Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

NOUVEAUX DISCOURS FAMILIERS

D’UN PASTEUR DE CAMPAGNE.

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DISCOURS V

L’IMPATIENCE DANS LES MAUX.


Quoi! nous recevons les biens de la main de Dieu, et nous n’en recevrions pas les maux! (Job 2, 10)

Il n’est aucun de nous, je m’assure, qui n’ait applaudi au sentiment qu’expriment les paroles de mon texte; et cependant, mes frères, qu’il est rare de conserver ce sentiment au moment de l’épreuve!

Il est trop vrai; l’homme est porté à regarder la prospérité comme son état naturel: il s’en fait si vite une habitude qu’elle lui paraît une propriété plutôt qu’un bienfait: lorsqu’un revers vient l’interrompre, il s’étonne, il regarde autour de lui; cette situation est pour lui si douloureuse, si nouvelle, qu’il a peine à s’y plier: du trouble il passe bientôt à l’impatience, au murmure.

Or je dis que tenir une telle conduite, c’est être injuste, ingrat, insensé. Développons ces idées; et puissé-je, dans les mains de Dieu, être un instrument pour vous former à LA SOUMISSION DANS LE MALHEUR, à cette disposition noble et douce qui semble particulière au christianisme, qui lui est essentielle, et qui n’est pas moins un bonheur qu’une vertu!

Ainsi soit-il.

I.


Manquer de soumission dans les maux, c’est d’abord être injuste envers Dieu.

Quelles que soient les dispensations de sa Providence, ses droits ne sont-ils pas toujours les mêmes?

N’est-il pas toujours le Créateur universel, qui a tiré tous les êtres du néant, celui qui donne à tous la vie, la respiration et tout ce qu’ils possèdent? (Actes 17, 25)

Celui qui est le maître par conséquent de détruire ou de modifier son ouvrage, de reprendre ses dons, de changer à son gré notre existence, comme nous pétrissons la boule d’argile qui est dans nos mains?

Le vase de terre dira-t-il à l’ouvrier: Pourquoi m’as-tu fait ainsi? (Rom. 9, 20)

L’insecte qui rampe entrera-t-il en contestation avec l’Être Infini?

Pouvons-nous seulement en soutenir l’idée?

Cette témérité chez l’homme, opposée à la majesté du Souverain, ne saisit-elle pas votre cœur?

N’excite-t-elle pas en vous un frémissement de crainte et d’horreur?

Mais enfin, ce Dieu qui a sur l’homme un suprême empire, comment en a-t-il usé?

Il nous a assujettis à une alternative de biens et de maux, à une suite d’épreuves diverses qu’il a jugées nécessaires pour nous préparer à un état meilleur.


Je n’examine pas encore les raisons infiniment sages qui ont dû lui faire adopter ce plan: je remarque seulement que pour prévenir nos illusions, pour nous épargner tout ce qu’il y a d’amer dans un mécompte, dans une espérance trompée, il ne nous a point caché que c’était à ces conditions qu’il nous donnait l’existence.

C’est sous ce point de vue que l'Écriture nous présente notre sort sur la terre. Un chemin quelquefois agréable et semé de fleurs, souvent difficile, escarpé; une période durant laquelle nous passons de la lumière aux ténèbres, de la paix à la guerre, du repos au trouble, du calme à l’orage; où les pleurs sont le soir chez nous et au matin le chant de triomphe, (Ps. 30, 5/6) voilà les images sous lesquelles l’Esprit Saint lui-même nous offre la vie humaine.

De quoi donc accusez-vous la Providence, ô vous qui murmurez contre elle?

Le Tout-Puissant vous a-t-il trompés?

Fait-il à votre égard autre chose que ce que vous deviez attendre, que ce qu’il vous avait promis?

Ce qui met le comble à l’injustice de l'homme impatient, c’est que les maux dont il se plaint, dont il accuse le Créateur, sont pour la plupart son propre ouvrage.

