Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ÉTUDES ÉVANGÉLIQUES

LA BIBLE ET LA CONSCIENCE

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Ce discours, recueilli par la sténographie, fait partie de la série d’études évangéliques destinée à résumer la doctrine chrétienne)


Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons ouï, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé, ce que nos mains ont touché, concernant la Parole de vie, c’est ce que nous vous annonçons. (1 Jean I, 1.)

Nous avons cherché dans cette suite de discours quelles sont les conditions de la religion appropriée aux besoins de l’homme déchu.

Cette religion, avons-nous dit, n’est pas seulement la communication surnaturelle des vérités supérieures qui seraient révélées au cœur de l’homme; elle est encore LA MANIFESTATION SOUVERAINE DE L’AMOUR DIVIN, intervenant librement pour nous relever et nous sauver.

Elle s’élève bien au-dessus d’une sèche dogmatique; elle est une réalité vivante, un fait, une personne, car ELLE SE RÉSUME DANS JÉSUS-CHRIST. La révélation, d’un mot, c’est la rédemption, et elle se déroule dans une immense et divine histoire.

Où pouvons-nous puiser avec confiance cette histoire?

Où est la source pure qui nous la donne?

Voilà la question qui se pose devant nous. Sans doute, l’œuvre divine se poursuit encore. «Mon père, a dit Jésus-Christ, travaille depuis le commencement du monde.»

Nous pouvons dire qu’il travaillera jusqu’à la fin. Pour ce grand labeur, il n’est point de sabbat, point de repos; l’œuvre de notre rédemption se continue incessamment.

Il n’en demeure pas moins qu’elle a eu un commencement, une période vraiment créatrice et décisive. C’est à cette période qu’il faut remonter, c’est ce grand passé qu’il nous faut connaître.

Il s’agit pour nous de rejoindre le Christ au travers des siècles.

Or, je le demande, quel est le témoignage compétent sur lui et sur son œuvre qui mérite notre entière confiance?

Il est évident que ce témoignage nous est indispensable, car comment croire en Jésus-Christ s’il ne nous est point connu; comment connaître le Christ historique si nous ne pouvons pas remonter le cours des âges, grâce à un témoignage immédiat auquel nous puissions nous fier?

C’est ce témoignage que nous devons chercher à tout prix.


* * *


Les Églises de la Réforme se présentent devant nous avec un livre dans les mains; ce sont NOS SAINTES ÉCRITURES. Leur premier effort a été de les tirer de la poussière du sanctuaire où on les avait reléguées.

Elles nous ont dit d’une voix: Voilà l’autorité souveraine à laquelle vous pouvez vous confier sans crainte. — Je viens justifier cette assertion que j’accepte pleinement. Je désire en déterminer la nature, en m’élevant au-dessus de tous les préjugés, quels qu’ils soient, convaincu que: 


LE PLUS SÛR MOYEN DE RELEVER LA GRANDEUR DES ÉCRITURES,

C’EST DE LEUR ACCORDER L’AUTORITÉ QU’ELLES VEULENT AVOIR

ET PAS UNE AUTRE.


Sur la question générale de l’autorité religieuse, je ne m’arrêterai pas longtemps. J’ai essayé naguère d’en déterminer le vrai caractère en donnant à ce grand sujet les développements qu’il comporte. Je me borne à rappeler les principes qui dominent la question.

Il y a deux genres d’autorité:

1° l’autorité qui prétend s’imposer, l'autorité de contrainte

2° et l’autorité qui persuade.

La première, selon moi, n’est qu’une fiction; elle n’a pas de réalité.

La vérité qui nous est simplement présentée du dehors ne peut pas pénétrer en nous, et quand elle ne pénètre pas en nous, elle est comme si elle n’existait pas; sa souveraineté est nulle.

Pour que la vérité règne sur nous, pour que sa souveraineté soit réelle, il faut qu’elle pénètre jusque dans les profondeurs de notre être moral, qu’elle soit reçue, accueillie par nous, qu’elle soit adorée et aimée. Toute autre autorité est une pure illusion.

De deux choses l’une: ou elle détruit la conscience, consommant un véritable meurtre moral sur l’humanité, et alors elle ne règne que sur la mort; ou bien elle soulève, par une réaction légitime, les révoltes de la liberté humaine, et elle n’a d’autre résultat que d’enfanter la rébellion et par conséquent de s’anéantir elle-même. Les synagogues de tous les temps, malgré leur prestige et leur puissance, malgré leurs excommunications retentissantes, ne font que jouer la comédie de l’autorité.

