Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LE CULTE DE MAMMON.

1863

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Ceux qui veulent devenir riches, tombent dans la tentation et dans le piège, et en plusieurs désirs insensés et pernicieux, qui plongent les hommes dans la ruine et dans la perdition. (1 Timothée VI, 9.)

Mais ceux qui veulent s’enrichir tombent dans la tentation, dans le piège, et dans beaucoup de désirs insensés et pernicieux qui plongent les hommes dans la ruine et la perdition. (1 Timothée VI, 9. V. S.)


D’où vient le profond malaise qui tourmente aujourd’hui les sociétés modernes?

On pourrait sans doute répondre d’une manière générale, c’est qu’elles ne sont point assez religieuses et assez chrétiennes.

Mais cette absence de foi et de piété se trahit d’une façon particulière par l’attachement désordonné des foules à la matière.


De l’argent! de l’or! c’est le cri du siècle.


Et des hommes qui eussent pu vivre heureux et mourir tranquilles en se souvenant que, comme nous n'avons rien apporté dans ce monde à l'heure de notre naissance, nous n'en pourrons rien emporter non plus à l'heure de notre décès (1 Tim. VI, 7).

Par conséquent, pourvu que nous ayons la nourriture, de quoi nous vêtir et nous loger cela doit nous suffire, des hommes qui, soumis à l’Évangile, eussent eu en partage ce contentement intérieur que saint Paul appelle avec tant de raison le plus grand gain, se sont détournés des sentiers de la vérité et du salut, embarrassés eux-mêmes dans bien du tourment, et glissent déjà, sans s’en apercevoir peut-être encore, sur la pente rapide qui mène au gouffre de la perdition.


C’est pourquoi je vous dis:

Ne vous inquiétez pas pour votre vie de ce que vous mangerez, ni pour votre corps, de quoi vous serez vêtus.

La vie n’est-elle pas plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement? (Matth. VI, 25.)


Je sais, mes chers auditeurs, que si je ne voulais vous entretenir dans ce discours que de cette sordide rapacité que l’on nomme communément AVARICE, et que l’honnêteté mondaine réprouve déjà, je prêcherais à des convertis sur ce point; vous vous applaudiriez de n’être pas des pécheurs de cet ordre et retireriez fort peu de fruit de mon travail. Je désire donc, avec l’aide du Seigneur que j’implore, élever plus haut vos esprits et vos cœurs.


Pour traiter cette grave matière dans son ensemble:

1. Je tâcherai d’abord de préciser nettement l’attachement aux richesses que le christianisme condamne;

2. Je presserai ensuite les motifs sur lesquels je fonde la nécessité pour tous d’user des biens de ce monde comme si nous n’en usions point, c’est-à-dire avec une habituelle modération et en étant toujours prêts à y renoncer sans murmure.

Apprends-nous toi-même, ô notre bon Dieu! apprends-nous toi-même à apprécier à leur juste valeur ces richesses dont la possession peut, il est vrai, être sanctifiée par un usage conforme à ta divine volonté, mais dont aussi le désir immodéré en entraîne de nos jours un trop grand nombre, hélas! dans la tentation et dans le piège, les expose à la ruine et menace de les plonger enfin dans l’abîme d’une éternelle réprobation!

Amen.

* * *


C’est assurément mal servir la morale évangélique que de la défigurer en l’exagérant.

Je ne ferai, pour ma part, nulle difficulté de reconnaître, mes chers auditeurs, qu’il vous est non seulement utile, mais nécessaire de posséder de quoi pourvoir aux besoins de vos familles et à vos propres besoins.

J’irai même plus loin, et je vous concéderai volontiers qu’à une époque comme la nôtre surtout, c'est un devoir de vous imposer certaines privations, de mettre, si possible, en réserve quelques épargnes pour demeurer en mesure de satisfaire à des sacrifices toujours plus répétés et plus considérables.

Je vous accorderai même et enfin, que la fortune peut être pour le sincère disciple de Christ un excellent moyen de manifester sa foi et D’EXERCER SA CHARITÉ.

Honneur et bénédiction aux riches qui ne sont point orgueilleux, qui ne mettent point leur confiance en des biens périssables, mais QUI LA METTENT AU DIEU VIVANT, qui nous donne toutes choses pour en jouir, (1 Tim. VI, 17.) qui sont prompts à secourir les indigents et s'amassent ainsi pour l'avenir un trésor placé sur un fonds qui leur vaudra l'entrée du royaume des deux.

