Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

DISCOURS FAMILIERS

D'UN PASTEUR DE CAMPAGNE

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LA CONNAISSANCE ET LE SOUVENIR
 DU PÉCHÉ.

Pour un jour de jeûne.


Mon péché est continuellement devant moi. (Ps. LI, 3/5.)

Que signifient les paroles que vous venez d’entendre?

Est-ce l’aveu d’un coupable que tourmente le souvenir de ses crimes?

Est-ce le langage d’un pécheur qui fait le compte de ses voies, et déplore ses égarements?

Est-ce le cri du remords?

Est-ce le gémissement de la pénitence?


Mes Frères, c’est tout cela ensemble. David qui parle dans notre texte, ce prince si célèbre par sa piété, venait d’en ternir l’éclat; il s’était souillé: il s’endormait dans la fange du vice.

Mais à la voix du prophète il ouvre les yeux; et la contrition de son cœur, la confession de ses fautes, cette confession si franche, tant de fois répétée, les angoisses qu’il éprouve, tout annonce UN HOMME POURSUIVI PAR L’IDÉE DE SON PÉCHÉ, un homme pour qui cette pensée est à la fois la peine la plus sensible et le premier pas qui le ramène à son Dieu.

Tel est l’exemple que nous venons vous proposer. Il nous invite à réfléchir sur une grande vérité:


Rien n'est plus nécessaire que de penser à nos péchés.


Vous développer en peu de mots cette vérité; examiner ensuite si elle a de l’influence sur votre conduite; interroger sur ce sujet vos consciences, c’est le but et le plan de ce discours.

Dans ces jours solennels, vos pasteurs ont successivement recours à tous les moyens de remuer vos âmes.

Ils vous présentent tour à tour la justice et la miséricorde divine, les gratuités du Seigneur et ses vengeances.

Ils vous adressent tour à tour des prières, des reproches, des supplications, des censures.

Aujourd’hui, vivement frappé de la pensée que si nos exhortations demeurent INUTILES, c’est surtout parce que PERSONNE NE SE LES APPLIQUE; parce qu’une orgueilleuse sécurité, principal caractère des hommes de nos jours, semblable à un bouclier d’airain, nous ferme l’entrée des cœurs.

Vivement frappé de cette pensée, que s’il n’est plus de vrais pénitents, c’est que pour le grand nombre des hommes, la conscience se tait et que leurs fautes leur demeurent inconnues, j’ai cru que le ministère de cette journée m’appelait particulièrement à combattre cette illusion.

Ô vous, qui êtes enclins à vous excuser vous-mêmes, qui ne sentez pas encore la honte et la douleur que le péché doit inspirer; et vous qui allez plus loin, qui vous aveuglez sur vos manquements, pour qui L’IDÉE DE VOS FAUTES EST DEVENUE ÉTRANGÈRE;

Je voudrais vous faire sentir qu’il n’est pas de malheur plus grand sur la terre que de laisser endormir sa conscience et de vivre en paix dans le péché.

Je voudrais vous exciter tous, mes chers Frères, à vous examiner vous-mêmes attentivement et de près.

Je voudrais faire naître ou rendre plus vif en chacun de vous le sentiment de ses propres transgressions.

Je voudrais être dans les mains du Seigneur un instrument pour tirer du fond des cœurs ces accents du Roi-Prophète: Mon péché est continuellement devant moi.

Voilà le désir dont je me sens fortement pressé.


Mon Dieu! veuille que ce soit là le fruit de cette journée! qu’au lieu d’une humiliation tout extérieure qui ne ferait que t’offenser, nous te présentions ce cœur contrit et brisé auquel tu daignes regarder, (Ps. LI, 17/19) auquel tu daignes répondre des cieux, auquel tu fais entendre cette parole de consolation et de salut: Venez à moi, vous tous qui êtes travaillés, chargés, et je vous soulagerai..., et vous trouverez le repos de vos âmes! (Matth. XI, 28-29)

Ainsi soit-il.


* * *


I.


Ce qui perd l'homme, mes chers Frères, c’est moins le péché lui-même que l’oubli du péché.

Dominés par les sens, attirés par notre propre convoitise, (Jacq. I, 14) entraînés par les objets extérieurs, nous nous laissons facilement séduire.