N’est-ce point son ambition qui a causé la décadence de sa fortune, ses excès qui ont altéré sa santé, son imprudence qui a donné prise à la calomnie pour noircir sa réputation?

C’est la folie qui renverse les desseins de l’homme, et cependant il se dépite contre Dieu. (Prov. 19, 3)

Ah! l’homme malheureux, croyez-moi, est rarement l’homme de la nature. Cette nature, qui n’est autre chose que le résultat des lois d’un Créateur bienfaisant, cette nature en général donne à l’homme peu de maux réels, qu’elle adoucit même par mille compensations.

Ce sont nos passions qui prêtent contre nous des traits à l’adversité.

Ce sont nos passions qui font nos blessures les plus profondes et les plus douloureuses.

Ce sont nos passions encore, c’est l’exagération de notre sensibilité, les prétentions de notre amour-propre, qui les aigrissent et les empoisonnent.

Si des particuliers je jette ensuite les yeux sur les peuples, je vois les torches de la guerre et l'impatience, les flambeaux de la discorde allumés bien plus par le choc des passions humaines que par le feu du ciel: je vois de grands malheurs, produits par de plus grandes fautes:


LA DÉTRESSE ET L’ANGOISSE

MARCHENT À LA SUITE DE L’ÉGAREMENT DU CŒUR, DE L’OUBLI DE DIEU.


Et si dans chaque circonstance nos maux ne sont pas la suite naturelle de nos actions, ne sont-ils pas au moins toujours un châtiment mérité?

Ah! pour vous pénétrer de cette idée, Chrétiens, cherchez à concevoir s’il est possible, combien dans l’espace d’un seul jour, d’un seul moment, le Seigneur est offensé!

Que chacun de nous examine ce qu'il a mis pour sa part dans cette masse de souillures et de crimes.

Voyez les iniquités humaines s’exhaler de tous les points du globe comme un épais brouillard, et monter jusqu’au trône de l'Éternel pour y former la foudre.

Songez à la tiédeur de ceux qui le servent à la lâcheté de ceux qui l’abandonnent, aux blasphèmes de ceux qui l'outragent.

Songez à tant de désirs impurs, à tant de paroles empoisonnées, à tant de passions criminelles, à tant de péchés secrets, à tant de scandales éclatants.

Hélas! lorsqu’on arrête ses regards sur ce tableau, loin d’accuser le Ciel, on s’étonne bien plutôt de lenteur de sa justice ou des profondeurs de sa miséricorde.

Ici, pressé du sentiment misère et de la corruption de l’homme, je me prosterne le front dans la poussière.

Justes ou pécheurs, infidèles ou chrétiens? nous sommes tous coupables. Que chacun donc s’écrie avec moi dans un sentiment profond:

«Grand Dieu! si la fragilité de ma nature m’entraîne à t’offenser, du moins, du moins, que jamais je ne porte l’égarement jusqu’à me croire innocent devant toi, jusqu’à lever vers le ciel un front orgueilleux, jusqu’à te reprocher mes maux!

Que plutôt pénétré de mes transgressions, je dise avec, humilité: Mon Père! j'ai péché contre toi, je ne suis plus digne d’être appelé ton fils; (Luc 15, 18-19) j'ai mérité les rigueurs de ta justice, et quand tu redoublerais tes coups, tu serais trouvé juste dans tes jugements. (Ps. 119, 137)

Si nous recevons les biens de la main de Dieu, comment n’en recevrions-nous pas les maux!»


II.


S'y refuser, ce serait être non seulement injuste, mais encore ingrat.

Eh quoi! au jour de l’affliction, nous oublierions tous les moments heureux dont nous avons joui!

Nous oublierions et les douces années de l’enfance et ses plaisirs innocents, et tant de jours sereins où aucun nuage n’obscurcissait pour nous l’horizon, où nous goûtions avec sécurité les plaisirs de l’amitié, de l’espérance, de la propriété!

Que dis-je?