L’attachement aux richesses que l’Évangile condamne, je le trouve d’abord, mes chers auditeurs, dans le mécontentement de ceux-ci d’une position où, se faisant plus sages et plus religieux, ils pourraient goûter le repos et le bonheur, mais dont ils veulent absolument sortir pour se jeter à l’étourdie dans les aventures.

C’est par le travail, par l’économie, par l’ordre, par une conduite retirée, humble et pieuse que le chrétien prospère, qu’il fait ou qu’il maintient sa maison; tandis que, de nos jours, combien qui tentent de parvenir à la fortune par la spéculation seule, sans aucune gène, et comme d’un seul bond!

Combien qui, par paresse, ou pour assouvir de secrètes ou honteuses passions, au lieu de se soumettre à ces salutaires directions de la Loi du Seigneur: Tu mangeras Ion pain à la sueur de ton visage! (Gen. III, 19.) Tu ne seras point envieux; mais tu seras toujours fidèle à la vérité et au devoir se lassent des conditions les plus sûres, désertent parfois les postes les plus honorables et les plus lucratifs pour courir en insensés aux plus compromettantes entreprises!


Hélas! ils veulent devenir riches en suivant une autre route que celle où Jésus les conviait à marcher sur ses traces: que leurs projets réussissent ou qu’ils échouent, n’importe, ils ont perdu la droite voie, et pour eux la ruine n’est pas loin!

L’attachement aux richesses que l’Évangile condamne, je le trouve ensuite, mes chers auditeurs, dans un tel asservissement de ceux-là aux biens qu'ils possèdent, qu’à la lettre ils s’en sont fait les esclaves, et que même ils en perdent le sens et tombent dans les plus fausses appréciations des individus et des choses.

N’est-il pas vrai que de nos jours, il est des gens qui s’indigneraient contre celui qui les accuserait d’avarice, et qui cependant se privent de tout, et sont réellement pauvres au sein de leur stérile abondance?

N’est-il pas vrai que, de nos jours, dès que l’on parle en société d’une personne encore inconnue à plusieurs, aussitôt l’on s’écrie de tous les côtés: Est-il riche? est-elle riche?... Ah! que cette question révèle bien le penchant intime de ceux qui la font!...


Mais, en soi, qu’est l’or? Qu’est l’argent?

Toutes les richesses du monde feraient-elles éclore une noble pensée dans la tête, ou un sentiment généreux dans le cœur de cet homme ou de cette femme, tant que la grâce d’en haut n’y a pas fait son œuvre? Oh! Jamais.

Voici, dit le sage, il en est qui ne mettent aucun frein à leur ambition; ils ne se donnent ni trêve ni relâche ne sachant pas même pour qui ils prennent tout ce souci. N’est-ce pas là une vanité et une folie? (Eccl. IV, 8.)


Malheur, exclame un prophète, malheur à qui, ne songeant qu'à la terre, ajoute maison à maison, domaine à domaine, et se persuade obtenir par là paix et joie, (Esaïe V, 8.)

car, conclut le Christ, quoique les biens abondent à un homme, il n'a point par ses biens ce qui fait le véritable prix de la vie. (Luc XII, 15.)

Et puis, quel plaisir retirera de ses richesses celui qui, N’OSANT Y TOUCHER POUR LUI-MÊME, en voudra bien moins encore faire part à d’autres, et si, aux nécessiteux qui n’ont ni pain, ni vêtements, ni logis, il adresse pour aumône un dérisoire: Dieu vous bénisse! et refuse de leur tendre une main secourable, dites-moi:

Un tel homme ne marque-t-il pas lui-même sa place à côté du mauvais riche dans le lieu des peines des réprouvés?


L’attachement aux richesses que l’Évangile condamne, je le trouve enfin, mes chers auditeurs, dans CETTE SOIF D’ACQUÉRIR qui fait que la plupart ne reculent point devant l’emploi des moyens les plus indélicats pour augmenter leurs bénéfices et arrondir leur fortune.

Eh! que n’entend-on dire et répéter partout de nos jours?

Que chacun regarde à son intérêt particulier, sans avoir aucun égard à celui des autres; qu’il n’y a plus de sécurité dans les affaires, plus de bonne foi dans les transactions, que c’est en un mot (passez-moi l’expression), un accroche-qui-peut universel.

