ses devoirs de fils et de ses obligations d'homme,

libre du travail auquel il a été astreint jusqu'ici.

Sainte discipline, frein salutaire qui a tenu ses mauvais instincts en échec et dompté ses passions, mais qui va désormais lui manquer.


Quel usage fait-il de sa liberté?

Pressé de jouir, à peine a-t-il reçu sa part d'héritage qu'il part pour un pays éloigné, où il dissipe son bien en vivant dans la débauche. Il ne se soucie ni d'économiser le bien que son père lui a amassé à la sueur de son front, ni de soigner sa santé, ni de donner l'exemple de la vertu et du devoir; il n'a qu'un désir:


JOUIR À OUTRANCE DE SA LIBERTÉ ET DE SA FORTUNE.


Quelle peinture saisissante de ce qui arrive à l'homme qui a secoué le joug du devoir et rompu avec Dieu!

Il l'ignore complètement, il le défie même par sa vie de désobéissance et de corruption. Il a roulé si bas dans l'abîme du péché, il est tellement enveloppé par le tourbillon de ses plaisirs charnels, que la pensée de Dieu ne l'aborde même plus.

La liberté que Dieu lui laisse, il la pousse jusqu'aux dernières limites de la licence.

Que dis-je! il la croit sans limites comme il se croit sans responsabilité. Mais quelle est sa folie!


La liberté de jouir a des limites qu'on ne franchit pas impunément.


C'est en s'y heurtant qu'il va en faire la douloureuse mais tardive découverte.

D'abord, il sent que le dégoût succède à la satiété dans son cœur agité, que le remords, cet impitoyable rongeur de consciences, le torture sans repos ni trêve, qu'un sentiment de dénuement et d'abandon élargit chaque jour le vide effrayant que la débauche a creusé dans son âme.

Une voix inexorable lui répète sans cesse:

Tu as fait un mauvais usage de ta liberté, tu as dépensé dans le vice l'argent de ton père, tu as ruiné ta santé, prostitué ton corps, avili ton âme, perdu les plus beaux jours de ta vie, et qu'as-tu reçu en échange?

Ce qu'il a reçu en échange?

La famine, les sarcasmes de ses compagnons de débauche, le mépris de tous.

Il a cru trouver le bonheur en faisant de sa liberté l'instrument de ses passions, au lieu d'en faire la servante du devoir, et qu'a-t-il trouvé?

Le malheureux, il n'a trouvé que le dégoût, le remords et l'abandon!

Au lieu d'être libre, IL SE SENT L'ESCLAVE DE SES PASSIONS qu'il n'a plus les moyens d'alimenter ni la force de dompter.

Que dis-je! Pour subsister il est obligé de se mettre au service d'un étranger dur et exigeant, qui l'envoie dans ses terres paître ses pourceaux, et qui ne lui offre pour toute nourriture que celle que dévorent ces ignobles animaux.


Quelle humiliation, quelle honte!

Lui qui avait refusé de travailler pour son père tendre et bon, le voilà obligé de servir un étranger sévère et grossier.

Lui qui avait refusé la société de son frère et de ses amis, n'a plus que des pourceaux pour compagnons;

Lui qui ne voulait plus de la table de la maison paternelle, il en est réduit à l'auge des pourceaux auxquels il dispute sa part de nourriture grossière.

Quel abandon, quelle honte, quelle abjection!

Ô vous qui avez secoué le joug de la foi et du devoir parce qu'il était trop lourd à porter, ne vous reconnaissez-vous pas dans cette peinture navrante?

Vous avez voulu:

la liberté de l'incrédulité,

la liberté de l'immoralité,

la liberté de l'obligation morale;

vous vous êtes nourris de la littérature qui détrône Dieu et divinise l’homme, qui mine la foi et glorifie l'incrédulité;

vous avez repoussé avec dédain la loi qui vous dictait le devoir de crucifier la chair avec ses convoitises, de dompter vos passions,

et vous avez donné libre carrière à vos appétits charnels et aux convoitises de votre cœur.


