POLYCARPE, MARTYR DE L’ÉGLISE PRIMITIVE
Polycarpe eut le privilège d’être disciple de saint Jean et de s’entretenir familièrement avec lui des paroles, des miracles et de la doctrine de Jésus. Il dirigea l’église de Smyrne, en Asie Mineure, pendant soixante-quatorze ans, et son ministère fut abondamment béni, comme le prouve le beau témoignage qui est rendu dans l’Apocalypse (II, 8-11). Son zèle ne se démentit jamais et sa mort fut digne de la sainteté de sa vie.
Le souvenir de ses derniers moments est conservé dans une lettre de son propre troupeau, victime comme lui de la fureur des païens et témoin de ses souffrances.
Après avoir signalé la constance et l’intrépidité de plusieurs martyrs, appelés avant leur pasteur à confesser Jésus-Christ au milieu des supplices, cette lettre montre Polycarpe obligé, par l’amour de ses frères, d’éviter un sort semblable en se réfugiant dans la campagne voisine de la ville où sa tête, était mise à prix.
Dans sa retraite, il se préparait jour et nuit, par de continuelles prières, à sa dernière heure et demandait au Seigneur la paix pour l’église. On le recherchait de tout côté, et, se voyant sur le point d’être découvert, il se retira, dans une autre maison en pleine campagne, cédant une seconde fois aux instances des siens qui le suppliaient de veiller sur ses jours dans l'intérêt.de l’église.
Ses ennemis suivaient ses traces et ils se présentèrent, peu de temps après son arrivée, dans le nouvel asile qu’il avait choisi. Ils ne le trouvèrent pas et saisirent, à sa place, deux domestiques dont l’un finit par leur révéler, l’endroit où le saint homme était caché. Guidés, alors, par le traître, les soldats romains sortirent la nuit dans la campagne, armés comme s’ils eussent poursuivi un audacieux voleur. Ils arrivèrent assez tard à la maison où se réfugiait Polycarpe, au moment où il venait de se coucher. Comme sa chambre était située à l’étage le plus élevé, il aurait pu s’échapper en se glissant dans la maison voisine par le toit qui était en forme de terrasse, comme c’est l'usage en Orient, il ne le voulut pas et dit:
«Que la volonté de Dieu soit faite!»
Il reçut ses persécuteurs amicalement. Ceux-ci furent frappés d’admiration à la vue de ce vénérable vieillard; si ferme et si calme, dans un moment tragique, quand tout espoir de salut lui était enlevé. Quelques-uns dirent:
«Est-ce bien la peine d’arrêter un vieillard de cet âge?»
Mais lui, il ordonna, sans tarder, qu’on leur offrît à manger et à boire. Il leur demanda seulement, comme une faveur, la permission de prier tandis qu’ils prendraient leur repas, pendant une heure environ. Sa demande lui fut accordée.
Il pria debout, et il était si rempli de la grâce de Dieu qu’il parla pendant deux heures sans pouvoir s’arrêter.
Les assistants furent touchés et plusieurs d’entre eux se repentirent d’être venus arrêter un homme semblable. Quand il eut terminé sa prière et qu’il eut fait mention de tous ceux qu’il avait connus, petits et grands, nobles et obscurs, et i qu’il, eut imploré la bénédiction de Dieu sur l’Église universelle, l’heure du départ arriva.
On le fit asseoir sur un âne et on le conduisit à la ville. Il rencontra deux personnes de distinction qui le firent monter dans leur char et essayèrent de vaincre sa fidélité chrétienne en lui disant:
«Quel mal y a-t-il à appeler César Seigneur? Quel mal y a-t-il à sacrifier aux dieux?»
D’abord, Polycarpe ne répondit rien, mais comme ils insistaient, il dit:
«Je ne ferai pas ce que vous me conseillez.»
Lorsqu’ils virent qu’ils ne pouvaient le persuader, ils l’accablèrent d’outrages et le poussèrent si brutalement hors du char qu’il tomba et se blessa à la cuisse; mais, sans paraître plus ému que s’il ne lui était rien arrivé, il se rendit avec un visage serein au stade (lieu où avaient lieu les courses et les jeux publics) où ses gardes le conduisaient, Il fut ainsi mené devant le Tribunal et, dès qu’on sut que Polycarpe allait paraître, il y eut un grand tumulte.
Le proconsul lui demanda s’il était bien Polycarpe et lorsqu’il eut répondu affirmativement, ce magistrat commença à l’exhorter en disant:
«Aie pitié de ta vieillesse; crois-tu pouvoir soutenir les tourments dont la vue seule fait trembler la jeunesse la plus hardie? Quelles difficultés fais-tu pour consentir à jurer par la fortune de l’empereur? Sur mon conseil, renonce à ta superstition un repentir n’a rien de honteux lorsque César et les dieux l’exigent; dis donc avec tout ce peuple: «Qu’on ôte les impies! Qu’on perde les impies!»