Que deviendrions-nous, SI LE PÉCHÉ ÉLEVAIT D’ABORD ENTRE DIEU ET NOUS UN MUR DE SÉPARATION ÉTERNELLE!

Grâces t'en soient rendues, ô mon Dieu! non seulement tu es toujours prêt à recevoir celui qui retourne à toi en invoquant le nom de Jésus, mais tu nous rappelles par la voix de la conscience, par ta parole et par ton Esprit.

Du péché qui nous éloigne de toi, tu fais naître le remords qui nous en rapproche; car on se lasse d’entendre sans cesse retentir à ses oreilles les cris plaintifs d’une conscience effrayée: on se lasse de combattre contre soi-même, de résister sans pouvoir se défendre, de sentir une main invisible qui porte des coups inévitables:

On se trouve mal, dit l’Écriture, de regimber contre l’aiguillon. (Actes IX, 5) Une situation si douloureuse ne saurait être de longue durée, on sent le besoin de chercher du calme et du repos.

Alors, Seigneur, dans tes compassions ineffables, tu te présentes au pécheur abattu; après lui avoir fait connaître son mal, tu ne tardes pas à lui montrer le remède dont il a besoin: TU LUI FAIS ENTENDRE LA BONNE NOUVELLE DU SALUT; tu lui répètes ces déclarations consolantes:

Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. (Luc XIX, 10)

Tous ceux que mon Père me dorme viendront à moi et je ne repousserai point celui qui vient à moi. (Jean VI, 37)

S’il se confie en tes promesses, s’il se prosterne devant toi, s’il avoue et déplore ses égarements, s’il jette au pied de ta croix le fardeau sous lequel il succombe, oh! alors, Seigneur, comme le père de l’enfant prodigue, tu le prends dans tes bras, tu le rassures, tu lui dis:


VA EN PAIX, TES PÉCHÉS TE SONT PARDONNÉS; TA FOI T’A SAUVÉ.

(Luc VII, 48-50)


Telle est l’heureuse expérience que fit des bontés du Seigneur l’illustre pénitent qui parle dans notre texte:

Pendant que je me suis tu, s’écriait-il, mes os se sont consumés. Ta main, ô mon Dieu, s’appesantissait sur moi; ma vigueur s’est changée en une sécheresse d'été.

Mais dès que je t’ai offert le sacrifice d'un cœur brisé, dès que j’ai dit: Je confesserai mes transgressions à l'Éternel, tu as ôté la peine de mon péché; c'est pourquoi celui que tu aimes te cherchera dans le temps qu’on te trouve. (Ps. XXXIII, 3-6)

Il est vrai, mes Frères, que même après ce pardon, le souvenir du péché ne s’efface point de l’âme pénitente.

MAIS CE SOUVENIR N’EST PLUS POUR ELLE QU’UN PRÉSERVATIF CONTRE LES RECHUTES,

un sujet d’en fuir l’occasion,

de se défier d’elle-même,

d’admirer, d’adorer davantage les miséricordes du Seigneur.

Ainsi cette pensée, loin d’être encore un châtiment rigoureux, devient la source des mouvements les plus nobles et les plus doux, la source des précautions salutaires que prescrit l’Évangile pour détruire le péché et purifier le pécheur.

Voilà ce que vous n’avez jamais compris, ô vous qui voudriez vous étourdir sur vos désordres, qui cherchez non à vous réconcilier avec Dieu, mais à jeter votre conscience dans la sécurité; non à fléchir le courroux de votre Juge, mais à vous dérober à l’agitation de votre âme; non à renoncer au péché, mais à repousser le remords!

Hommes ingrats et aveugles. Dieu vous aime plus que vous ne vous aimez. S’il vous trouble dans vos péchés, s’il vous montre la profondeur de vos plaies, c’est pour que vous désiriez d’être guéris. S’il veut que vous vous jugiez vous-mêmes, c’est afin de n’avoir pas à vous juger; c’est afin que vous ne soyez pas condamnés avec le monde. (1 Corinth. XI, 31)

Qu’il est affreux, au contraire, le sort de l’homme qui ne pense point à ses péchés, et qui peut vivre dans cet état sans crainte!

Le voilà calme, tel qu’il voulait être.


ELLE NE PARLE PLUS CETTE VOIX DE LA CONSCIENCE QUI L'A TANT INQUIÉTÉ.


La grâce a éteint son flambeau et ne brille plus pour lui d’une lumière importune. Mais à quel prix a-t-il acheté cette paix incompréhensible?