Voyez dans les cercles artificiellement supérieurs du monde de la finance, quelle cupidité se cache sous le masque du dévouement, et sous la pompe magique des termes dont on abuse en les détournant de leur signification commune!

Voyez, un peu plus bas, ces maîtres, ces chefs d’atelier pressurant leurs domestiques et leurs ouvriers, et faisant tourner à leur profit le malheur des temps et des circonstances;

Voyez aussi ces mêmes ouvriers et ces mêmes domestiques, compromettant le repos, la fortune et le bonheur de ceux que, pour leur propre avantage, ils devraient ménager et mieux servir!

Voyez, écoutez cet homme qui a réputation d’habileté entre les plus habiles: quelle satisfaction rayonne sur son visage! quel éclat dans sa voix proclamant le succès de l’une de ces spéculations hardies par lesquelles on s’enrichit, mais en ruinant son prochain! Et les gens du siècle d’applaudir, de féliciter cet heureux joueur et de déclarer hautement qu’il a fait là ce qu’il leur plaît d’appeler un beau, un magnifique coup de commerce!...

Un beau coup de commerce?

Un magnifique coup de commerce?

Selon vous peut-être, ADORATEURS DU VEAU D’OR qu’encensent les agioteurs émérites de cette époque de matérialisme et de tromperies de tous les genres: mais Dieu! mais la conscience!

Mais les épouvantables menaces que le ciel fulmine contre:

ceux qui foulent leurs frères,

qui font tort au pauvre ouvrier,

qui se servent du double poids et de la double mesure, tous deux également en abomination à l'Éternel

qui pillent leurs proches ou qui partagent avec des larrons! d'où suivront ensuite les déchirements du remords après les menteuses jouissances d’une possession illicite, ET LES FLAMMES DE L’ENFER APRÈS LE MÉPRIS DES AVERTISSEMENTS DU SEIGNEUR!!!

Prenez garde, ô mes très chers frères et mes très chères soeurs, ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation et dans le piège, et dans plusieurs désirs insensés et pernicieux qui plongent les hommes dans la ruine et dans la perdition. (1 Tim. VI, 9.)


Vous savez maintenant quel est l’attachement aux richesses que l’Évangile condamne: apprenez encore quels motifs vous avez, nous avons tous de nous en dépouiller, ou de nous tenir soigneusement en garde contre lui.

Il y a dans cet attachement désordonné aux biens de la terre que je stigmatise aujourd’hui, péché contre Dieu.

Nous avons reçu des mains du Créateur une âme capable des plus hautes pensées et des sentiments les plus généreux; or, cette âme qui nous rappelle notre céleste origine et pour le salut de laquelle Jésus a versé tout son sang en Golgotha, nous croirions-nous libres, mes chers auditeurs, de l’asservir à la matière, sans nous exposer à un juste châtiment?

Estimerions-nous n’avoir aucun compte à tenir des exhortations de cet Évangile qui tend à faire de nous des êtres spirituels?


Espérerions-nous enfin arriver au paradis en suivant une route toute opposée à celle que le Christ nous a tracée par son exemple autant que par ses leçons?

Hélas! l’homme est ainsi fait que lorsqu’il cède à quelqu’une de ses mauvaises passions (et il n’est pas de passion plus vile et plus dégradante que la cupidité), il oublie bientôt son suprême bienfaiteur, et que sa noire ingratitude devient la principale cause de ses écarts et de ses souillures.

LE FLAMBEAU DE LA FOI S’ÉTEINT DANS CELUI QUI AIME L’ARGENT POUR L’ARGENT; pour lui, la piété perd tous ses charmes et le culte n’a plus d’attrait: SON DIEU, C’EST MAMMON; son temple, c’est la bourse, le comptoir, l’atelier, ou l’obscur réduit qui recèle son trésor, car de ces idolâtres, aujourd’hui plus que jamais, on en rencontre dans les mansardes comme dans les palais; SA FÉLICITÉ, C’EST LE CONTACT ET LE BRUIT DE SES ÉCUS.

Ah! ne sentez-vous pas déjà, mes chers auditeurs, que vous êtes faits pour quelque chose de plus noble, que vous êtes appelés à de plus saintes obligations et réservés pour de plus glorieuses destinées?