Avez-vous trouvé le bonheur?

Êtes-vous contents de votre passé, heureux dans le présent, confiants dans l'avenir?

Ah! si seulement vous aviez le courage de dire la vérité!


* * *


III


La conversion.


L'état de misère dans lequel le prodigue était plongé ne pouvait durer. Ses forces allaient l'abandonner, son courage menaçait de le trahir.

Seul, livré à lui-même, il se mit à réfléchir, ce qu'il n'avait peut-être pas fait depuis son départ de la maison paternelle.

Moment solennel où il fait halte dans sa carrière, se recueille, s'interroge et veut savoir où mène la voie qu'il suit.

Il discute les motifs qui l'ont poussé à s'éloigner de la maison,

il fait la revue des années qu'il a dépensées dans la débauche,

il dissèque les prétendus plaisirs qui l'ont enivrés,

il soupèse le bonheur illusoire qu'il a payé de tout son bien, des meilleures années de sa vie, de l'estime et du respect de sa famille et de ses amis, de son honneur et de son repos.


Et soudain un flot de lumière lui révèle toute l'étendue de sa folie et éclaire d'une lueur sinistre l'abîme où il a roulé. Il en est comme atterré.

Mais voilà que la pensée de son père, qu'il a écartée jusqu'ici, lui revient avec force. Son cœur s'émeut à ce doux souvenir.

Il se rappelle que c'est lui qui a rompu avec son père et fui le foyer domestique, et quelque chose lui dit que son père ne l'a pas maudit, qu'il l'aime encore, qu'il pleure peut-être sur son égarement.

Et soudain il prend la résolution de retourner à la maison paternelle.

Mais il s'humiliera, il se fera petit, il s'accusera amèrement, il implorera son pardon et sollicitera un emploi de mercenaire dans cette maison où il sent qu'il n'a plus de droits.


Mes frères, c'est bien ainsi que se passent les choses dans le cœur du pécheur qui a touché le fond de l'abîme du péché.

Il se réveille, ouvre les yeux, se rend compte de sa profonde misère, de son état de perdition.


C'est le premier pas vers le relèvement.


À l'instant l'amertume du repentir envahit son âme; il s'humilie et cherche le pardon et la réhabilitation. Il n'a pas loin à aller pour retrouver ce qu'il a perdu.

Quoiqu'il ait essayé de chasser Dieu de son cœur, il y est encore, il n'a qu'à y plonger le regard pour l'apercevoir. Il regarde, et quel regard!

Ses sentiments sont changés:

il a horreur de son passé,

il pleure son égarement,

il soupire après le pardon,

il convoite pour ainsi dire la place de serviteur dans la famille de Dieu.

Rentrer en lui-même, se repentir, croire; tels sont les échelons qu'il lui faut gravir pour remonter de l'abîme où il est descendu.


* * *


IV


La réhabilitation.


«Il partit donc et vint vers son père.»

Il n'avait pas cessé d'avoir confiance en son père, il sentait qu'il l'attendait et il espérait qu'il lui pardonnerait.

Mais comme il est changé!

Ce n'est plus le fils insolent et impérieux qui exige, c'est le pauvre abandonné qui sollicite.

N'importe, son humilité le purifie des humiliations qu'il a subies, sa ferme résolution de commencer une vie nouvelle le relève à ses propres yeux.

Il part, c'est-à-dire qu'il met sa résolution à exécution sur-le-champ.

À mesure qu'il approche des lieux où se sont écoulés les plus beaux jours de sa vie, son cœur bat plus vite, des sentiments divers agitent son âme.

Son père vit-il encore?

Va-t-il le recevoir?

Lui pardonnera-t-il?

Consentira-t-il à le recevoir et à lui donner la position de domestique qu'il désire?