Écoutez-le et frémissez en considérant la route qu’il a dû suivre.

La conscience étant chargée de nous attacher à l’observation de la loi et d’en punir la violation; pour lui imposer silence:

il a fallu chercher avant tout à ignorer la loi, à l’oublier.

II a fallu ne plus ouvrir la Bible,

ne plus lire la parole de Dieu,

ne plus venir dans ces temples où l'on nous l’explique, où l’on serait forcé de l’entendre:

en un mot, il a fallu craindre de s’instruire, de peur de trouver que la loi condamne précisément ce que la passion exige.

Mais il est des devoirs naturellement connus; il est des commandements écrits dans nos cœurs y puisque la conscience leur rend témoignage et que les diverses pensées que nous avons nous accusent ou nous défendent. (Rom. II, 15)

Dans ce cas, ne pouvant obscurcir la loi:

il a fallu s’en déguiser l’infraction, parer ses fautes de quelque titre honnête, de quelque prétexte spécieux, de quelque nécessité prétendue.

Il a fallu PERVERTIR SA CONSCIENCE en lui faisant ADOPTER LA MORALE DU MONDE ET DES PASSIONS.

Mais il y a des péchés sur lesquels le monde prononce comme la conscience. Pour en éloigner de soi l’idée, il a fallu fuir la retraite, n’oser se trouver avec soi-même, s’étourdir, se perdre dans le tumulte des affaires ou dans le tourbillon des plaisirs, afin que la voix de la conscience ne pût se faire entendre.


Mais, malgré tous ces soins, on voit naître autour de soi la solitude. La passion a ses moments de lassitude et de dégoût, où la foi pourrait ranimer la conscience, la détromper.

Pour la laisser dans son erreur ou son assoupissement, il a fallu CONTESTER LES VÉRITÉS LES PLUS ÉVIDENTES, prêter l’oreille, ouvrir son cœur à tous les sophismes de l’incrédulité, à tout ce qui peut aveugler l’esprit, de peur qui ne soit éclairé par la lumière du glorieux Évangile de Christ. (2 Corinth. IV. 4)


Voilà les sacrifices que le pécheur a dû faire pour se tranquilliser dans ses désordres.

Il a tout immolé, sa raison, sa conscience, sa religion.

Il a contristé le Saint-Esprit de Dieu (Eph. IV, 30) et l'a forcé de s’éloigner.

Il a effacé son image; tout en lui-même est gâté, corrompu; plus de sentiment, plus de vie!


Que deviendra donc enfin cette âme criminelle, insensible?

Hélas! elle ne se réveillera que dans l’éternité.... quel réveil, ô mon Dieu! un coup de foudre vient de l’abattre, une lumière nouvelle l’éclaire; les horreurs de la justice divine l’environnent et la saisissent; tous ses péchés se retracent à sa mémoire; les passions ne les dissimulent plus.

Ah! si la repentance pouvait encore les réparer! si le sang du Sauveur des hommes pouvait encore les expier, les effacer?

Mais le temps de la patience est passé: APRÈS LA MORT SUIT LE JUGEMENT. (Hébr. IX, 27)

Plus de grâce: plus de délai. Il ne reste plus de victime pour le péché, dit l’Écriture; (Hébr. X, 26) il n’y a plus que la conscience qui le découvre; que la loi de Dieu qui le condamne, et sa justice qui le punit. Affreuse, affreuse perspective!

Malheur à nous, mes Frères, si lorsque la religion parle avec tant d’énergie et nous annonce des vérités si terribles, nous n’étions pas profondément émus!

Malheur à nous, si dans ce moment notre première idée, notre premier désir n’était pas d’interroger notre conscience et de faire le plus sérieux retour sur nous-même!


* * *


II.


Ne vous semble-t-il pas, Chrétiens, qu’il suffit de conserver quelques restes de foi ou même de bon sens pour être frappé de l’importance de la vérité que nous vous avons exposée?

On penserait sans doute que nous en sommes occupés, qu’elle influe puissamment sur notre conduite, et que si elle ne peut nous garantir de toute chute, du moins elle nous empêche de vivre tranquilles dans le péché.

Cependant que se passe-t-il dans le monde?

J’y vois des hommes agités, empressés, inquiets; mais quel est l’objet de leurs sollicitudes?