Non, non, NUL NE PEUT ÊTRE ESCLAVE DE L'OR ET AMI DE DIEU: voulez-vous donc être de vrais enfants de Dieu et de fidèles disciples de Jésus-Christ?

Ne donnez point votre cœur à des richesses vaines de leur nature et périssables en leur durée.

Il y a dans cet attachement désordonné aux biens de la terre que je stigmatise aujourd’hui, péché contre la société.


Comme d’instinct nous chérissons les lieux qui nous virent naître, et une sympathie naturelle nous porte à secourir les malheureux et à pleurer avec ceux qui pleurent: le christianisme, ici comme ailleurs, transforme en des devoirs sacrés les inspirations les plus douces et les plus vives de notre cœur.

Se rendre utile à tous dans la mesure des dons et des talents qui leur ont été confiés par le Seigneur, voilà la règle que l’Évangile prescrit aux vrais membres de l’Église.

Mais allez demander à celui qui ne rêve que conservation et accroissement de sa fortune un sacrifice pour sa patrie!

Il aura mille prétextes pour excuser son peu de dévouement à la chose publique et se retrancher derrière les exigences de ses intérêts égoïstes.

Allez solliciter sa pitié en faveur du pauvre qui n’a ni gîte, ni pain, ni habits! Il vous répondra un sec: «Je ne donne pas!»

Il ne respectera pas même la sainteté des nœuds les plus intimes, et quand il sera question d’un mariage, soit pour lui, soit pour quelqu’un des siens, il en fera froidement encore une affaire d’argent!


Ah! en voyant ce qui se passe de nos jours dans le monde, en voyant les foules se précipiter avec une sorte de fureur dans la carrière des spéculations les plus hasardées, plaçant les appétits matériels les plus grossiers au-dessus des aspirations de l’esprit les plus élevées et des plus chaudes affections de l’âme, je ne m’étonne plus des secousses sociales qui ébranlent et affligent l’Europe, et je prévois pour plusieurs encore de sinistres, inévitables et prochaines catastrophes.

Non, non! les États pas plus que les individus, ne peuvent jouir de la sécurité et du bien-être, tant que grands et petits, riches et indigents, SE PROSTERNENT ENSEMBLE DEVANT MAMMON.

Voulez-vous donc travailler efficacement au bonheur de votre pays, en assurant votre propre salut?

Ne donnez point votre cœur à des richesses vaines de leur nature et périssables en leur durée.

Il y a dans cet attachement désordonné aux biens de la terre, que je stigmatise aujourd’hui, péché de celui qui s’y abandonne contre lui-même, contre son propre repos et son propre bonheur.

C’est un fait psychologique incontestable que toute passion défendue nous tourmente intérieurement; mais qui dira les souffrances morales de celui qui, sentant en sa conscience qu’il a fait de l’argent SON DIEU, et qu’il a laissé s’éteindre en son cœur le feu divin de la charité, ne trouve dans la poursuite et la possession de la fortune même la plus considérable, rien de ce qu’il s’était promis d’y trouver en effet?

Cet homme s’était persuadé que lorsqu’il aurait fait monter son capital à tel chiffre, il serait satisfait: là était la tentation; là était le piège, car ce chiffre est dès longtemps dépassé, mais la soif d’acquérir qui le dévore est plus brûlante que jamais.

Cet homme avait compté sur la considération que, selon lui, ses richesses ne pouvaient manquer de lui valoir; là était la tentation, là était le piège, car il s’aperçoit qu’il n’est au contraire qu’un objet de mépris, ou tout au moins de pitié pour les plus dignes et les meilleurs, pour ceux qui préfèrent la noblesse réelle des sentiments au trompeur éclat de la fortune.

Cet homme s’était flatté qu’une fois ses coffres pleins, toutes les récréations et tous les plaisirs seraient enfin son partage et sa récompense: là était la tentation, là était le piège, car s’il ne peut guère entasser davantage, comment s’y prendra-t-il pour profiler maintenant de son avoir?

La seule pensée de la moindre dépense lui cause du frisson, et puis, pour jouir, de quel côté se tournera-t-il?

Du côté de Dieu?

Il en a désappris le culte.

Du côté de ses semblables?

Il les a froissés par son égoïsme et scandalisés par ses rapines.


Pauvre riche! à la fièvre qui le consuma jadis, a succédé l’atonie de toutes tes facultés.

Hélas! TU NE VAUX PLUS RIEN, ni pour le service du Seigneur, ni pour le soulagement de tes frères, ni pour toi-même!