Il semblait, il y a quelques années, que le catholicisme ultramontain était arrivé d’usurpation en usurpation au sommet de la toute-puissance religieuse; il semblait que son autorité était définitivement consacrée dans l’infaillibilité papale.

Eh bien, NON, ce jour-là l'autorité s’ensevelissait dans son triomphe, car ce triomphe était remporté sur la conscience et la liberté, sur l’âme vivante de l’homme réduite à la passivité, c’est-à-dire au néant.

Plus le nouveau dogme portera ses conséquences, plus il frappera de mort le cœur et l’esprit, si bien que plus l’autorité catholique voudra gouverner, moins elle aura d’empire réel, son royaume sera un cimetière et elle-même ne sera qu’un fantôme.

Le jour de l’apothéose a été pour elle le commencement du suicide, car régner sur ce qui ne vit plus, ce n’est pas régner; c’est ne plus vivre soi-même au sens réel et moral. Que si l’autorité ainsi comprise s’imagine se fortifier en ayant recours à la contrainte matérielle, elle achève de se perdre.

Non seulement la contrainte déshonore la croyance qui l’invoque et qui prouve par là qu’elle ne croit pas en elle-même, mais encore elle la frappe d’impuissance, car en mettant entre elle et l’âme une puissance extérieure, matérielle, elle empêche tout contact direct entre l’âme et l’idée qui désormais demeurent étrangères l’une à l’autre.

L’autorité la plus grande qui ait apparu dans l’histoire est celle de Jésus.

Or rien ne diffère plus de l’autorité des synagogues.

Comment notre divin maître, le roi de nos pensées et de nos cœurs, a-t-il amené captives à lui toutes ces pensées?

Est-il venu le glaive en main, entouré du prestige de la puissance?

NON, cherchez ailleurs ceux qui traînent des robes de pourpre et qui ceignent leurs fronts de diadèmes éclatants:

IL N’A EU D’AUTRE COURONNE QU’UNE COURONNE D’ÉPINES.

Il n’a pas même voulu déployer toute cette puissance divine qu’il possédait; jamais il n’a voulu enfoncer la porte du cœur humain à coups de prodiges, si je puis ainsi dire.

Il a été le plus humble, le plus faible, le plus méprisé des hommes; il a été semblable à la racine qui sort d'une terre desséchée.

Et c’est pour cela qu’il a régné sur les âmes; c’est du sein de sa pauvreté qu’il a voulu présenter la vérité à la conscience, afin que cette vérité l’emportât par sa seule force morale, et C’EST DU HAUT DE SA CROIX QU’IL A CONQUIS NOS ÂMES. Voilà la véritable autorité, l’autorité qui persuade, subjugue par son ascendant spirituel.

Je vous disais dans mon dernier discours que le surnaturel, dans le dessein de Dieu, n’est point en opposition avec l’ordre naturel, mais qu’au contraire, il doit le pénétrer de plus en plus; il en est de même de l’autorité religieuse bien comprise.

Cette autorité n’est pas autre chose que l’autorité de la vérité qui descend du séjour de la lumière parée de sa seule beauté. Bien loin de chercher à s’imposer à nous, elle veut, elle aussi, pénétrer de plus en plus l’ordre naturel, je veux dire, notre pensée, notre cœur, notre conscience, et elle ne connaît pas d’autre moyen de régner sur nous.

Ces principes s’appliquent de la manière la plus directe à l’autorité des saintes Écritures. Le livre de Dieu n’est point un code tombé du ciel, venant promulguer des oracles que nous n’aurions qu’à subir sans les comprendre.

Le livre de Dieu est simplement le livre où Dieu nous parle, OÙ NOUS POUVONS RENCONTRER JÉSUS.

Nous le rencontrons dans ces pages sublimes et touchantes comme au jour de son passage sur la terre les affligés le rencontraient sur les chemins de la Galilée ou dans les rues de Jérusalem. II suffit que la brebis égarée entende sa voix pour reconnaître le divin pasteur et le suivre.

L’Écriture ne s'impose pas à nous de par l’autorité toute extérieure des miracles. Celui qui la remplit a refusé de multiplier les prodiges quand on lui en demandait pour croire en lui. Il n’a pas voulu courber l’âme humaine sous les éclats de sa toute-puissance. Il a fait mieux, il a parlé, et LES CŒURS DROITS se sont écriés: «Jamais homme n’a parlé comme cet homme.»