Est-ce le combat toujours renaissant qu’ils ont à soutenir contre le monde et leur propre cœur?

Est-ce la faiblesse et la corruption de notre nature?

Est-ce l’état de leur âme, le souvenir de leurs chutes, le désir de racheter le temps perdu, (Eph. V, 16) de croître dans la grâce et dans la connaissance du Sauveur? (2 Pierre III, 18)

Est-ce le compte qu’ils auront à rendre?

Est-ce cette alternative de bonheur ou de malheur qui nous attend au delà du tombeau?

Non, mes Frères; rien de tout cela. Ce qui les occupe, ce qui les absorbe:

c’est quelque misérable intérêt de la terre;

c’est une chétive possession qu’ils voudraient agrandir, améliorer; une acquisition qu’ils méditent, une intrigue qu’ils ont ourdie, un procès qu’ils ont à soutenir, une partie de plaisir qu’ils ont à combiner; peut-être même plus coupables,

c’est une vengeance, une injustice dont ils ont conçu le projet.

Tout occupés de leurs penchants, de leurs plaisirs, de leurs travaux, ILS COURENT DANS LA VOIE OÙ LES APPELLE LA PASSION QUI LES DOMINE!

Ils sont entraînés par le tourbillon des soins du monde et de ses vains projets; ils passent des affaires au plaisir, du plaisir aux affaires; et dans cette agitation:


ils n’ont ni le temps ni la volonté de songer aux intérêts de leur âme.


Ô aveuglement! Parmi cette foule d’hommes qui tous ont offensé le Souverain, qui tous, mille et mille fois, ont mis en péril leur âme immortelle, il n’en est presque aucun qui s’en occupe, qui s’en inquiète.

Leur sentence se prépare, le glaive de la justice divine est suspendu sur leur tête, et ils baissent les yeux pour ne pas le voir, et BOIVENT À LONGS TRAITS DANS LA COUPE DE L’ÉTOURDISSEMENT.

Dans leurs premières années, il est vrai, ils eurent plus de sensibilité, plus de délicatesse; alors les moindres fautes les jetaient dans le trouble et la douleur; mais en avançant en âge, ils ont vu s’affaiblir ces heureux sentiments.

Hélas! qu’ils sont aujourd’hui différents d’eux-mêmes! par le plus étonnant, par le plus affligeant contraste, à mesure que leur raison plus développée leur apprend à mieux connaître la nature des choses et les dangers auxquels ils sont exposés, ils s'effraient moins du plus terrible des dangers! à mesure que leur conscience se charge de plus de fautes, elle acquiert plus d’insouciance ou de sécurité! Ils en viennent à croire qu’ils n’ont rien ou presque rien à se reprocher: ils, n’écouteraient pas sans impatience celui qui oserait les reprendre et leur présenter le miroir de la vérité.

Ô Dieu, tandis que l’Écriture nous déclare que tous ont péché, que tous doivent être reconnus coupables devant Dieu, (Rom. II, 19, 23)

tandis que des apôtres, des saints dont la fidélité se démentit si rarement, et qui se relevèrent de leurs fautes avec tant d’éclat, se sont appelés eux-mêmes pécheurs, les premiers des pécheurs, (1 Tim. I, 15)

tandis que des chrétiens de toute condition, l’exemple et l’édification de l’Église, la consolation de tes ministres, avouent en gémissant que sur mille articles ils ne pourraient répondre à un seul;

des hommes dissipés, mondains, qui témoignent les uns contre les autres en s’accusant mutuellement, en se plaignant de la dépravation générale, DE TELS HOMMES SONT TRANQUILLES ET CONTENTS D’EUX-MÊMES!


Hélas! que prouve-t-elle cette tranquillité funeste, si ce n’est les ravages du péché?

Il efface de leur cœur jusqu’au souvenir de la loi, il y détruit même l’instinct moral.

Aussi, dans ces jours solennels où la religion nous appelle à vous adresser des exhortations plus pressantes et des remontrances plus fortes, à vous présenter le tableau des mœurs publiques, ce qui nous afflige et nous épouvante,

c’est moins les maladies que nous découvrons dans plusieurs de ces âmes qui nous sont confiées, que le peu de douleur qu’elles en ressentent;

c’est moins leur corruption que leur insensibilité;

c’est moins les sombres couleurs de la peinture que nous avons à vous offrir que l’aveuglement de ceux qui ne veulent pas s’y reconnaître.