Dis-moi: à quoi te servent à cette heure tes écus?

Et ton âme qui, cette nuit même peut-être, te sera redemandée!

Et tes avides héritiers qui, en se querellant, vont déchirer en lambeaux cette fortune dont tu fis ton idole!

Et ce mausolée qu’on marchandera peut-être à ta mémoire et qui ne sera jamais arrosé des larmes d’une profonde douleur et d’une, sincère reconnaissance!


Pauvre riche, si en cet instant encore, tu entends la voix de Dieu: hâte, hâte-toi de te convertir à Lui!...

Non, non, il n’est pas dans la puissance de cet or qui de nos jours fait tant d’esclaves, de nous rendre heureux.

Voulez-vous donc, chacun pour ce qui le regarde, savourer les douceurs du calme et les vraies joies?

NE DONNEZ POINT VOTRE CŒUR À DES RICHESSES VAINES de leur nature et périssables en leur durée.

C’est une matière aussi délicate qu’importante que celle dont je me suis imposé la tâche de vous entretenir aujourd’hui, mes très chers frères et mes très chères sœurs, et j’en appelle à la Bible et à votre propre expérience de la vérité des propositions avancées et développées dans ce discours.


Un philosophe de l’école de Salomon s’écriait autrefois:

Seigneur! ne me donne ni pauvreté ni richesses, mais nourris-moi du pain de mon ordinaire, de peur qu'étant rassasié de biens, je ne le renie, et ne dise: qui est L'Éternel? de peur aussi qu'étant pauvre, je ne dérobe et ne prenne en vain le nom de Dieu! (Prov. XXX, 8-9.)

Cette belle prière d’Agur ne devrait-elle pas plus particulièrement encore être la nôtre, à nous les disciples du Christ qui, selon son ordre, devons répéter chaque jour: Ô notre Père qui es aux cieux! Donne-nous aujourd'hui notre pain quotidien! (Matth. VI, 11.)

Si la raison et l’Écriture nous convient également à limiter nos désirs de possession: ah! c’est que la médiocrité est en fait de fortune l’état le plus heureux pour l’homme sur cette terre.

Oui, oui, c’est dans les classes moyennes de la société, alors que l’Évangile y exerce la salutaire influence, que se trouvent les affections les plus fortes, les devoirs les mieux remplis et la plus grande somme de bonheur.

Veillons donc tous sur nous-mêmes, afin de préserver ou de guérir nos cœurs de cette fièvre de thésauriser à tout prix qui est la pire des maladies morales de notre époque.


Vous, que la Providence a fait naître dans une condition privilégiée, ou dont elle a béni le travail et les sages et légitimes entreprises, mettez donc des bornes à votre ambition, imitez la charité de ces Corneille et de ces Dorcas, dont le dévouement fit les délices et la gloire de la primitive Église.

Ne reculez devant aucun sacrifice alors qu’il s’agit de bien servir votre patrie; que, par la simplicité de vos mœurs, vous opposiez, si possible, une digue à l’envahissement d’un luxe qui peut causer la ruine de ceux qui, moins fortunés que vous, auraient l’imprudence de copier votre faste; que vous voyant modérés en toutes choses, prêts à vous relâcher de votre droit à l’occasion, sans fierté aucune, les détracteurs de votre prospérité aient enfin la bouche fermée.

La noble, la sainte mission que la vôtre, ô riches qui m’écoutez! aider à fonder ou à garder parmi nous d’utiles institutions, protéger le faible, défendre l’opprimé, secourir le malheureux, pourvoir aux besoins de l’indigent!

Encore une fois: faites hommage au Seigneur des prémices de tout votre revenu en le consacrant à des œuvres de bienfaisance; rendez à Dieu le culte qui Lui appartient dans son temple et dans vos maisons; soyez bons envers chacun: VOILÀ LA RELIGION PURE ET SANS TACHE que prêchait déjà saint Jacques (Jacques I, 27.) et que je m’honore de prêcher après lui, voilà la seule véritable grandeur.

Ce faisant, riches! vous éviterez les pièges et les tentations de la fortune, et si vous n’obtenez pas toujours la reconnaissance de vos obligés, toujours au moins vous aurez la paix de l’âme, et vous hériterez finalement la vie éternelle!

