Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LOUISE SCHEPPLER

* * *

Louise

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Et quand vous aurez fait tout ce qui vous est

commandé, dites: Nous sommes des serviteurs

inutiles, parce que nous n'avons fait que ce que

nous étions obligés de faire

(Luc, XVII, 10).

(Texte choisi par la défunte.)


À 60 kilomètres de Strasbourg, au milieu de hautes montagnes se trouve une vallée retirée formant la limite entre la Lorraine et l'Alsace; c'est le Ban-de-la-Roche, si connu dans le monde chrétien par la fidélité qu'y déploya Oberlin, pendant cinquante-neuf ans de ministère. Sa foi, sa charité à toute épreuve, changèrent la face du pays comme elles renouvelèrent le coeur d'une partie de ses habitants.

Quand on s'éloigne de Strasbourg, du côté de l'ouest, on rencontre, en s'élevant vers les Vosges, une contrée agreste, arrosée par la Bruche. Après avoir traversé Rothau, en remontant cette rapide rivière, on atteint Fouday, le premier village de l'ancienne paroisse d'Oberlin, qui en comptait cinq et trois hameaux. Waldersbach, à 2 kilomètres 1/2 plus loin, était la résidence du pasteur.

Au centre du cimetière qui environne l'église de Fouday, en face de la porte de ce modeste édifice, se trouve une pierre avec une inscription. Sur la croix qui la domine, se lisent: PAPA OBERLIN.

Les mots LOUISE SCHEPPLER sont gravés sur une croix voisine.


C'est de Louise Scheppler en particulier que nous désirons vous entretenir, tout en rappelant que, sans Oberlin, Louise ne serait pas devenue cette femme dévouée dont nous allons raconter la vie. Tous deux servirent le Seigneur dans la mesure des dons qu'ils avaient reçus, comme de fidèles dispensateurs des grâces d'en haut.

Louise, fidèle servante d'Oberlin, réunissait aux vertus de Marie l'activité de Marthe, et son nom, malgré l'humilité de ses actes, doit occuper une grande place parmi les bienfaiteurs du Ban-de-la-Roche.

Louise Scheppler naquit le 4 novembre 1763 à Bellefosse, village situé au pied du Champ-du-Feu et annexe de la paroisse d'Oberlin. Pendant longtemps la contrée présenta un bien triste aspect: on y découvrait les vestiges de cette guerre longue et cruelle, qui ravagea l'Europe entière pendant trente années. Le Ban-de-la-Roche fut ensuite inquiété par des bandes de brigands; puis une terrible contagion frappa les habitants, de 1645 à 1651, et fit périr la plupart d'entre eux. À Fouday, il ne resta qu'une femme avec sa petite-fille âgée de sept ans.

Peu à peu le Ban-de-la-Roche se repeupla par suite de l'émigration des contrées voisines, et en particulier du pays de Montbéliard, du canton de Berne; néanmoins, en 1700, l'on ne comptait que quatre-vingts familles. L'ignorance et la misère de ces pauvres gens étaient profondes; leurs vêtements dénotaient la plus grande indigence, et leur langage, mélange de français et d'allemand, formait un patois presque inintelligible. Il y avait dans leurs moeurs une certaine rudesse, et d'anciennes discordes, léguées de père en fils, divisaient les familles.

C'est au sein de cette population à peine civilisée, très peu éclairée sous le rapport religieux, que le Seigneur se choisit un petit peuple auquel il envoya un fidèle pasteur animé de l'esprit apostolique.

À peine arrivé au Ban-de-Ia-Roche, M. Stuber, le prédécesseur d'Oberlin se sentit ému de la misère spirituelle et matérielle de ses habitants, et prit à coeur d'y porter remède. Il concentra tous ses efforts sur la jeunesse et les écoles. À sa visite à l'école de Waldersbach, on le conduisit dans une misérable hutte, où étaient réunis une quantité d'enfants qui faisaient grand bruit: «Où se trouve l'instituteur,» demande M. Stuber. Pour seule réponse on lui indique un vieillard décrépit étendu sur un lit, au fond de la chambre. «Êtes-vous, en effet, le maître d'école? s'écria le pasteur. — Oui, monsieur; j'étais berger, et quand je suis devenu vieux et trop faible pour mon état, l'on m'a donné le soin des enfants.»