L’Écriture nous dit à toutes ses pages comme l’apôtre Pierre: «Voyez combien le Seigneur est doux.» Aussi sa souveraineté se fonde-t-elle en définitive sur:


LE CONSENTEMENT DE NOTRE PENSÉE,

DE NOTRE CONSCIENCE ET DE NOTRE CŒUR.


Je ne m’arrêterai pas davantage à ces considérations préliminaires; je n’oublie pas que le point de vue sous lequel je veux aujourd’hui considérer l’Écriture est celui de sa crédibilité, et que je désire vous montrer en elle le témoignage compétent que nous rend le grand passé qu’il nous faut rejoindre.

Je veux établir, autant qu’on peut le faire dans le court espace de temps dont je dispose, qu’elle a tous les titres à notre confiance.

L’Écriture n’est pas la révélation elle-même. La révélation n’est pas un livre, une idée, c’est un fait, une histoire, une personne. L’Écriture sainte est le grand témoin de ces faits divins. Cela suffit à sa gloire. Je n’en veux d’autre preuve que ces paroles de Saint-Jean:

«Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons vu, ce que nous avons entendu, ce que nos mains ont touché concernant la parole de vie, c’est ce que nous vous annonçons.»

Sur le seuil même de mon sujet, je rencontre une objection considérable qui est l’un des principaux motifs de division entre les Églises de la Réforme et le catholicisme.

Que prétend le catholicisme? — Je ne dis pas seulement le catholicisme dégénéré du dernier concile; mais le catholicisme dans ce que sa vraie tradition a eu de caractéristique dans tous les temps?

«Je vénère ce livre divin, nous dit-il; je le conserve avec mes châsses les plus précieuses dans le trésor de mon sanctuaire.

Je reconnais qu’il a le sceau de la Divinité; seulement son témoignage est incomplet; il n’a pas tout dit. Il faut y joindre le témoignage de la tradition orale.

En outre, son témoignage est insuffisant, il faut que son sens soit déterminé par une autorité compétente et qu’il ne soit pas livré à toutes les fantaisies du libre examen.

Enfin, nous ne pouvons nous contenter de ce livre, il nous faut un témoignage vivant, la voix vibrante de l’Église.»

Voilà l’objection; notre réponse sera brève et décisive, je l’espère.

Vous dites que le témoignage biblique n’est pas suffisant et qu’il doit être complété par la tradition orale. Je vous répondrai d’abord que L’IMAGE QU’IL NOUS DONNE DU CHRIST EST VIVANTE ET FIDÈLE, et qu’il renferme de telles richesses de vérité que les siècles ne sauraient épuiser, si bien qu’une seule de ses paroles suffit parfois pour ouvrir à la pensée chrétienne des horizons nouveaux et immenses.

Qu’est-ce au fond que cette tradition orale que vous invoquez?

Je ne nie pas que dans son cours troublé elle n’ait pas traîné quelques paillettes d’or pur. Il n’en est pas moins certain que ses flots ont roulé toutes les fables, toutes les superstitions, comme le torrent impétueux entraîne tout ce qu’il rencontre sur son passage.

Pour vous en convaincre, je n’ai qu’à en appeler à ces écrits apocryphes qui ont pullulé dès le second siècle et qui sont précisément l’écho de cette tradition orale.

Vous y trouverez les légendes les plus absurdes, les contradictions les plus flagrantes.

Sur quoi fonder d’ailleurs cette autorité de la tradition?

Nous ne savons où la saisir; c’est la renommée aux cent voix, aux mille mensonges.

Vous nous permettrez de préférer boire l’eau à la source pure que de la prendre au bas de la montagne où elle arrive souillée par les cailloux et par la fange.

Vous dites qu’il faut l’interprétation souveraine d’une autorité qui empêche les égarements du sens individuel.

VOUS OSEZ PRÉTENDRE QUE DIEU NE POUVAIT PARLER À L’ÂME HUMAINE SANS MULTIPLIER LES MALENTENDUS.

Ne savez-vous pas que la religion est avant tout une relation individuelle entre l’homme et Dieu?

Vous avez peur des erreurs de l’individu!

Expliquez-moi comment deux cents individus ne se tromperont pas aussi bien qu’un seul, et PAR QUELLE TRANSFORMATION MAGIQUE DES FAILLIBILITÉS MULTIPLIÉES CONSTITUERONT UNE INFAILLIBILITÉ?