Nous ne les oublions pas; mais au lieu d’en faire une compensation pour ce que nous avons à souffrir, au lieu de sentir qu'après avoir reçu les biens, il est juste que nous recevions aussi les maux et nous rappelons le passé pour l’opposer au présent, et pour aigrir notre douleur par ce contraste.

Le bonheur est comme un festin, une table somptueusement servie, où chaque homme s’assied à son tour; convives insatiables, nous voudrions y garder toujours place. On peut encore comparer les biens, les plaisirs de la terre, à des jouets avec lesquels des enfants s’amusent tour à tour, et nous voudrions qu’ils fussent toujours entre nos mains.


MAIS, NON SEULEMENT NOUS NE COMPTONS POUR RIEN LE PASSÉ,

NOUS NE COMPTONS PAS NON PLUS CE QUI NOUS RESTE ENCORE.


Vous, vous avez perdu votre fortune, mais il vous reste le nécessaire; il vous reste une santé sans altération, toutes les facultés de votre esprit et de votre cœur. On peut vous adresser ces paroles d’un auteur célèbre:

«Qu’as-tu perdu de toi-même? Si tu naissais dans cet instant et à ces conditions, te plaindrais-tu de ton sort?»

Vous, vous languissez souvent dans un lit de maladie, mais vous ne souffrez pas de vives douleurs; vous recevez les tendres soins, les consolations de ceux qui vous sont chers. Enfin, dans quelque situation que soit celui qui se plaint, si son âme était paisible, si la résignation en réprimait les impétueux mouvements combien de jouissances il pourrait goûter encore!


En effet, mes Frères, CE NE SONT PAS LES VRAIS MALHEUREUX, ceux dont le sort est vraiment misérable, qui font monter le plus de plaintes vers le ciel; ils sont exercés par de longues souffrances à porter leur fardeau;

CE SONT D'ORDINAIRE CEUX QUI ONT BEAUCOUP REÇU, ceux qui se sont fait un droit de l’habitude d’être heureux;

CE SONT LES ENFANTS GÂTÉS DE LA PROVIDENCE, si je puis m’exprimer ainsi, ceux chez qui la longue durée de la prospérité a donné trop de sensibilité, trop de développement à l'amour-propre.


POUR SENTIR LE PRIX DES BIENS QUI NOUS RESTENT,

APPRENONS À NOUS COMPARER

À CEUX QUI SONT PLUS À PLAINDRE QUE NOUS.


Vous, qui vous effrayez des maux que semble annoncer l’avenir, qui redoutez les scènes cruelles qu’il peut amener; vous, dont les yeux s’arrêtent sur vos enfants avec l’expression douloureuse des craintes maternelles, hélas! Songez à ceux pour qui se sont réalisés tous ces maux auxquels vous pouvez encore échapper, pour qui cet avenir est devenu présent; à ceux dont la patrie a été le théâtre de la guerre, qui ont souffert les horreurs du pillage, qui ont vu successivement tous leurs fils arrachés de leurs bras.

Vous qui vous plaignez d’avoir une santé faible, d’être arrêté sans cesse dans vos travaux, et de ne pouvoir jouir qu’à moitié de la vie, hélas! songez à ces malheureux sur qui s’acharne, comme un vautour dévorant, une longue et cruelle maladie, et dont l’existence n’est qu’une douleur presque sans intervalle.

Vous, qui vous attristez de la diminution de vos ressources, qui vous plaignez, après avoir longtemps travaillé, d’être condamné aux privations sur la fin de vos jours, songez à ceux qui n’ont pas même l'étroit nécessaire, qui ne peuvent pas même donner du pain à leurs enfants, qui implorent inutilement la charité, ou ne reçoivent que de trop faibles secours; ou qui plus à plaindre encore, cherchent à dérober à tous les yeux leurs besoins, que trahissent la maigreur et la pâleur de leur visage.

C’est ainsi, mes Frères, que dans le sentiment des compassions du Ciel, qui nous traite avec plus de ménagement, qui nous punit avec moins de sévérité que tant d’autres, nous nous écrierons:

Puisque nous recevons les biens de la main de Dieu, comment ne recevrions-nous pas aussi les maux!