Les autres écoles de la paroisse présentaient à peu près le même caractère d'abandon. Stuber parvint peu à peu à les améliorer; mais, néanmoins, lorsqu'après dix ans de ministère Oberlin lui succéda, elles exigèrent encore de lui bien des labeurs. Il eut une peine extrême à trouver des jeunes gens qui consentissent à devenir instituteurs. Ces fonctions, qui avaient été rabaissées au niveau de celles de pâtre, étaient trop peu estimées pour qu'un père de famille honorable y destinât son fils.

Ces difficultés une fois vaincues, il fallut chercher tous les moyens possibles de persuasion pour engager les parents à envoyer avec assiduité leurs enfants à l'école. Grâce à Dieu, ces obstacles furent aplanis, et au bout de quelques années, chaque village du Ban-de-laRoche avait son école bien fréquentée.

Oberlin sentait qu'il manquait un élément de culture à la jeune génération: l'éducation domestique des filles. Elles grandissaient sans être initiées aux ouvrages de femme, et passaient dans l'oisiveté les heures qui suivaient celles de l'école.

Insouciantes pour tout ce qui apporte dans un intérieur la joie et le bien-être, les femmes du Ban-de-la-Roche négligeaient ces mille devoirs qui préparent à la vocation d'épouse et de mère, et contribuent, pour une si forte part, au bonheur domestique.


Aidé de sa fidèle compagne, il forma des institutrices et ouvrit, à ses frais, dans chaque village, des écoles de tricotage et d'ouvrages de femme. Une simple et modeste servante fut son aide intelligente et dévouée; dès son enfance, elle avait fixé l'attention d'Oberlin par son sérieux, sa charité et son amour pour les enfants, et, dans sa quinzième année, elle obtint le privilège d'entrer comme domestique dans ce presbytère dont elle avait toujours franchi le seuil avec un si grand respect.

Oberlin ne tarda pas à trouver en elle ce qu'il cherchait pour la direction de ses petites écoles, qui prirent le nom de Poêles à tricoter. Ces écoles furent le noyau des salles d'asile, si répandues actuellement dans toute l'Europe. Du Ban-de-la-Roche, cette institution passa en Angleterre, d'où elle revint en France, et fut considérée comme une des créations les plus utiles du dix-neuvième siècle

(«C'est de là qu'est venue, en Angleterre et en France, l'institution de ces salles d'asile, où l'on reçoit et où l'on garde les enfants des ouvriers. L'honneur de cette idée est entièrement dû à Louise Scheppler, à cette pauvre paysanne de Bellefosse. Elle y a consacré le peu qu'elle possédait, et de plus sa jeunesse et sa santé.» (Extrait d'un discours du baron Charles Cuvier.).

Les plus petits enfants admis dans ces écoles regardaient des images, parfilaient, et les plus grands apprenaient à tricoter, à coudre et à filer, tandis que la maîtresse leur faisait divers récits, principalement tirés de la Bible.

Elle leur enseignait de beaux cantiques, les premiers éléments de la langue, et tâchait, par la prière, d'ouvrir leurs coeurs aux douces impressions de l'Evangile; elle les conduisait, dès l'âge le plus tendre auprès de leur Seigneur et Sauveur.

C'est là que Louise était à sa place. Nulle aussi bien qu'elle ne semblait convenir à une telle mission. Elle savait mettre à la portée des enfants les belles et touchantes histoires de la vie de Jésus, et exerçait sur leur âme une influence bénie.

Lorsqu'au soir l'école était fermée, et qu'elle s'était assurée que tous les enfants étaient de retour dans leur demeure, Louise rentrait au presbytère et trouvait là d'autres devoirs. Elle devenait la ménagère du pasteur et l'institutrice des sept enfants de Mme Oberlin, que le Ban-de-la-Roche avait eu le malheur de perdre en 1783.

Elle dirigeait l'intérieur d'Oberlin avec un esprit d'ordre et d'économie porté dans les moindres détails, et Oberlin, débarrassé de ces soucis domestiques, pouvait s'occuper sans préoccupation de sa paroisse, et opérer tout le bien que le Seigneur lui donna d'accomplir.

Nous avons déjà fait connaître l'état matériel et moral dans lequel se trouvait le Ban-de-la-Roche. Il était réservé à Oberlin de travailler, jusqu'à la fin de sa longue et laborieuse carrière, à la double amélioration de cette contrée. Son oeuvre fut richement bénie, et il ouvrit à bien des âmes la source de la foi et de l'espérance chrétienne. OBERLIN ÉTAIT AVANT TOUT HOMME DE PRIÈRE.