N’oublions pas d’ailleurs qu’aujourd’hui on en est venu à la plus effrayante unité, puisque DIEU, D’APRÈS VOUS, NE PARLE PLUS QUE PAR UN SEUL HOMME (le Pape).

Je m’empare de votre nouveau dogme pour renverser l’autorité prétendue de votre tradition orale, car enfin c’est d’elle que devrait procéder ce dogme, puisqu’on ne saurait invoquer à son appui le témoignage de l’Écriture, qui nous montre Pierre repris à Antioche par Paul pour un acte qui était tout ensemble une erreur de doctrine et une défaillance morale.

C’est donc à la tradition que vous devez en appeler!

Or, il se trouve que CETTE TRADITION ELLE-MÊME CONCLUT CONTRE VOUS, car il est avéré que plus d’une fois les conciles ont condamné vos papes comme hérétiques.

Non, votre tradition n’est pas même une tradition constante, elle se contredit elle-même, et, en mettant sur l’autel l’idole du Vatican, vous avez aussi bien renversé cette autorité toujours flottante et incertaine que vous avez foulé aux pieds la sainte Écriture.

Que si, complétant votre théorie si peu soutenable de la tradition orale, vous invoquez un tribunal de doctrine qui serait constitué par la succession apostolique, je vous demanderai où et quand il a été constitué.

Le christianisme, comme nous l’avons établi, n’est pas essentiellement un dogme, mais un fait et une histoire. Nous avons besoin avant tout de témoins immédiats et compétents, qui puissent dire avec Saint-Jean:


«Nous avons vu et touché de nos mains ces divines réalités.» 


LES APÔTRES ONT ÉTÉ PRÉCISÉMENT CES TÉMOINS PRIMITIFS; ILS L’ONT ÉTÉ SEULS. Voilà pourquoi leur charge ne passe pas à d’autres.

Ils restent À JAMAIS ces témoins immédiats, nous entendons leurs voix, et leur vraie succession apostolique est dans l’Église universelle, qui par eux à son tour contemple et entend le Christ.

Cette considération m’amène à écarter la dernière objection du catholicisme, d’après laquelle aucun livre, même divin, ne saurait nous suffire, parce qu’il nous faut en témoignage vivant la voix vibrante de l’Église. J’affirme que nous possédons un tel témoignage.

Vous appelez l’Écriture un livre mort.

Oui, il pouvait l’être pour l’orthodoxie méticuleuse du dix-septième siècle, qui avait le bigotisme de la lettre et qui ne savait pas reconnaître le vrai caractère des Écritures.

Pour nous la Bible n’est pas un livre mort.

Elle nous met en présence des grands saints qui ont vu et adoré la manifestation souveraine de Dieu.

Elle nous fait entendre le chœur des témoins inspirés qui ont été des hommes comme nous, et dont la voix retentit encore à nos oreilles pleine de puissance et de vie.

Qu’est-ce que le témoignage biblique, après tout?

C’est la conscience religieuse mise pour la première fois en contact, par l’Esprit de Dieu, avec LA GRANDE RÉALITÉ DE LA RÉDEMPTION, et nous disant ce qu’elle a éprouvé et ce qu’elle a vu. Et vous appelez cela un témoignage mort!

Nous devons insister sur cette pensée, qui me paraît seule répondre non pas à telle ou telle théorie préconçue, mais à la réalité des faits.

Oui, le témoignage biblique bien compris, c’est la conscience religieuse nous présentant la première empreinte de la vérité divine sur la table vivante du cœur humain. Je n’en veux pas d’autres preuves que les paroles déjà citées de Saint-Jean:


«Ce que nous avons vu, dit Saint-Jean,

ce que nous avons entendu concernant la parole de vie,

C’EST CE QUE NOUS VOUS ANNONÇONS.» 


Est-ce là le langage d’un organe passif de la vérité, et une telle inspiration vous paraît-elle ressembler à je ne sais quelle machine pneumatique étouffant l’individualité?

Rien ne ressemble moins à la passivité morte dont vous parlez. Écoutez les grands témoins bibliques s’écrier d’un cœur débordant d’amour: «Nous avons vu, nous avons entendu la Parole de vie!»

Pour voir ces choses célestes, pour entendre ces mots sacrés, il faut avoir secoué la passivité morale et avoir réveillé en soi le sens du divin. Ils étaient nombreux les contemporains du Christ qui l’avaient vu des yeux de leur corps, mais ils ne l’avaient connu que selon la chair et l’apparence. Beaucoup l’avaient entendu, mais ils n’avaient ouï QUE le son de sa voix; ils avaient eu des oreilles pour ne point entendre et des yeux pour ne point voir.