N’attendez donc pas en ce jour que je l’expose à vos yeux cette peinture si douloureuse pour l’âme d’un pasteur. Elle ne servirait peut-être qu’à révolter le coupable, à blesser son orgueil, à lui fournir l’occasion d’exercer sa malignité, d’appliquer à d’autres les traits qui lui conviennent.


Une autre pensée me trouble et m’occupe; je viens vous confier l’effroi que m’inspire votre (fausse) sécurité; je viens jeter au milieu de vous ce cri d’alarme:


Réveille-toi, toi qui dors; lève-toi d’entre les morts

et Christ t’éclairera.

(Eph. V, 14)


Vous tous que les affaires, les plaisirs, les passions de la terre, appesantissent et détournent du vrai but, du grand but de l’existence; vous que rassurent les illusions de l’orgueil, ou l’autorité de l’exemple, ou de vains sophismes sur la miséricorde divine, réveillez-vous: EXAMINEZ-VOUS, AVANT QUE LE DÉCRET ENFANTE. Sentez votre misère et menez deuil; que votre ris (rire) se change en pleurs et votre joie en tristesse. (Jacq. IV, 9; Soph. II, 1-2)

Eh quoi! si c’était la santé passagère d’un corps prêt à se dissoudre que vous fussiez menacés de perdre, vous seriez émus, vous vous livreriez à l’inquiétude!

Vous répandez des larmes lorsqu’un ami perfide vous trahit;

vous gémissez lorsque vos vues terrestres sont déconcertées;

vous menez deuil lorsqu'on vous ravit les jouets qui vous distraient!

Et les biens et les maux qui peuvent enrichir votre âme ou la perdre, seraient les seuls qui ne pourraient l’ébranler!

Votre apathie, votre indolence, votre indifférence à l’égard de ces grands intérêts, serait égalé à l’ardeur dont vous brûlez pour ce qui n’est que vanité!

Hélas! c’est ainsi que, par une double attaque, l’ennemi de notre salut réussit à nous perdre.

Au dehors, il séduit, il entraîne;

Au dedans, il émousse la sensibilité, il aveugle l’entendement, et par degrés, il endurcit la conscience.

Mais, direz-vous peut-être, nous ne nous aveuglons pas sur nous-mêmes; nous reconnaissons sans hésiter que nous sommes pécheurs.

Eh bien! mes Frères, je prends acte de cet aveu et je vous somme ici, dans ce temple, sous les yeux du Juge souverain, de vous demander, chacun à soi-même, quelles sont les fautes dont vous vous reconnaissez coupables

Quoi donc! Vous êtes embarrassés! CONTENTS D’UNE CONFESSION VAGUE, INDÉTERMINÉE, vous répugnez à entrer dans aucun détail, et dans le secret même de votre âme, vous avez peine à reconnaître en vous tel ou tel vice, tel ou tel défaut particulier.

Ah! vous vous trompez vous-mêmes. Ces expressions: Nous sommes pécheurs, hélas! que signifient-elles dans votre bouche?

C’est comme si vous disiez: Je suis homme; je suis d'une nature faible et fragile. Cet aveu prétendu n’est réellement qu’une excuse. Loin qu’il soit pour le pécheur une humiliation véritable, c’est son apologie la plus commune. L’attrait était séducteur, se dit-il à lui-même, la tentation violente, l’intérêt pressant. Pour tenir contre l'orage, il aurait fallu être un de ces cèdres du Liban qui résistent aux vents, à la tempête, et je n’étais qu’un faible arbrisseau.


Je vous le demande maintenant: cet aveu dont le transgresseur se fait un titre à l’indulgence, cet aveu qui fait pour ainsi dire sa consolation, qui adoucit ses crimes à ses yeux, et les lui fait pleurer avec moins d’amertume, est-ce un signe qu’il les connaît, qu’il en est pénétré?

Nous sentons que nous sommes pécheurs! Peut-être le sentez-vous en effet quand il s’agit d’un tort grave qui a produit pour vous des fruits empoisonnés, qui a porté atteinte à votre réputation ou blessé vos intérêts.

Mais le reconnaissez-vous, le sentez-vous, quand il s’agit de ces fautes plus légères en apparence qui échappent aux yeux des hommes et dont Dieu seul est offensé? 