L'union harmonique de la loi et de l'Évangile se rencontrait en lui, déjà toute sa personne, pleine d'onction, de noblesse et de grâce, en portait l'empreinte. Les commandements de Dieu ne restaient pas chez lui à l'état de théorie, et les vertus chrétiennes qu'il pratiquait sans relâche témoignaient de la charité, de la foi et surtout de l'humilité dont elles émanaient; car ce fidèle serviteur de Dieu était sincèrement convaincu de cette vérité, «que la meilleure de nos actions a besoin d'être pardonnée.»

Déjà, en 1760, il s'était consacré au Seigneur par un acte solennel, renouvelé en 1770; et six ans avant sa mort, il ajouta encore en marge ces paroles: «Seigneur, aie pitié de moi!»

Généreux et juste tout à la fois, il lui fut donné de faire beaucoup de bien avec de faibles ressources. Il était profondément pénétré de la sainte obligation dans laquelle se trouve chaque chrétien de destiner une partie de ses revenus à son prochain et à l'avancement du règne de Dieu. Cette conviction, il l'appuyait de l'autorité de la Bible:

«Sous l'économie de la loi, disait-il, les Israélites payaient chaque année, en offrandes à l'Éternel, les deux dixièmes de leurs revenus, auxquels ils joignaient encore une troisième dîme tous les trois ans; sous l'économie de la grâce, nous voyons la pauvre veuve qui mit dans le tronc deux pites: c'était tout ce qu'elle avait pour vivre.»

Il regardait donc comme obligatoire l'emploi d'une première dîme au moins, et comme un acte évangélique celui de trois dîmes. Son exemple porta bien des fruits de charité dans sa paroisse et ailleurs.

Lors de la création de la Société biblique britannique et étrangère, Oberlin fut le premier pasteur en France qui se mit en rapport avec elle. On ne peut lire, sans une profonde émotion, la lettre simple et touchante qu'il adressa à cette illustre Société, pour lui rendre compte de la distribution des premiers exemplaires des Saintes Écritures, qu'il devait à sa libéralité chrétienne.

Cette lettre devint, par la bénédiction divine, le premier germe des associations bibliques de femmes, et rendit les noms de Sophie Bernard, Marie Muller et Catherine Scheiduker, chers aux enfants de Dieu. — Dudley, dans son esquisse sur l'origine et les résultats de ces associations, dit: «Combien de Sophies, animées par cet exemple, ont dirigé les faibles pas de l'orphelin vers Celui qui est le père de ceux qui manquent de père; combien de Maries sont devenues la bénédiction des villages où elles demeurent; combien de Catherines ont mis entre les mains des enfants le guide sacré qui leur montre le chemin par lequel il faut qu'ils marchent.»

Oberlin, également dévoué au bien temporel de ses paroissiens, leur donnait l'exemple de la fidélité, de l'intelligence et de l'activité dans les travaux de la campagne. Il cultivait lui-même les terres arides, leur enseignait à ouvrir des communications. Par ses efforts assidus et par ses conseils, des marais étaient desséchés, les terrains rocailleux défrichés, les prairies améliorées, l'éducation du bétail perfectionnée. Oberlin envoya dans quelques villes de l'Alsace des jeunes gens y apprendre les diverses professions encore inconnues au Ban-de-la-Roche. Plus tard, il eut la satisfaction de voir s'introduire successivement dans sa paroisse, dénuée de toute ressource, des industries de famille, dues à la vénération à laquelle il avait tant de titres.

Les connaissances médicales d'Oberlin lui permirent de s'occuper aussi du soin des malades. Avant lui, on ne connaissait dans le pays ni médecin ni pharmacie. Oberlin établit à la cure un choix de médicaments à la disposition de chacun. Il envoya à Strasbourg un jeune homme de Fouday étudier la médecine, et il formait lui-même les gardes-malades qu'il envoyait dans tous les villages.

Il fonda une bibliothèque populaire composée de livres bons et utiles; des caisses d'épargne et d'amortissement pour les dettes rendirent aussi de grands services et relevèrent plusieurs familles.