Que dis-je? Les maux! ces infortunes, ces revers, ces pertes, est-ce donc là ce qu’on appelle des maux, de grands maux?

Ah! mes Frères, élevons enfin nos pensées; raisonnons et parlons en chrétiens.


Ouvrez l’Évangile: qu'y lisez-vous?

Heureux les affligés; heureux ceux qui souffrent; heureux ceux qui pleurent.

Dieu châtie celui qu’il aime; il frappe de verges celui qu’il reconnaît pour son enfant.

Regardez comme un sujet de joie les diverses épreuves qui vous arrivent. (Matth. 5, 4; Hébr. 13, 6; Jacq. 1, 2)

Mais n’y a-t-il rien d’exagéré dans ces déclarations si opposées à ce premier sentiment, à ce sentiment invincible de la nature qui nous fait craindre l’affliction?

Répondez ici pour nous, apôtres, martyrs:

Vous qui rendiez grâces de ce qu'il vous avait été donné, non seulement de croire en Jésus-Christ, mais de souffrir avec lui et pour lui! (Phil. 1, 29)

Vous, qui regardiez les jours du combat comme des jours de fête et de triomphe!

Vous qui avez éprouvé qu’à mesure que les souffrances de Jésus-Christ augmentent en nous, de même aussi notre consolation augmente par Jésus-Christ!

Répondez, âmes fidèles, qui au moment de la calamité, êtes, entrées dans les vues du Seigneur! dites-nous si ces jours d’épreuve ne sont pas ceux que vous voudriez le moins retrancher de votre vie.

Je vais plus loin; je ne crains pas d’en appeler au jugement de tous ceux qui m’écoutent.

Regardez-vous, mes Frères, comme un mal, ce qui est pour vous un moyen puissant de félicité, quelque pénible que ce moyen soit en lui-même?

En proie à une maladie dangereuse, regardez-vous comme un mal le remède que vous présente un médecin habile, quelque amer que soit ce remède?

Si vous êtes persuadés de sa vertu, ne le recevez-vous pas avec joie?

Ne vous suffit-il pas de savoir qu’il est pour vous un moyen de guérison et de vie?

Eh bien! l’adversité est aussi un moyen de guérison et de vie, d’une guérison mille fois plus importante que celle de notre corps, d’une vie mille fois plus précieuse que celle qu’une maladie peut nous ravir.

Je l’avouerai cependant; si elle faisait de notre existence ici-bas un tissu de peines, et de notre destinée un malheur sans fin, elle pourrait aigrir notre caractère, abattre notre courage, obscurcir notre jugement: elle serait presque aussi dangereuse qu’une prospérité sans interruption; mais lorsqu’elle succède à des jours heureux qui la suivent à leur tour; lorsqu’elle est adoucie du moins par quelque intervalle de calme et de douceurs; lorsqu’elle se mêle au bonheur pour corriger sa funeste influence, ah! le grand Médecin des âmes n’a rien dans ses trésors de plus propre à agir salutairement sur l’homme.


C’EST D’ELLE QU’IL SE SERT POUR CONVERTIR LE PÉCHEUR:

C’EST D’ELLE QU’IL SE SERT POUR PURIFIER LE JUSTE.


Par une vertu divine, elle dégage notre âme de ses liens; elle dessille nos yeux, nous montre sous leur vrai point de vue les objets de nos passions, nous fait sentir notre misère, et par un mouvement naturel nous rappelle au Seigneur.

Désabusé des biens périssables, notre cœur revient au seul objet digne de ses vœux, comme la flamme qui ne trouvant point d'aliment sur la terre, prend son essor vers le ciel; et telle est la bonté du Seigneur qu’il ne se refuse jamais à l’âme qui revient à lui.