Ces scribes, ces pharisiens, ces savants, ces docteurs, qui avaient été spectateurs de cette grande histoire, n’avaient rien vu, rien entendu de ce qui nous émeut si profondément:

Ils avaient vu ce qui frappait leurs sens, ils avaient constaté la matérialité du fait, mais ils n’avaient pas soupçonné sa spiritualité.

Ils n’avaient pas reconnu davantage ce qui est grand et touchant dans l'enseignement du Maître.

Ils avaient été les témoins de la suprême manifestation de la miséricorde divine à la croix, du spectacle le plus sublime que la terre ait contemplé, et l’évangéliste nous les montre passant en riant et en se moquant devant la croix.

Pour que Paul, qui lui aussi avait commencé par connaître le Christ selon la chair, voit et comprenne le maître divin, il faut qu’il soit roulé dans la poussière du chemin de Damas, écrasé de douleur et de repentir.

Pour que Thomas reconnaisse son maître ressuscité, il faut qu’il tombe à ses pieds en s’écriant: «Mon Seigneur et mon Dieu!»

Rien donc n’est moins passif que cette inspiration des témoins bibliques; elle est essentiellement morale, religieuse, et c’est ce qui fait sa grandeur. L’inspiration des apôtres n’est pas celle d’un oracle inintelligent qui murmure des paroles divines: c’est l’inspiration d’un être vivant et libre, qui a aimé, qui a adoré.....

L’antiquité chrétienne comparait volontiers l’inspiration des Écritures au jeu d’un grand artiste qui tire d’une harpe des mélodies sublimes. Il est pourtant un instrument plus noble que la harpe la plus mélodieuse, c’est l’âme humaine, et Dieu n’a pas brisé la plus belle de ses cordes, la liberté morale.

Il n’y a pas deux inspirations, il n’y en a qu’une: c’est l’inspiration religieuse. La première promesse de l’Esprit-Saint a été faite à tous les premiers chrétiens. Les langues de feu ne sont pas seulement descendues sur les apôtres, mais sur tous les disciples de Christ que renfermait la chambre haute: «Vous avez tous reçu l’onction du Saint-Esprit,» disait Saint Jean aux membres de la primitive Église.

Je prévois l’objection. On me dira: S’il n’y a pas deux inspirations, quelle est donc la différence entre l’autorité des chrétiens d’aujourd’hui et celle de nos écrivains sacrés?

Ces deux autorités se valent, ce qui revient à dire qu’il n’y en a plus, au sens propre du mot. Je pourrais me contenter de répondre que, après tout, la sainte Écriture ne révèle surtout sa divinité à nos cœurs que par le témoignage intérieur et mystique que la Réforme mettait au-dessus de tous les autres comme la pierre de touche décisive du divin. Mais nous ne nous contenterons pas d’un procédé de démonstration aussi sommaire.

À l’objection qui nous est faite que nous anéantissons l’autorité de l’Écriture en n’admettant pas de différence spécifique entre son inspiration et celle de l’Église de tous les temps, nous opposerons une réponse que nous croyons péremptoire.

Tout d’abord nous devons reconnaître qu’il y a une partie de l’Écriture sainte qui n’est pas simplement le témoignage compétent rendu à la révélation, mais qui rentre dans la révélation elle-même et en est comme un des chaînons.

Le prophète qui reçoit les divins oracles après que le charbon a purifié ses lèvres, s’écrie avec raison: «La parole de l’Éternel est sur moi,», car il est à cette heure l’instrument passif de la révélation.

Il en était de même du législateur d’Israël quand la loi lui fut communiquée dans sa substance sur le Sinaï.

Quand Saint Paul et Saint Jean furent transportés jusqu’au troisième ciel par leurs visions, ils étaient dans une situation extraordinaire et exceptionnelle.

Il faut donc mettre à part ce qui dans l’Écriture n’est pas simplement le document de la révélation, mais lui appartient comme partie intégrale.

Si nous en venons à ce que nous pouvons considérer comme le témoignage biblique rendu à la grande histoire de la rédemption, il ne nous sera pas difficile de reconnaître les titres sur lesquels s’appuie sa souveraine autorité.

D’abord nous sommes en présence des témoins immédiats qui ont vu, qui ont touché la Parole de vie, qui ont été les contemporains du Christ et ont vécu dans sa société.