La maison d'Oberlin offrait à tous un asile; les riches comme les pauvres, tous ceux qui souffraient, ne la quittaient jamais sans emporter quelque consolation ou quelque soulagement. Sous le toit d'Oberlin, combien de différends furent vidés: d'ennemis se réconcilièrent, de procès furent arrêtés à leur début; et lorsqu'au soir de sa vie Oberlin entra dans son repos, après cinquante-neuf ans de ministère, il fut pleuré par des centaines de familles.


Louise Scheppler eût le privilège de le seconder pendant quarante-huit années, depuis 1778 à 1826, époque de la mort d'Oberlin; elle partagea ses soucis et ses labeurs, et l'aida dans toutes ses entreprises par ses conseils et son active coopération. Bien souvent des messages de paix et de consolation furent transmis par elle aux malheureux qui languissaient sous le poids de l'épreuve. Elle était l'appui du pauvre, l'attente du malade, et, en tout temps et à quelque heure que ce fût, elle leur apportait du pain, des habits, des médicaments.

Louise était généralement aimée; elle comptait un nombre infini de filleuls, et les lettres qu'elle écrivait, suivant l'usage, à l'occasion de chaque baptême, sont encore conservées avec respect dans bien des familles. Le désintéressement de Louise était des plus grands. Oberlin, ne voulant point accepter gratuitement tous les services qu'elle rendait dans sa maison après la mort de Mme Oberlin, usa, mais en vain, de toute son influence pour la déterminer à ne pas refuser ce qui lui revenait de droit. Louise s'attristait de ces instances, et lui écrivit les lignes suivantes:

«Cher papa,

Vous voulez donc me priver tout à fait du seul plaisir qui me restait encore à espérer, de pouvoir peu à peu parvenir à vous offrir mes faibles services sans en retirer de salaire que le plus nécessaire. Mais me voilà bien éloignée de parvenir à mon but, quand je dois accepter, pas seulement le gage qui chaque fois me fait saigner le coeur, mais beaucoup au-delà; oh! çà me fait de la peine, mais il me semble, cher papa, que vous n'avez point d'idée de ce que je sens pour vous; aussi je ne suis pas en état de pouvoir vous l'exprimer. Oh! il est pourtant dur d'aimer si tendrement, sans oser le montrer ou en donner les preuves.

Je suis avec le coeur extrêmement votre plus attachée,

Louise.»

Sur un refus, elle insista: la pieuse et fidèle servante devait être comprise par Oberlin. Sa confiance affectueuse lui était dès longtemps acquise, comme si elle eût été un de ses propres enfants. Louise était un membre de la famille; elle en partageait les joies et les peines; et quand Oberlin, après sa carrière pénible et bénie, se séparant d'avec les siens, découvrit sa tête vénérable, joignit les mains, et le regard fixé sur Celui qui est la résurrection et la vie, rendit le dernier soupir, une voix douce s'écria:

«Ô jour bienheureux! ô jour tant désiré!» C'était Louise qui prononçait ces paroles; elle, qui perdait en lui son guide, son bienfaiteur, celui qui, dès sa jeunesse, lui avait tenu lieu de père.

La dépouille d'Oberlin fut portée en terre par les anciens de la paroisse. Le plus âgé des vieillards précédait le cercueil avec la croix. Louise, en la lui remettant, avait arrosé de ses larmes le crêpe qui l'entourait, et son oeil, quoique humide, cherchait le ciel et semblait sonder les mystères de l'éternelle réunion.

Oberlin, sachant quel trésor possédait sa maison dans la personne de Louise, laissa entre les mains de ses enfants l'écrit suivant:


«Mes très chers enfants!

En vous quittant, je vous lègue ma fidèle garde, celle qui vous a élevés, l'infatigable Louise; les mérites qu'elle a pour notre famille sont infinis.

Votre bonne maman la prit auprès d'elle avant sa quinzième année; elle se rendit utile par ses talents, son zèle, son application; à la mort prématurée de votre tendre mère, elle fut pour vous à la fois garde fidèle, mère soigneuse, institutrice, tout absolument. Son zèle s'étendit plus loin. Vraie apôtre du Seigneur, elle alla dans tous les villages où je l'envoyais assembler les enfants autour d'elle, les instruire dans la volonté de Dieu, leur apprendre à chanter de beaux cantiques, leur montrer les oeuvres de ce Dieu paternel et tout-puissant dans la nature, prier avec eux et leur communiquer toutes les instructions qu'elle avait reçues de moi et de votre bonne maman.