Il me semble le voir marcher la tête basse, d'un pas mal affermi. Mais soudain deux bras l'enlacent et une voix bien connue murmure à son oreille des paroles de bienvenue. Éperdu, il s'écrie «Mon père, j'ai péché contre le ciel et contre toi, et je ne suis plus digne d'être appelé ton fils

Mais il n'en peut dire plus long.

Déjà son père lui a pardonné et a donné l'ordre de le couvrir des plus beaux habits et de tuer le veau gras. À peine a-t-il eu le temps de se rendre compte de ce qui s'est passé qu'il se trouve réhabilité et entouré des soins les plus affectueux.

Quelle joie inonde son être tout entier!

Il est donc enfin de retour au foyer paternel. Il y restera, car les douloureuses et humiliantes expériences qu'il a faites, l'ont à jamais sevré du désir d'abuser de sa liberté et de suivre les débauchés qui l'avaient séduit.

Il va se reposer de ses fatigues, se nettoyer de ses souillures et racheter par une vie de travail et de sacrifices les hontes de son passé.


Mes frères, tout cela n'est qu'une image bien pâle de L'AMOUR DE DIEU POUR LE PÉCHEUR ÉGARÉ.

Avant même qu'il songe à revenir il va à sa rencontre.

Sa tendresse guette son retour avec anxiété; sitôt qu'il l'aperçoit de loin son cœur s'émeut de compassion:

il court à lui et lui pardonne même avant qu'il ait formulé son repentir et sollicité sa grâce;

il le réhabilite sur-le-champ et le traite de manière à lui faire oublier son passé et à développer chez lui une reconnaissance infinie.


LORSQUE DIEU PARDONNE IL LE FAIT ENTIÈREMENT ET SANS CONDITIONS,

il n'exige aucune humiliation, aucun noviciat pénible.


Le pécheur réconcilié le sent si bien que sa crainte, ses regrets amers, ses angoisses, ses remords, tout s'évanouit sous les rayons du soleil de justice qui illuminent et réchauffent son pauvre cœur! ....

Ô vous qui avez fait les tristes et pénibles expériences de l'enfant prodigue; vous qui gémissez sous le fardeau de votre misère et qui désirez en être débarrassés, venez à celui qui «a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique»; (Jean III, 16.)

il vous recevra à bras ouverts,

il vous sauvera,

il vous sanctifiera et il versera dans votre âme ce bonheur, cette paix: cette plénitude de la vie que vous avez vainement poursuivie dans les voies du péché.

Comme l'enfant prodigue, vous serez réadmis dans la famille de Dieu que vous avez fuie dans un moment d'insubordination et d'égarement.


Et vous, frères et sœurs qui avez goûté combien le Seigneur est bon, employez-vous au salut de ceux qui, dans le milieu où vous êtes placés, vivent loin de lui parce qu'ils craignent d'aller à lui.

Vous ne sauriez faire une plus belle œuvre.

Il est beau de s'enrichir quand on dépense ses deniers pour le soulagement des pauvres;

Il est beau de surprendre les secrets de la science quand on les met au service de l'humanité souffrante;

il est beau de soulever les masses et de les entraîner au bien par la puissance de l'éloquence;


MAIS:


ouvrir les bras à un prodigue qui revient,

lui pardonner, le réhabiliter et guider ses pas chancelants;

conduire une âme au pied de la croix,

l'aider à se relever, à marcher dans le sentier étroit et à devenir immortelle,


c'est la mission la plus sublime et la plus sainte

que Dieu puisse confier à un homme!


Frères, il veut vous confier cette mission, il veut vous associer à l'exécution du dessein qu'il a formé de sauver les hommes par la folie de la croix, et aujourd'hui il vous invite à commencer dans la sphère d'activité où il vous a placés.

Acceptez avec joie et travaillez avec ardeur. C'est le vrai bonheur sur la terre, ce sera la couronne d'immortalité dans les cieux!


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