Lors même qu'il punit avec le plus de rigueur, lors même qu'il paraît le plus irrité, il n'a que des pensées d’amour et des desseins de miséricorde:

c’est pour le rendre capable d’en recueillir les heureux effets, qu’il frappe le pécheur et l’humilie:

c’est pour lui faire détester ses crimes, qu’il le met dans la nécessité d’en gémir:

c’est pour ne pas avoir à le punir au jour de la justice éternelle, qu’il lui fait maintenant, je ne dirai pas expier ses péchés par des maux passagers, puisqu’il n’y a que le précieux sang de Christ qui puisse faire cette expiation; mais je dirai qu’il lui fait subir une épreuve propre à le sanctifier, et, pour parler avec l’Écriture, qu’il lui fait souffrir dans sa chair le reste des souffrances de Christ, afin que Christ habite en lui et lui donne l'espérance de la gloire. (Col. 1, 24, 27)

C’est aussi pour assurer au juste une plus belle couronne qu’il l’appelle à de plus grands sacrifices.

Ne vous étonnez donc plus, Chrétiens, que Jésus nous présente les afflictions dans sa parole comme des grâces précieuses. Si dans l’état d’innocence l’homme pouvait jouir d’une douce paix et goûter des plaisirs sans mélange; si dans le paradis terrestre le fruit de l’arbre de vie devait le préserver de tous les maux et de toutes les douleurs, il n'en est pas de même depuis sa chute et sur cette terre d'exil.

Pour être ramené à Dieu, pour être régénéré, il a besoin d’être mis dans le creuset de l’affliction; il a besoin des leçons sévères de l’adversité.

Si chez les Juifs, moins éclairés que nous sur le sort à venir de l’homme, la prospérité temporelle fut promise comme récompense, ne vous étonnez pas que notre divin Chef, qui a mis en évidence la vie et immortalité, (2 Tim. 1, 10) nous fasse regarder comme un avantage les maux qui peuvent nous conduire à un si noble but, nous faire remporter le prix auquel Dieu nous appelle par Jésus-Christ. (Phil. 3, 14)

Ne vous étonnez pas qu’il dise à ses disciples de prendre leur croix pour le suivre, (Matth. 16, 24) qu’il les appelle à marcher par la même voie où il a marché lui-même.

Ainsi qu’un ouvrier taille et polit avec plus de soin les pierres qu’il destine à être l’ornement de l’édifice; ainsi qu’un maître se plaît à exercer par les épreuves les plus difficiles ceux de ses élèves qu’il chérit davantage, ou dont il conçoit de plus grandes espérances, ainsi c’est le coupable sur qui Jésus jette un œil de miséricorde, c’est le fidèle qu’il appelle à un plus haut degré de vertu, ce sont ces êtres privilégiés qu’il visite par l’affliction.

Quel est donc notre aveuglement lorsque nous nous abandonnons à une tristesse excessive et à des plaintes encore plus amères que la douleur qui nous les arrache!


Mes Frères, mes chers Frères, si notre foi n’est pas assez vive pour remercier Dieu dans nos souffrances, sachons du moins les accepter.

Ne disons plus alors: Que je suis malheureux! que je suis à plaindre! puisque Jésus-Christ nous enseigne précisément le contraire. Si nous ne sommes pas assez chrétiens pour nous réjouir au sein de l’affliction, soyons-Ie du moins assez pour nous soumettre à la volonté de Celui qui nous afflige, lorsque nous lui adressons cette prière: Seigneur, que cette coupe passe loin de moi! AJOUTONS AUSSITÔT: Néanmoins que ta volonté soit et non pas la mienne! (Matth.26, 39) Car ma volonté: est souvent opposée à mes vrais intérêts, mais toi, Seigneur, tu les démêles toujours, et tu veux toujours mon bien.


III.


Refuser de recevoir avec soumission les maux que Dieu nous dispense, ce serait enfin, mes Frères, à l’injustice, à l’ingratitude ajouter la folie.

O toi qui murmures, ignores-tu quel est ce Dieu contre qui tu t’élèves?

C’est le Tout-Puissant!