Tout ceci n'était pas l'ouvrage d'un instant, et les difficultés innombrables qui s'opposaient à ses saintes occupations en auraient découragé mille autres. D'un côté, le caractère sauvage et revêche des enfants; de l'autre, leur langage patois, qu'il fallait abolir; pour se faire entendre, il fallait leur parler dans cette langue et leur traduire le tout en français. Puis une troisième difficulté était les mauvais chemins et la rude saison qu'il fallait braver: pierres, eaux, pluies abondantes, vents glaçants, grêles, neiges profondes en bas, neiges tombantes d'en haut, rien ne la retenait; et revenue le soir, essoufflée, mouillée, transie de froid, elle se remettait à soigner mes enfants et le ménage.

C'est ainsi que, pour mon service et pour le service de notre Dieu, elle ne sacrifiait pas seulement son temps et ses talents, mais encore toute sa personne et sa santé. Actuellement, et depuis plusieurs années, son corps est absolument ruiné par trop de fatigues et pour avoir passé trop subitement et trop souvent du chaud au froid et du froid au chaud, de la transpiration au refroidissement, traversé les neiges, y être enfoncé jusqu'à la ceinture; les vêtements mouillés se gelaient, blessaient les genoux jusqu'au sang, en s'y frottant sans cesse par le mouvement de la marche; sa poitrine, son estomac, tout est ruiné et incapable de plus rien supporter.

Vous direz peut-être qu'elle en fut récompensée par le bon salaire que je lui donnais? Non, chers enfants, non. Apprenez que depuis la mort de votre chère maman, je n'ai jamais pu parvenir à lui faire accepter le moindre salaire; elle employait le louage de ses biens pour faire du bien et pour s'habiller, et ce fut toujours comme une grâce qu'elle reçut quelque morceau d'habillement de moi et de mes provisions, que je dois cependant à son économie et à sa fidélité.

Jugez, chers enfants! jugez de la dette que vous avez contractée envers elle, en moi, et combien vous serez loin de pouvoir jamais trop faire à son égard. — Dans vos maladies et douleurs, et dans les miennes, combien de veilles, de soins, d'inquiétudes!

Encore une fois, je vous la lègue, vous ferez voir, par les soins que vous prendrez pour elle, si vous avec du respect pour la dernière volonté d'un père qui vous a toujours inspiré des sentiments de gratitude et de bienfaisance. — Mais oui, oui, vous remplirez mes voeux, vous serez à votre tour, tous ensemble et chacun en particulier, ce qu'elle fut pour vous, autant que vos moyens et votre proximité vous le permettront.

Adieu, mes très chers enfants.

Votre papa,

T.-F. OBERLIN.»



Les enfants d'Oberlin, généreux interprètes des vues de leur père, ne se contentèrent point de considérer Louise, pendant toute sa vie, comme leur soeur et comme une amie maternelle, ils voulurent encore lui réserver une part d'enfant. Cette dernière proposition ne fut point acceptée, Louise ne voulait pas amoindrir le faible héritage paternel.

En 1829, Louise reçut la preuve que son dévouement était déjà apprécié sur la terre: le prix Montyon lui fut décerné. Les témoignages recueillis à cette occasion démontrèrent que la vie de Louise avait été un long exercice de vertu. Le prix était de 5,000 fr. Louise l'accepta avec émotion et reconnaissance envers Dieu. Elle en consacra peu à peu le capital et les intérêts à des oeuvres de bienfaisance chrétienne. Elle destina en mourant le reste de la somme à des institutions pour l'avancement du règne de Dieu. Quoique faible et chargée d'années, Louise poursuivait son oeuvre avec la même fidélité. Elle éprouvait la plus vive joie à se trouver au milieu des chers enfants de son école de Waldersbach , qui tous l'aimaient tendrement. Elle continuait en outre à former de nouvelles institutrices pour les autres écoles du Ban-de-la-Roche, et administrait la caisse de prêts créée par Oberlin. Le pauvre pouvait y puiser sans avoir d'intérêts à payer; la durée de l'emprunt n'était pas limitée.