Représentez-vous quel lien étroit avait été formé entre lui et un disciple tel que Jean ou Pierre qui ne l'avait pas quitté, qui l’avait suivi de lieu en lieu, dans les solitudes où il se retirait ou sur le mont glorieux de la transfiguration.

Prenez le chrétien le plus éminent des générations qui se sont succédé après les apôtres. Est-il possible de mettre un seul instant son témoignage sur le même rang?

Sans doute la question préliminaire de l’authenticité demande à être résolue. Vous comprenez que ce serait manquer à la fois à la science et au christianisme que de se contenter sur ce point d’affirmations sommaires.

Pour le moment je me borne aux documents dont la date n’est presque plus controversée, aux trois premiers évangiles, aux premières lettres de Saint Paul qui remontent à l’an 60. Nous sommes en droit d’y voir UN TÉMOIGNAGE AUTHENTIQUE vraiment contemporain de l’histoire qu’il nous a conservée.

Vous savez aussi que la critique est de plus en plus ramenée à admettre la valeur historique du quatrième évangile, ce joyau sans prix des saintes Écritures qui a été, selon nous, l’œuvre du disciple bien-aimé. Le témoignage d’un témoin semblable domine tous les autres et constitue une autorité incontestable.

Ce n’est pas tout: les témoins bibliques ont eu la mission de nous conserver le souvenir du Christ et par là même la révélation. DIEU LEUR A DONNÉ CE QUI ÉTAIT NÉCESSAIRE POUR REMPLIR CETTE MISSION DONT L’IMPORTANCE EST INCOMPARABLE.

S’il n’y a pas deux inspirations, je reconnais qu’il y a une plénitude du Saint-Esprit qu’eux seuls ont possédée et que je ne trouve nulle part ailleurs.

Je ne m’appuie pas pour la reconnaître sur tel ou tel texte particulier, je me mets simplement en face du livre des livres, je me sens inondé de cette pure lumière qui est en même temps une flamme consumante, et je sens que j’aborde avec lui la haute sphère du divin; je reconnais que ces hommes de Dieu ont vraiment manié l’épée de l’esprit à la manière dont ils m’en transpercent.

Je constate qu’il y a là une inspiration qui, dans sa mesure, dans son étendue n’est comparable à aucune autre.

Jamais livre n’a parlé comme celui-là. Je conclus donc en déclarant au nom d’une expérience incontestable, que nous avons dans les témoins bibliques, des témoins qui non seulement ont vu et adoré le Christ, mais qui ont été encore placés dans une situation unique; d’où il résulte que LEUR TÉMOIGNAGE EST SEUL TOUT À FAIT COMPÉTENT ET SOUVERAIN.

Nous en revenons toujours à ce fait que nos écrivains sacrés ont vu et touché la Parole de vie. En eux c’est la conscience religieuse elle-même épurée, vivifiée par l’Esprit divin qui a contemplé de ses yeux les grands faits spirituels qui constituent le salut du monde.

Pour entrer plus avant dans l’appréciation de son témoignage, demandons-nous ce qu’elle a vu en réalité.

Je dirai d’abord ce qu’elle n’a pas vu.

Compétente exclusivement dans l’ordre religieux, elle n’a pas vu ce qui ne s’y rattache pas directement, comme la science, ses lois et ses théories.

DIEU NE FAIT PAS DE MIRACLES INUTILES, il ne révèle pas ce que l’investigation scientifique peut découvrir. Rien ne serait plus dangereux que de réclamer l’infaillibilité scientifique pour l’Écriture: on la compromettrait dans toutes les aventures de nos recherches incertaines.

Qu’a-t-elle donc vu, cette conscience?

Elle a vu d’abord le cœur humain. La Bible n’est pas seulement le grand témoin de Dieu; c’est encore un grand témoin de l’humanité.

Pour bien voir l’humanité, il faut s’élever au-dessus d’elle; c’est quand on s’est élevé jusqu’à Dieu qu’on peut connaître la misère et la bassesse de la créature déchue. Je vous défie de trouver chez le moraliste le plus sagace, une psychologie plus fine, plus vraie que celle de la Bible.

Elle est descendue jusque dans les profondeurs du cœur humain, dans ce sombre abîme où sommeillent les puissances démoniaques du mal qui se déchaînent si souvent dans l’histoire.

Elle a déchiré le voile sous lequel s’enveloppe la créature vaine et superbe, elle sonde toutes les plaies de son cœur malade.