La mer furieuse et les vents déchaînés se calment à sa voix. Les astres suivent la route qu’il leur a tracée. Les mondes, pour lui obéir, restent suspendus dans l’espace.

Et toi, cendre et poussière, tu oses résister!

Quel fruit te promets-tu de cette rébellion insolente?

Ta faible volonté qui s’oppose à la sienne, empêche-t-elle ses arrêts de s’accomplir?

Retient-elle le bras de la mort prêt à frapper dans ton sein ceux que tu chéris?

Rappellera-t-elle des biens qui s’envolent?

Arrêtera-t-elle le mouvement précipité de la fièvre qui fait bouillonner ton sang?

Apaisera-t-elle les douleurs aiguës que tu souffres sur un lit de maladie?

Non; tu ne guéris point tes maux; tu te prives seulement des consolations qui les auraient adoucis, et des fruits qu’ils devaient produire.


Quelles consolations, mes Frères! Comment vous les dépeindre!

En se remettant au Dieu qui l’éprouve, le fidèle unit sa volonté à la volonté souveraine: il unit sa faible existence à celle de l’Être Infini, qui dans le même instant verse dans son âme, si je puis m’exprimer ainsi, quelques gouttes de cette félicité et de ce calme inaltérable dont il jouit par lui-même et de toute éternité.

Quelle vertu délicieuse et puissante il trouve dans les passages de nos Saints Livres qui ont quelque rapport à sa situation! Comme il se dit avec attendrissement:

Le Seigneur nous châtie pour nous rendre participons de sa sainteté. (Héb. 12, 10)

L'Éternel est plein de compassion, abondant en gratuité; il ne garde point sa colère à toujours: c'est lui qui nous pardonne toutes nos iniquités, qui guérit toutes nos infirmités. (Ps 103)

Quelle douceur il trouve à penser que cette période si pénible à la chair, est pourtant la saison favorable, le jour du salut, (2 Corinth. 6, 2) le temps du travail qui prépare une abondante récolte, et que s'il sème avec larmes, il moissonnera avec chant de triomphe, (Ps. 126, 5) que s’il souffre avec Christ, il régnera avec lui, (2 Tim. 2, 12) et qu’après tout il n’y a point de proportion entre les souffrances du temps présent et la gloire à venir qui doit être manifestée en nous! (Rom. 8, 18)

Au milieu même des angoisses, quelle douceur il goûte, lorsque dans le silence de la nuit, pendant le sommeil de la nature, il verse dans le sein de son Dieu les sentiments qui l’agitent!

«Non je ne suis point perdu, se dit-il à lui-même: et pourquoi me croirais-je perdu? Ne suis-je pas toujours entre les bras de mon Père? Est-ce que je ne sens pas sa main qui me conduit à travers le labyrinthe obscur de l’infortune, sa main qui me soutient, me fortifie, et me montre le sentier qui de la mort mène à la vie heureuse?»

Quel charme se mêle aux pleurs qu’il verse en sa présence! Et lorsqu’au fond de son cœur il entend la voix de son Dieu qui répond à sa voix, qui lui dit: Je ne te laisserai point; je ne t'abandonnerai point. (Héb. 13, 5) Invoque-moi au jour de ta détresse, je t'en délivrerai et lu me glorifieras. (Ps. 50, 15) Celui qui pour toi n'a point épargné son propre Fils.... ne te donnera-t-il pas toutes choses avec lui? (Rom. 8, 32) Prends courage; ma grâce te suffit; c’est dans la faiblesse que ma puissance se déploie davantage. (2 Corinth. 12, 9).

Oh! alors comme il chérit ses souffrances! Comme il sent avec délices que la vertu de Christ vient habiter en lui, et que lorsqu’il et était faible, c’est alors qu’il est devenu fort! (1 Corinth. 12, 9-10)

Voilà les douceurs célestes dont se prive l’homme impatient.

Que dis-je?

Il se fatigue; il s’agite; il se débat entre les mains du Très-Haut. Ses maux s’aigrissent par la résistance: la coupe de l’affliction qu’il maudit n’en sera pour lui que plus amère: la croix qu’il traîne, au lieu de la porter avec courage, n’en sera que plus pesante.