Semblable à Dorcas, elle faisait des vêtements pour les pauvres, les aidait de ses conseils, consolait les âmes affligées, et fut longtemps encore la bienfaitrice de la paroisse. Son activité ne s'arrêta que peu de jours avant sa mort. Elle sentait sa fin approcher. Soixante et quatorze années de fatigues avaient épuisé ses forces. Louise ne redoutait pas la mort; soumise à la volonté du Seigneur, elle l'appelait de ses voeux et avait déjà préparé de ses mains son habit mortuaire.

Le 25 juillet fut le jour de sa mort, d'une mort victorieuse. Ses funérailles répandirent le deuil dans tout le Ban-de-la-Roche; un convoi, dont on ne pouvait apercevoir la fin, accompagnait le cercueil de Waldersbach au cimetière de Fouday, où, comme elle l'avait désiré, son lieu de repos était préparé auprès du tombeau d'Oberlin. Les funérailles furent simples et touchantes, et les larmes répandues étaient le témoignage de la reconnaissance et de l'affection. L'émotion devint plus vive encore à l'ouïe du dernier adieu de Louise. Elle l'avait préparé comme la dernière expression de ses sentiments et avec le désir qu'il fût lu à la communauté entière:

«Depuis quelque temps, j'ai comme un pressentiment que bientôt le Seigneur me rappellera de ce monde, c'est pourquoi j'ai résolu de tracer ici mes derniers souhaits. Il y a bien des années déjà que j'ai choisi, pour mon texte funèbre, les paroles de notre cher Sauveur en saint Luc, XVII, 20: «Quand vous aurez fait tout ce qui vous est» commandé, dites: Nous sommes des » serviteurs inutiles; car nous n'avons» fait que ce que nous étions obligés de» faire.»

Je prie notre cher pasteur de s'en tenir à cela, et de ne pas dire un mot d'éloge sur mon cours de vie! car Saint Paul dit, dans sa première épître aux Corinthiens, IV, 7: «Qu'as-tu,» que tu ne l'aies reçu?»

C'est donc à Dieu, à son honneur et à sa gloire, que doit être rapporté tout ce que nous avons reçu de Lui par grâce, oui, par grâce! car, que sommes-nous, et que pouvons-nous sans le secours de son Esprit! ! Où prendre en nous des motifs d'éloge et de louange, tandis que notre capacité, tout ce que nous possédons, toute notre existence est un don de la grâce de Dieu; et il ne me reste qu'à m'écrier: Seigneur, aie pitié de moi, et reçois-moi par ta miséricorde! Je fais mes adieux à tous mes bienfaiteurs et à toutes mes bienfaitrices; que le Seigneur les bénisse et les récompense dans l'éternité pour tout le bien qu'ils m'ont fait et les soins qu'ils ont eus de moi.

Je fais mes adieux généralement à tous mes amis et à tous nos voisins; je les remercie pour les attentions qu'ils ont toujours eues pour moi. À tous mes neveux et à mes nièces, je les prie, je les sollicite à chercher la vie en Jésus-Christ; à tous mes filleuls et à mes filleules, je fais mes adieux jusqu'au dernier revoir, où je désire de les retrouver dans la bienheureuse éternité.

Et à vous, chers enfants du Poêle à tricoter de Waldersbach et de toute la paroisse, je fais mes adieux, je vous quitte, mais de corps seulement; car je continuerai à prier le cher Sauveur de vous bénir et de vous attirer à Lui. Pensez souvent à votre Louise, qui vous a beaucoup aimés; je continuerai à prier le Seigneur de vouloir vous donner, pour la personne qui me remplacera, le même amour, le même respect, la même obéissance que vous avez eus pour moi; oui, faites-le, chers enfants, et je m'en réjouirai dans l'éternité. Adieu enfin, à toute la paroisse; ah! que je voudrais pouvoir dire à notre cher pasteur et papa défunt, quand je le verrai, de bonnes nouvelles de sa paroisse si chère à son coeur! mais, hélas! 0 Seigneur Jésus-Christ, toi qui es venu pour chercher et sauver ce qui était perdu, ô veuille, par ta grâce et ta charité infinies, ramener toutes les brebis égarées de notre paroisse; veuille amollir les coeurs, enlever cette triste légèreté et insouciance pour ta Parole et les instructions; ramène, ô ramène, Seigneur, à la vie, à la vie en toi, tous les morts ou vivants de notre paroisse. Amen, amen!