Cependant, Chrétiens, ce qui fait la grandeur du péché, n’est-ce pas la majesté suprême, la sainteté, la bonté de ce Dieu que nous outrageons?

Cette idée seule que nous l’avons outragé, cette idée seule, si nous l’aimions, si nous comprenions ce qu’il est et ce que nous sommes, ne porterait-elle pas à notre cœur une douloureuse atteinte?

Ces péchés d’ailleurs que vous comptez pour peu de chose, que vous ne songez point à éviter, ne forment-ils pas dans l’âme une habitude funeste de céder à la tentation, une habitude funeste de faiblesse, de fragilité, qui la perdra dans des occasions plus dangereuses?

NE SONT-ILS PAS LES PREMIERS DEGRÉS PAR OÙ ELLE DESCEND DANS L’ABÎME?

Il y a plus: si vous évitez les excès scandaleux, les désordres criants, si votre vie est régulière en apparence, cette régularité prétendue qui vous classe aux yeux des hommes parmi ce qu’on appelle les honnêtes gens, n’est-elle point un voile qui vous déguise les plaies secrètes de votre cœur?

Si vous le souleviez ce voile, qu’apercevriez-vous?

Peut-être un orgueil capable lui seul de vous perdre;

un orgueil qui vous fait mépriser les autres hommes et oublier notre grand Bienfaiteur;

des ressentiments, des haines, des désirs de vengeance, que réprime le soin de votre repos ou de votre honneur, mais qui vivent et se consomment dans votre âme;

de secrètes impatiences,

des murmures contre les dispensations de la Providence;

toujours au moins cet attachement trop vif aux choses du monde qui est inimitié contre Dieu, (Jacq. IV, 4) qui est une idolâtrie devant Dieu, (Eph. V, 5) parce qu’il est une préférence du monde à Dieu.


Or, mes Frères, DE TELS PÉCHÉS NE SONT-ILS PAS AUSSI GRANDS AUX YEUX DE CELUI QUI SONDE LES CŒURS?

Ne devraient-ils pas vous être aussi odieux que ceux qui sont punis par les lois et qui vous déshonorent aux yeux des hommes?

Ah! s’il était dans cette assemblée quelqu’un de ces pécheurs qui ne se rassurent, comme le Pharisien, que parce qu’ils ne sont ni adultères ni ravisseurs, (Luc XVIII, 11) DONT LA CONSCIENCE SE TAIT, quoiqu’ils soient aussi fermement attachés au monde, aussi esclaves de la chair dans leur train de vie régulier en apparence, que d’autres le sont dans des péchés plus criants, que me resterait-il à faire?

J’élèverais la voix, je lui dirais comme le précurseur du Messie: Malheureux! qui vous apprendra à fuir la colère à venir? (Matth. III, 7) ou plutôt, n’attendant plus rien d’un cœur si profondément dépravé, je verserais sur lui des larmes de sang, et je m’écrierais:

Ô mon Dieu! il ne pense point à ses péchés; il n’y pensera jamais, et sans un miracle de ta grâce, il mourra dans l’impénitence!

Nous sentons que nous sommes pécheurs!

Vous le sentez confusément; vous le soupçonnez peut-être, mais qu’il y a loin de cette vue obscure, indéterminée, à cette image de nos fautes qui nous les offre dans leur vrai jour, sous leurs plus vives couleurs, et qui faisait dire à David: Mon péché est CONTINUELLEMENT devant moi!

Ce ne serait pas même assez que l’esprit fût éclairé, il faut que le cœur se réveille, qu’il se trouble, qu’il s’indigne contre lui-même, qu’il éprouve cette émotion profonde qu’excite en nous la pensée du plus grand intérêt, qu’il soit disposé à tout pour sortir d’une situation si dangereuse.

Alors seulement disparaît cette apathie, cette pesanteur, cette stupidité du pécheur qui, sans se méconnaître entièrement, semble s’être oublié lui-même et vivre sans réflexion sur les suites de son état. Alors seulement on dit avec vérité comme le publicain pénitent;


Ô Dieu, aie pitié de moi qui suis un pécheur!

(Luc XVIII, 13)


Or, mes Frères, ces vifs mouvements, ce sentiment profond, les éprouvons-nous?