Selon le mot des prophètes, elle a écrit avec un burin de feu les péchés de l’humanité.

La Bible a aussi pénétré le fond de la douleur humaine, et jamais la sombre tragédie de l’humanité n’a été rendue d’une manière plus poignante et plus grandiose.

La plainte de la race malheureuse s’élève du cœur brisé de Job comme le grand cri de l’Océan du sein de ses abîmes. Témoin de nos douleurs après l’avoir été de notre corruption, LA BIBLE NE SE CONTENTE PAS DE LES DÉCRIRE; si elle descend jusqu’au fond de notre dégradation, ce n’est pas à la manière du misanthrope, qui se moque de l’humanité et qui la roule dans sa fange.

ELLE A UNE TENDRE SYMPATHIE POUR LA CRÉATURE DÉCHUE; elle reconnaît ce qui peut rester en elle de divin. De même que l’on cherche les diamants perdus dans la poussière du chemin, de même:


LA BIBLE CHERCHE DANS LA BOUE DU CŒUR HUMAIN

LA PERLE DIVINE QUI SUBSISTE ENCORE.


C’est elle aussi qui exprime avec la plus grande puissance, les nobles tourments, les aspirations sacrées de la race déchue, et c’est en son nom qu’elle s’écrie:


«Mon âme soupire après le Dieu vivant

comme le cerf brame après l’eau courante.»


Ce n’est pas assez de dire à l’humanité ce qu’elle est en réalité et ce qu’elle désire, il faut encore lui dire ce que Dieu a fait pour elle.

La Bible est le grand témoignage de cette œuvre immense de la rédemption; ses témoins ont été présents à toutes ses phases successives, et ils nous en parlent comme des contemporains ou plutôt c’est toujours la conscience religieuse qui, dans les saints des anciens jours, les prophètes et les apôtres, a vu et touché la Parole de vie dans ses diverses manifestations.

Elle était là, cette conscience, au premier âge du monde, gardant le souvenir de l’Éden perdu, ayant conservé, suivant l’expression poétique d’une des plus anciennes légendes de l’Église, comme un parfum de l’Éden.

Elle était là lorsque le Dieu de Jacob et d’Abraham s’entretenait avec les patriarches. Le berger d’Israël, en conduisant ses troupeaux, parlait à ses enfants de la grande promesse qui était son meilleur héritage, et dans les milliers d’étoiles qui brillaient sur ce beau ciel d’Orient leur montrait le symbole de leur descendance bénie.

C’est ainsi que ces révélations faites à l’enfance de l’humanité se sont conservées dans toute leur fraîcheur, et que nous les retrouvons dans ce livre de la Genèse qui est comme l’écho des récits faits sous les tentes des patriarches.

La conscience religieuse était encore là quand Dieu se révéla au législateur de son peuple. Elle se courbait avec lui tremblante devant la montagne de la loi couronnée d'éclairs.

Quelque idée qu’on puisse se faire sur l’intégrité de ce témoignage primitif, il renferme des pages ou l'on retrouve comme le reflet de la splendeur qui illuminait Moïse quand il s’était entretenu avec Dieu.

C’est encore l’âme pieuse qui a vu se dérouler au travers des âges la chaîne des révélations et la série des manifestations divines. Semblable au guet du matin attendant du haut de sa tour la levée de l’aurore avec une inexprimable ardeur, elle attachait à l’horizon un regard de feu pour y voir poindre l’Orient céleste.

Tout l’Ancien Testament palpite de cette sainte attente, et lui aussi nous montre le doigt de Dieu écrivant dans le cœur humain la grande préparation évangélique.

Quand vint le temps des accomplissements, quel fut le premier témoin de l’Évangile?

Ce fut Marie, la mère de Christ, qui «repassait dans son coeur» toutes ces grandes choses de la crèche, d’une poésie si sublime et si tendre. Est-il une personnification plus pure et plus touchante de la conscience religieuse?

Elle aussi elle a redit ce qu’elle a vu avec un saint tremblement, l’enfant divin dans l’étable, les bergers apportant l’écho de l’hymne angélique, le voyage au travers de l’antique désert où Israël avait passé, les scènes du temple et la croissance du Christ en stature et en grâce dans la maison du charpentier.

Cette conscience religieuse n’a-t-elle pas contemplé avec les bateliers du lac de Tibériade toute cette sainte vie du Maître, enseignant, consolant, guérissant, pardonnant la foule travaillée et chargée, rassemblant les brebis dispersées de son troupeau, jusqu’au jour où il se donna pour elles?