Et vous chères amies les conductrices, en vous quittant jusqu'au grand revoir, je voudrais vous prier de ne pas perdre patience, mais de redoubler de courage, de fidélité, de zèle et d'ardeur pour inspirer à ce jeune troupeau le chemin de la sagesse et de la vertu, pour conduire cette tendre jeunesse à notre bon Sauveur, le grand ami des enfants. Tâchez de leur inspirer du goût pour l'application et la fidélité, parlez-leur souvent de la présence de Dieu, inspirez-leur de l'amour pour le Seigneur, pour le prochain; et les uns pour les autres, tâchez de leur inspirer surtout de l'horreur pour le mensonge, les jurements, la désobéissance, et toute espèce de vice et de mal. Ah! chères amies, tous ceux et toutes celles qui êtes appelés à l'instruction de la jeunesse, le Seigneur vous a imposé une noble, mais pénible tâche; puissiez-vous la remplir à son honneur et à sa gloire jusqu'au temps de la moisson.»

Cette touchante lecture terminée, on porta la dépouille de Louise au cimetière, et là, devant sa tombe entr'ouverte, un digne petit-fils d'Oberlin, jeune pasteur distingué par sa foi vivante et sa fidélité, et qu'une mort prématurée devait plus tard enlever à l'Église, prononça les paroles suivantes:

«Je me suis transporté volontiers au milieu de vous, mes frères, pour remplir un dernier devoir de piété filiale envers notre bonne et chère Louise.

La voilà donc entrée dans le repos après lequel son âme soupirait! Elle voit maintenant Celui en qui elle a cru, elle contemple avec ravissement le Sauveur dont l'amour l'a rachetée. Nous sommes ici, non pas pour la plaindre, mais pour nous réjouir de son triomphe, en même temps que pour regretter sa perte quant à nous-mêmes.

Elle est heureuse! Nous pouvons prononcer ce mot avec une entière certitude. Il n'est personne d'entre nous qui ne s'écrie: Ah! puissé-je mourir de cette mort!

Mais prenons garde, mes frères, de ne point nous méprendre sur la cause de son salut, ni sur le véritable fondement de notre propre espérance! Prenons garde de ne pas vouer à la créature un culte et des hommages qui n'appartiennent qu'au Créateur et au Sauveur miséricordieux de nos âmes!

Prenons garde de ne pas nous laisser éblouir par les oeuvres, telle ment que nous oubliions Celui qui peut seul donner le vouloir et l'exécution!

Notre chère défunte au moins ne serait pas cause d'une si déplorable erreur. Vous tous, qui l'avez connue, vous savez si jamais elle a souffert qu'on ravît au Seigneur la louange qui lui appartient!

Vous savez si jamais elle s'est glorifiée d'autre chose que de sa faiblesse, afin que toute gloire demeurât à Celui qui seul est adorable et bon! Vous savez si jamais elle a eu honte de confesser sa misère et ses infidélités, attribuant tout le bien qu'il lui avait été donné de faire à Christ seul et aux effets de sa miséricorde!

Que Christ donc soit glorifié sur cette tombe, comme il l'a été par la vie de notre bien-aimée soeur et mère! Elle était pécheresse comme nous, mes frères; comme nous, elle était privée de toute gloire devant Dieu; comme nous, elle était placée sous le joug de la condamnation et de la mort.

Mais elle avait appris la bonne nouvelle que Jésus-Christ est venu pour sauver les pécheurs; mais elle avait accepté cette nouvelle avec joie et confiance.

Mais elle s'était précipitée aux pieds de son Sauveur avec un profond sentiment de sa corruption, de sa pauvreté, de sa nudité spirituelle.

Voilà pourquoi miséricorde lui fut faite; voilà pourquoi le Seigneur, qui est doux et humble de coeur, lui cria: «Lève-toi, ma fille, tes péchés te sont pardonnes.» Voilà pourquoi il la revêtit de sa robe de justice et la fit passer de la mort à la vie. Ses oeuvres, sa vie pure et sainte, son dévouement à toute épreuve, sa charité, son zèle n'ont été que le fruit et non la cause de sa rédemption, une seconde grâce ajoutée à la première grâce, — le sceau dont le Seigneur marque les siens, afin qu'on les puisse distinguer de ceux qui n'ont pas la foi ou qui ne l'ont que dans la bouche et sur les lèvres.

Eh bien! mes frères, nous tous pauvres et indigents pécheurs que nous sommes, nous serions capables de faire ce qu'a fait notre chère défunte, si nous avions la même foi, la même confiance au Sauveur, la même humilité.