Alors, Polycarpe, portant ses regards de tous côtés et les arrêtant pendant quelques instants sur la multitude qui remplissait les bancs de l’amphithéâtre, il les éleva enfin vers CELUI qui règne dans le Ciel, puis, d’une voix entrecoupée de soupirs il dit:
«Ôtes les impies!
— Achève, lui cria le proconsul, jure par la fortune de César, maudis le Christ et je te relâcherai.
— Il y a quatre-vingt-six ans que je le sers, répondit Polycarpe, et il ne m’a fait que du bien comment pourrais-je blasphémer contre mon Seigneur et mon Sauveur?
— Jure, par la fortune de César, hurla le proconsul.
— Si tu prétends encore vainement que je jure par la fortune de César, affectant d’ignorer ce que je suis, écoute ma franche déclaration: JE SUIS CHRÉTIEN, et si tu veux apprendre la doctrine du christianisme, assigne-moi un jour et écoute-moi...
— J’ai des bêtes féroces, lui dit le proconsul, si tu ne te repens je te livrerai à elles.
— Appelle-les répondit le martyr, notre esprit ne doit pas se convertir du bien au mal, mais c’est une bonne chose que de passer du mal au bien.
— Je te dompterai par le feu si tu méprises les bêtes féroces. Repens-toi donc.
— Tu menaces du feu qui brûle un instant et qui bientôt s’éteint, mais tu ignores le jugement à venir et le feu des châtiments éternels réservés aux impies. Que tardes-tu? Fais ce qu’il te plaira!»
En prononçant ces paroles et beaucoup d’autres semblables, Polycarpe était rempli de confiance et de joie; la grâce divine resplendissait sur son visage, en sorte qu’il n’était ni abattu, ni troublé par ce qu’on lui disait.
Le proconsul, au contraire, était visiblement embarrassé; il envoya cependant le héraut proclamer trois fois au milieu du stade:
«Polycarpe s’est avoué chrétien.»
Là-dessus, toute la multitude des Juifs et des païens, qui habitaient à Smyrne, s’écria avec fureur:
«C’est le docteur de l’Asie; le père des chrétiens; l’ennemi de nos dieux et le profanateur de leurs temples; qu’il meure et trouve enfin ce qu’il cherche depuis longtemps.»
Ils demandèrent alors au président du stade de lâcher un lion contre Polycarpe. L’heure des spectacles étant passée, cette demande barbare fut refusée. Ils crièrent alors, tous d’une même voix, qu’il fallait le brûler au bûcher. Cette parole s’exécuta plus promptement qu’elle n’avait été prononcée, la multitude courut à l’instant chercher du bois et des sarments dans les boutiques et dans les établissements de bains; les Juifs se montrèrent les plus empressés.
Dès que le bûcher fut préparé, Polycarpe se dévêtit lui-même. Comme on voulait l’attacher au poteau avec des chaînes et des clous:
«Laissez-moi, dit-il, car Celui qui me donnera la force de supporter le feu me donnera aussi la patience de rester immobile sur le bûcher.»
On se contenta de lui lier les mains derrière le dos et, en cet état, il monta sur le bûcher comme sur un autel, pour y être offert à Dieu comme une victime choisie dans Son Troupeau, pour y être consumé comme un holocauste d’agréable odeur.
Élevant ensuite les yeux au ciel, il prononça ces paroles qui furent les dernières de sa vie:
«Ô Père de Jésus-Christ, ton Fils bien-aimé, par qui nous avons appris à Te connaître, Ô Dieu des anges et des principautés, de toute la création et de tous les justes qui vivent en Ta présence, je te bénis de ce que tu m’as jugé digne de voir ce jour et cette heure, afin que je reçoive ma portion parmi les martyrs, dans la coupe de Christ, pour la résurrection en vie éternelle de l’âme et du corps, dans l’incorruptibilité du Saint-Esprit.
Puissè-je être reçu aujourd’hui devant Ton Trône avec les martyrs, comme un sacrifice de bonne odeur, agréable à Tes yeux, que Tu as préparé et promis d’avance, Dieu fidèle et véritable, et que Tu accomplis maintenant l C’est pourquoi je te loue de toutes ces choses; je te bénis et je te glorifie par le Souverain Sacrificateur éternel, Jésus-Christ, Ton Fils bien-aimé, par lequel et avec lequel te soit rendue la gloire dans le Saint-Esprit dès maintenant et à jamais. Amen!»
Quand il eut prononcé «Amen «à haute voix, les bourreaux allumèrent le feu, et la flamme, sortant de tous côtés du bûcher à grands tourbillons, s’éleva jusqu’au ciel. Jésus-Christ reçut dans Son royaume le saint vieillard, dont la jeunesse refleurit pour ne plus se flétrir.
(Le martyre de Polycarpe eut lieu à Smyrne en l’an 167 de Père chrétienne, la sixième année du règne de Marc-Aurèle. Il est rapporté avec ses différentes circonstances dans une lettre que l’église de Smyrne écrivit à celles de Lycaonie. Cette lettre, l’un des plus précieux monuments de l'Antiquité chrétienne, est citée en partie par Eusèbe, évêque de Césarée en l’année 315.)
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