Hélas! il ne veut pas souffrir comme les saints; il souffre comme les réprouvés, comme ces esprits infortunés qui mordent leurs chaînes sans pouvoir les rompre, et ajoutent à leurs tourments celui d’une rage impuissante.

Ainsi donc, ô égarement, ô folie! il s’éloigne de Dieu par cela même qui devait le rapprocher de lui! Il a éprouvé l’instabilité des choses de la terre, et loin de l’en désabuser, cette instabilité irrite sa passion; il s’épuise en vains efforts; il se consume en vains regrets qui la nourrissent toujours davantage.

Il a éprouvé la force du Tout-Puissant; au milieu du songe de la prospérité, ce Dieu a paru à ses regards; il a dissipé d’un souffle le prestige; et l’insensé! bien loin de revenir à son Créateur, comme au seul être qui ne trompe point ses désirs, il s’aigrit, il se révolte; il offense, il outrage Celui qui a fait la plaie et qui peut la guérir; (Job 5, 18) il le force à retenir son bras qui allait peut-être s’étendre pour le délivrer; à fermer sa main qui peut-être allait s’ouvrir en bénédictions!

Ainsi tout ce que Dieu pouvait employer de plus efficace pour le sanctifier, ne sert qu’à le rendre plus malheureux et plus coupable; il fait tourner à sa perte les grâces destinées à son salut; sa fureur change le remède en poison!

C’en est assez, mes Frères; ah! c’en est assez pour nous convaincre que se livrer au murmure, à l’impatience, c’est déchirer sa blessure, c’est se montrer ennemi de soi-même non moins qu’injuste et ingrat envers le Ciel.

C’en est assez pour nous convaincre qu’au jour de l’adversité un seul parti nous reste, c'est de nous jeter dans les bras de Celui qui nous afflige, de baiser la main qui nous frappe, et de souffrir en paix par un sentiment de confiance en sa bonté.

Et quelle ressource de remonter ainsi, en l’adorant, jusqu’à Celui qui dispense les biens et les maux; quelle ressource de pouvoir lui dire dans un vif sentiment de foi et d’humilité:


Avec raison ta main m’a châtié;

Je méritais ta sévère vengeance,

Mais ton amour ne m'a point oublié.

Viens donc, Seigneur, par ta grande clémence,

Me soutenir dans mon affliction:

C'est ta promesse et c'est mon espérance!

Ps. CXIX.


«Religion» divine! «religion» de mon Sauveur! toi seule, dans cette vallée de larmes et de combats, peux donner à l’homme un sentiment durable de félicité.

Toi seule, peut lui faire recevoir les maux comme les biens.

Tu ne changes rien autour de lui, mais tu changes pour lui la nature même des choses.

Tu tires le miel de l’absinthe; tu mêles à l'affliction une douceur céleste.

Toi seule aussi peux l’élever au-dessus de lui-même, lui faire accepter avec soumission, même avec joie, ce qui répugne le plus à la nature.

Toi seule, peux le montrer au jour de l’adversité calme sans effort, serein sans hypocrisie, plein de force et de courage, dès qu’il sent que par lui-même il ne peut rien.


Viens donc nous instruire par tes salutaires leçons; que les vérités qu’on apprend de toi sur la nature et le but des afflictions, sur les secours qui nous sont promis et les récompenses qui nous sont offertes, ne soient pas pour nous l’objet d’une stérile croyance, mais que nous nous en servions comme d’un baume pour nos blessures! qu’elles passent dans notre cœur! qu’elles calment ses agitations! que ces premiers mouvements eux-mêmes soient des mouvements de résignation! et soit que le Souverain Arbitre nous dispense les biens ou les maux, que nous les recevions avec une égale reconnaissance! qu’ils élèvent également nos cœurs vers le ciel et nous rappellent également à Celui qui seul peut faire notre bonheur!

Amen.



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