Si notre piété est si loin d'égaler la sienne, si les mérites que nous croyons avoir sont si peu de chose, en comparaison de ceux qu'elle a eus, ce n'est pas que nous ayons moins de force naturelle, ce n'est pas non plus que le secours de Dieu nous manque, — c'est que nous ne sommes pas assez petits à nos yeux, c'est que nous ne nous jetons pas avec assez d'abandon au pied de la croix.

Nous croyons, mais nous croyons de mémoire et de tête plutôt que du coeur. Nous cherchons le Seigneur, mais nous ne nous attachons pas à Lui comme le naufragé se cramponne à sa dernière planche de salut, nous n'étreignons pas sa main, comme celui qui se sent tomber dans le précipice.

Nous aimons Christ; mais, hélas! notre amour pour Lui est si froid, si glacé, si réservé et toujours si craintif d'en trop faire; tandis que pour tant d'autres choses nous sommes tout feu et tout ardeur!


Mes frères! que l'exemple de notre bonne Louise nous confonde et nous humilie! Elle n'est plus au milieu de nous, cette pieuse et fidèle servante de Dieu, dont la seule vue édifiait et dont toutes les paroles étaient une prédication vivante du Sauveur.

Mais nous possédons mieux qu'elle: nous avons à notre portée la source où elle-même était allée puiser tout ce qu'il y avait de bon en elle. Le Seigneur n'a-t-il pas promis d'être avec les siens jusqu'à la fin du monde? N'appelle-t-il pas à Lui tous ceux qui sont travaillés et chargés? Ne leur offre-t-il pas journellement la plénitude de ses grâces, de ses lumières, de sa puissance? Bon Sauveur, il n'attend pas que nous venions à Lui, il heurte lui-même à notre porte, et nous conjure d'accepter la rançon qu'il a payée pour nous, — les droits d'enfants qu'il nous a acquis!

Mépriserons-nous sa voix, mes frères? Souffrirons-nous qu'il nous tende inutilement ses bras miséricordieux?.... Foulerons-nous aux pieds les fruits de sa passion et de sa mort?.... Nous, qui en retour de ce sang précieux, par lequel il nous a rachetés, n'avons à lui offrir qu'un coeur souillé par le péché, hésiterons-nous à faire ce trop heureux échange, et ne nous empresserons-nous pas à lui donner ce qu'il nous demande, afin de recevoir de Lui un coeur nouveau, un coeur de chair purifié par son sang, sanctifié par son Esprit, transformé à sa ressemblance? Nous qui avons vu, dans cette contrée bénie du ciel, tant de signes éclatants de la présence de Dieu, tant de miracles de la grâce, tant de preuves de sa puissance efficace sur le coeur des pécheurs! aurions-nous été en vain témoins de si grandes choses, et ne sentirons-nous pas au dedans de nous s'éveiller la sainte ambition d'entrer, nous aussi, dans les rangs du peuple de Dieu, des justes et des élus qui ont lavé leurs robes dans le sang de l'Agneau!


Nous qui, aujourd'hui même, déplorons le grand vide que notre bonne Louise laisse au milieu de nous, ne prierons-nous pas le Seigneur de se susciter en nous de nouveaux instruments de sa miséricorde, et de faire descendre sur chacun de nous, en abondante mesure, l'esprit qu'il avait répandu sur son humble servante.

Seigneur, ton Esprit! c'est là ce que nous te demandons. Du fond de notre misère spirituelle, de notre profonde corruption, de notre désespérante malignité, nous crions vers toi, aie pitié de nous, ô notre Dieu!

Ah! si tu le veux, nous serons nets! si tu le veux, nos yeux verront! nos pieds seront affermis, notre bouche s'ouvrira pour te glorifier, nos oeuvres te loueront! Rien ne t'est impossible, ô notre Dieu!

Souffle donc, souffle les ossements de mort. Triomphe de la résistance de nos âmes; — et qu'ici, comme partout, tout genou fléchisse devant le nom de ton Fils bien-aimé; et qu'ici, comme partout, toute langue confesse que Jésus est le Seigneur à la gloire et pour le salut de tous.

À Lui, qui nous a aimés le premier;

À Lui, qui nous a rachetés;

À Lui, qui nous a arrosés de son sang

Soient louanges et bénédictions aux siècles des siècles. Amen.

FIN.

 
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