Cette assemblée, je l’avoue, présente à des yeux mortels, une réunion de chrétiens recueillis et touchés; mais, ô mon Dieu! quel spectacle offre-t-elle à tes regards?

Qu’y découvres-tu?

Quelques vrais disciples de Jésus qui font pénitence, qui gémissent sur leurs propres infidélités et sur celles de l’Église; mais en parler en général, que découvres-tu dans cette assemblée?

Des hommes que tu appelles à s’humilier, à demander grâce, et qui ne s’humilient point réellement, qui ne demandent grâce que des lèvres;

Des hommes que le péché sépare de toi et qui n’aperçoivent pas même cette barrière qu’il faudrait renverser;

Des hommes en un mot qui, pour s’approcher de toi, ont besoin de s’amender; qui pour s’amender ont besoin de se connaître, et qui s’entrevoient à peine.

Oh! qui le déchirera ce fatal bandeau qui leur ôte la vue d’eux-mêmes?

Qui leur donnera le sentiment de leur danger

Si au dessous des fondements de ce temple, il y avait un volcan dont les feux souterrains dussent éclater en peu d’instants, le renverser et nous ensevelir sous ses débris; si cet épouvantable désastre se préparait pendant que, calmes et tranquilles dans ces parvis, nous n’avons aucune idée du péril qui nous menace, Grand Dieu! que notre sort serait affreux! Que la sécurité qui nous le dérobe serait terrible!


Eh bien! mes Frères, ce n’est là qu’une faible image de la situation du pécheur aveuglé, de la sécurité qui lui cache un avenir redoutable.

La terre qu’il foule sous ses pas va bientôt l’engloutir. Ce sanctuaire, qui est un asile pour les cœurs brisés, pour ceux qui se sentent travaillés et chargés, n’est plus pour lui qu’un LIEU OÙ, PAR UN CULTE HYPOCRITE, IL IRRITE LE SEIGNEUR, il allume les flammes de son courroux, qui vont le consumer.

Oh! qu’il est donc important pour l’homme de se voir tel qu’il est, de se connaître lui-même! que l’ignorance de son propre cœur peut être terrible dans ses suites!


* * *


III.


Voulez-vous donc. Chrétiens, voulez-vous réellement, fortement, vous voir tels que vous êtes? voulez-vous exciter en vous-mêmes ce sentiment de vos infidélités, qui est le premier pas vers une nouvelle vie?

En voici les moyens:

1° Le premier, c’est ce désir lui-même, CET AMOUR SINCÈRE DE LA VÉRITÉ qui demande la lumière, lors même qu’elle devrait nous condamner; qui soupire après elle, et malgré la répugnance de l’amour-propre, malgré les alarmes des passions, quoiqu’il en coûte, nous presse de la chercher, nous fait trembler de la méconnaître, nous détermine à la voir, à l’entendre pendant qu’il en est temps, AVANT qu’elle s’élève contre nous; AVANT qu’elle prononce ses derniers, ses foudroyants arrêts.


2° Un second moyen, c’est d’apporter dans l’examen de soi-même l’attention la plus profonde, LA PLUS SCRUPULEUSE IMPARTIALITÉ.

Le pécheur ressemble d’ordinaire à un sépulcre blanchi, (Matth. XXIII, 27) à une statue d’argile ou de boue recouverte d’un vernis brillant et trompeur qui en impose aux yeux des autres hommes et aux siens propres.

Il faut percer cette surface mensongère. Il ne faut pas se borner à l’extérieur, à l’apparence de nos actions;

il faut descendre dans le plus secret de la conscience, en développer les replis, y chercher les ressorts qui nous font mouvoir, les motifs qui nous décident, les principes qui nous dirigent, les passions qui nous inspirent.

Il faut se juger, non d’après l’opinion d’un public abusé, ou d’amis prévenus, ou d’inférieurs intéressés à nous flatter, mais d’après les avis de ceux qui nous aiment assez pour nous reprendre; non d’après l’exemple du siècle ou de nos sociétés, mais d’après la loi.

Il faut, dit l’Écriture, en appeler sans cesse à la loi et au témoignage. (Ésaïe VIII, 20)

Il faut nous interroger sur chaque précepte, comparer avec eux chaque action de notre vie, chaque sentiment de notre cœur.


3° Enfin, mes Frères, il faut ajouter à cette droiture, à cette impartialité, UN RECOURS ARDENT À L’ESPRIT DE LUMIÈRE, pour lui demander de répandre en nous ses invisibles clartés.