C’est de Jean et des saintes femmes agenouillées devant la sainte croix que l’Église a reçu le récit sans pareil de la passion.

Les témoins qui nous l’ont transmis avaient vu de leurs yeux la sainte victime, entendu ses sanglots, son cri d’abandon, son suprême pardon et sort tendre adieu, et l’un d’eux avait mis ses mains dans le trou des clous sur son corps quand le Ressuscité reparut dans la chambre haute.

Sur eux descendit l’Esprit divin après les quarante jours d’oraison et ils furent à la fois témoins et acteurs dans les premières luttes, les premiers triomphes et le premier martyr de l’Église primitive, depuis les premières prédications de Pierre jusqu’aux jours où le grand apôtre Paul inaugura les missions conquérantes, semant l’Évangile sur toutes les plages et le prêchant avec son âme de feu au travers des opprobres et des douleurs, sortant de cette fournaise plus humble et plus consacré à son Maître.

Qui donc nous raconte cette héroïque histoire si ce n’est cette même conscience religieuse?

Qui pourrait dire encore que notre Bible est un livre mort?

Sous la lettre sacrée nous sentons la vie morale frémir, dans toute sa richesse. Nous sommes constamment en présence de témoins qui sont des saints et qui nous disent tous d’une voix:


«Ce que nous vous annonçons nous l’avons contemplé.»


À ce point de vue, nous n’avons aucune hésitation à reconnaître que l’Église a précédé l’Écriture. Qu’est-ce que la sainte Écriture si ce n’est précisément la permanence au milieu de nous de l’Église primitive, la seule qui fasse autorité, précisément parce qu’elle est seule un témoin immédiat et compétent.

Seulement comme nous ne pouvons trouver ce témoin ailleurs que dans la Bible, ce livre est pour nous ce qu’elle serait si cette Église existait sur la terre.

Quoique morts les apôtres parlent encore par lui et par lui seul. La voilà l’autorité souveraine, non pas l’autorité des codes et des Corans, mais l’autorité même du Christ que nous connaissons par ceux qui l’ont tant aimé.

Voilà la première et pure empreinte de la révélation dans la conscience religieuse qui doit nous servir à jamais de critère et de pierre de touche. Il n’est pas possible de s’inscrire en faux contre un tel témoignage pris dans son ensemble sans tomber dans une incertitude incurable.

QUAND JE SUIS EN PRÉSENCE DE CE TÉMOIGNAGE, JE SUIS EN PRÉSENCE DU CHRIST, JE TOMBE À GENOUX ET J’ADORE.

Sans doute la conscience religieuse n’a pas fini son rôle, elle doit conserver au travers des âges cette vérité qui n’a pas d’autre tabernacle que le cœur des disciples de Jésus. N’est-ce pas la conscience chrétienne qui a reconnu dans le cours du temps la valeur unique de ce livre et en a constitué la canonicité?

C’est elle qui la confirme tous les jours.

La conscience religieuse a donc un grand rôle, et quand je constate que dans tous les temps elle nous a CONSERVÉ LE MÊME CHRIST et l'a toujours adoré, je trouve qu'il y a là une magnifique confirmation du témoignage de l'Écriture qui demeure la norme et la règle de notre foi.

C’est à cette source pure que nous irons demander l’histoire de notre rédemption, — s’il nous est permis de reprendre plus tard cette série de discours, — en nous attachant d’abord à l’œuvre de préparation pour en saisir la vraie signification et en suivre l’évolution pendant de longs siècles.

Heureux serions-nous si nous avions réussi aujourd’hui à exciter en vous le désir de vous mettre à l’école de nos grands témoins bibliques pour être conduits par eux aux pieds de Celui auquel chacun d’eux nous renvoie en disant: «Il faut qu’il croisse et que je diminue...»

L’Écriture n’est que son temple; LUI SEUL DOIT ÊTRE MIS SUR L’AUTEL, et l’œuvre des témoins bibliques n’est achevée que quand nous nous retournons vers eux comme les hommes de Sichem vis-à-vis de la Samaritaine pour leur dire:

«Ce n’est plus seulement à cause de vous que nous croyons. Nous aussi nous l’avons vu et entendu et nous pouvons à notre tour devenir ses témoins.»

Voilà la vraie succession apostolique. Puissions-nous en renouer la chaîne!

E. de Pressensé.



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