Et vous, que la dureté des temps que nous traversons réduit presque à la misère, entendez-vous à cette heure la voix amie d’un pasteur qui compatit profondément à vos privations et à vos inquiétudes?

Je n’examinerai point ici si plusieurs d’entre vous n’eussent pu profiter mieux du passé et de ses ressources évanouies; je ne veux pas ajouter l’affliction à l’affligé et me répandre en inutiles regrets et en poignants reproches; mais enfin, ô mes pauvres frères et mes pauvres sœurs! savez-vous du moins sanctifier l’épreuve par votre résignation, votre courage et l’amendement de votre conduite?


N’est-il pas vrai qu’il en est, au contraire, parmi vous qui, au lieu de s’humilier sous la verge de l’adversité, lèvent orgueilleusement l’étendard de la révolte contre Dieu, comme s’il était, Lui, le miséricordieux, l’auteur de tous leurs désastres?

N’est-il pas vrai qu’il en est parmi vous qui, prêtant une trop complaisante oreille aux paroles emmiellées d’aveugles ou pervers philanthropes prétendus, sont toujours prêts à se joindre aux attaques dirigées contre ceux qui possèdent, comme si ceux qui leur procurent l’ouvrage qui leur vaut du pain, les pouvaient occuper mieux alors qu’ils n’auraient plus rien eux-mêmes?

N’est-il pas vrai qu’il en est parmi vous qui, avec plus d’ordre, plus de retenue, plus de piété, en un mot, seraient dans un état qui comblerait les vœux des travailleurs de fabriques encore plus maltraitées que la nôtre?


Pourquoi CETTE INDIFFÉRENCE POUR DIEU et les choses saintes qui fait que les plus pauvres, c’est-à-dire précisément ceux et celles qui ont un plus pressant besoin des secours de la religion, ne sont presque jamais ici, et que quelques-uns sans doute seulement recueilleront les fruits de cette prédication?


Pourquoi les ouvriers, les subalternes, les employés de tous genres ne veulent-ils jamais prendre garde qu’aux bénéfices réels ou supposés de ceux dont ils relèvent, SANS RÉFLÉCHIR aux capitaux que ceux-ci exposent, aux lointains voyages et aux fréquentes absences qui sont leur partage, et aux soucis multipliés dont le fardeau les vieillit souvent avant l’âge?

Pourquoi enfin quand le commerce est comme paralysé et que, par suite, notre industrie nationale est en souffrance, pourquoi ceux et celles qui se plaignent le plus ne se veulent-ils restreindre en rien en ce qui touche leurs habitudes de toilette, de jeux et de dissipation?

Ô pauvres qui m’écoutez! la franchise avec laquelle j’ai aujourd’hui parlé aux riches, ne m’autorise-t-elle pas à vous tenir aussi le même langage?

Il y a d’ordinaire dans votre fait beaucoup plus d’attachement désordonné aux biens de la terre que n’en soupçonneraient des esprits superficiels, et que vous n’y en soupçonnez vous-mêmes: témoins tous vos efforts pour PARAÎTRE CE QUE VOUS N’ÊTES PAS.

Eh! bien, pour rentrer dans le vrai, et recouvrer la sérénité de vos âmes, convertissez-vous à Dieu sous la croix de votre infortune; occupez-vous de vos mains à de bonnes choses: si un travail vous manque, entreprenez-en de suite un autre: plus de ces ridicules tentatives d’éclipser de plus opulents que vous par la recherche de vos vêtements, de vos meubles, et que sais-je encore?

Plus de ces folles dépenses dans les lieux publics, qui parfois augmentent la gêne et provoquent des querelles au logis.

Mais chez tous une vie laborieuse, sage, retirée, chrétienne, et des jours plus heureux luiront encore pour vous peut-être: ou si, ce qu’à Dieu ne plaise! le malheur vous tenait rigueur, vous auriez du moins, pour l’éternité, des places à côté de Lazare dans le sein d'Abraham, c’est-à-dire, dans le paradis des rachetés de Jésus-Christ.

Ô mon Dieu! mon Dieu! sanctifie-nous tous par ton divin Esprit! Que riches et pauvres, grands et petits, pasteur et troupeau, sans avarice et sans ambition, mais aussi sans paresse et sans relâchement, nous menions devant toi une vie honorable et religieuse, et nous soyons à l’heure de notre mort introduits dans la patrie des anges, là où est notre trésor et notre couronne!

Amen.


 

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