Qu’est-ce que la raison de l’homme? nous l'avons vu: notre siècle a été témoin de ses erreurs, de ses écarts, de son délire. Chacun de nous, par une expérience plus particulière, a trop souvent éprouvé comment, à notre tribunal secret où nous prononçons sur nous-mêmes, le juge est aisément séduit par l’intérêt, les penchants, l’amour-propre, ou abusé par sa propre faiblesse.

Si l’amour de la vérité vous inspire, si vous cherchez avec attention à bien vous connaître, vous en serez plus frappés de cette faiblesse, de cette impuissance de la raison. Vous sentirez que vos doutes ne sont pas assez éclaircis, que votre incertitude n’est pas dissipée sans retour. Vous vous élèverez, comme par un mouvement naturel, au Dieu de vérité; vous le conjurerez d’ouvrir les yeux de votre entendement, afin de vous voir et de vous connaître.

Alors une voix se fera entendre au dedans de vous, voix pure et céleste qui prononce sans appel, sans hésitation, et ne trompe jamais. Une lumière divine brillera au milieu de l’obscurité, de la confusion de la nature. Ces vapeurs, formées par le péché, se dissiperont devant elle comme les nuées s’évanouissent au lever d’un soleil éclatant.


Ô Seigneur! qui pourrait produire en nous ces heureux effets, si ce n’est toi?

Qui pourrait nous la donner, si ce n’est toi, cette précieuse connaissance de nous-mêmes?

Auteur de toute grâce, DÉPOUILLE-NOUS DE CE VOILE DE L’AMOUR-PROPRE que nous ne pouvons arracher sans blessure! Fais-nous sentir que, loin d’être riches; comme mous le croyons peut-être follement, nous sommes pauvres, aveugles et nus. (Apoc, III, 17) Fais naître en nous ce vif sentiment de notre infidélité, de notre ingratitude, de notre indignité; ce sentiment mêlé d’humilité et de foi, de regrets et d’espérance, de douleur et de délices: cette tristesse selon Dieu qui produit une repentance à salut! (2 Corinth. VII, 9-10)

Que l’impression de ta grâce se confondant avec celle des maux que nous nous sommes faits, nous fasse gémir du passé et mettre à profit l’avenir! qu’elle nous attire, qu’elle nous entraîne dans une route nouvelle, par reconnaissance pour Celui qui nous l’a frayée, et par le pressentiment de la paix et des douceurs que nous y trouverons!


Ô mes chers Frères! que je serais heureux si quelques-uns d’entre vous l’éprouvaient à cette heure ce sentiment précieux, s’il agitait le cœur de quelques-uns d’entre vous, si j’en voyais les fruits désormais dans leur conduite!

Mais pourquoi borner mes vœux! et comment pourrais-je me séparer de quelqu’un de vous, mes chers Frères! vos âmes m’ont été confiées; elles doivent être ma couronne et ma joie. Elles furent toutes formées pour l’éternité; elles furent toutes rachetées par le sang de Jésus-Christ.

Seigneur, Dieu de miséricorde! rappelle-les à toi ces âmes trop frappées des objets sensibles, et peut-être pour la plupart aveuglées par leurs prestiges! rappelle-Ies à toi et à elles-mêmes! qu’elles se voient en toi, qu’elles se connaissent et qu’elles te connaissent,


Ô Dieu, source unique de félicité! qu’effrayées de se voir séparées de toi par le péché, elles tournent les yeux vers ce JÉSUS QUI EST VENU POUR ABATTRE LE MUR DE SÉPARATION, pour annoncer la paix à ceux qui étaient éloignés vers ce Jésus qui, comme le serpent d’airain élevé jadis en Israël, peut seul guérir tous nos maux; vers ce Médiateur divin, auteur du pardon, du secours et du salut!

C’est ainsi. Seigneur, que de tous nos cœurs montera jusqu’à ton trône l’encens qui te plaît, l’encens du repentir et de l’amour.

C’est ainsi, mes chers Frères, qu’après avoir vécu ici-bas dans la foi au Fils de Dieu qui nous a aimés, (Gal. II, 20) nous pourrons lui être un jour réunis dans ces demeures éternelles et fortunées dont son sang nous a rouvert l’accès.

Ainsi soit-il.



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