Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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AYEZ PITIÉ !...


À l’heure où, dans tous les lieux de culte, les prêtres et les pasteurs accomplissent les rites immuables de leur religion respective; à l’heure où devant une assemblée élégante et distraite, un orateur brillant fait retentir les voûtes d’église riche des échos de son sermon impeccable et correct;

À cette heure-là où vous, les privilégiés de cette terre:

vous courbez la tête une seconde devant la Majesté des lois de Dieu,

pour la courber des années devant les lois du monde;

À cette heure-là, des gens que vous voulez ignorer, des gens qui ont faim, qui ont froid, des gens bien misérables, car ils sont solitaires parmi nous, à cette même heure, des gens qui appartiennent à la même humanité que nous s’acheminent, eux aussi, vers un lieu de culte.

Et, de les voir passer dans leurs tristes vêtements fripés, de les voir passer essayant de faire un effort pour ressembler à tout le monde, le cœur se serre et notre âme a honte. Notre âme a honte devant l’éloquence de ces pauvres pieds nus à même les bottines éculées; l’éloquence muette, si poignante pourtant, l’éloquence suppliante de ces faces terreuses et de ces yeux battus!...

De même qu’il nous éclaire, le soleil répand la profusion de ses rayons sur nos frères souffrants, et sous cette lumière, devant la révélation éclatante de leur misère et de leur déchéance, pendant que vous, lecteurs, vous levez la tête pour aspirer mieux, dans une plus large mesure, la lumière joyeuse de cette matinée, eux, les déshérités, ils courbent plus bas encore leurs fronts fatigués, car soudain ils se sentent de trop parmi cette clarté qui semble vouloir les humilier, les abaisser un peu plus encore.

Ces gens sentent qu’ils vous gênent, vous, les mondains; ils sentent que même en se taisant, même en s’effaçant, ils vous blessent et vous offensent; alors ils passent vite, rasant les murs, honteux et résignés.

Et vous, devant ce spectacle inusité, devant cette révélation subite, avec votre sens exquis de ce qui est la Beauté, avec votre instinct si sûr de ce qui n’est pas «esthétique», vous repoussez cette vision et vous laissez retomber sur elle LE VOILE ÉPAIS DE L’INDIFFÉRENCE ET DE L’ÉGOÏSME.

Mais derrière ce voile «ils sont là», et ce n’est pas en essayant de nier un fait tangible que ce fait peut cesser d’exister. Ils vont, eux aussi, vers un lieu de culte et, toujours plus dense, leur groupe hâte le pas; une bise froide s’infiltre sournoise et malveillante dans chaque déchirure de leurs vêtements, et devant ce terrible ennemi des pauvres, cet ennemi qui mord et qui tue, ils courent toujours plus vite là-bas!


Oui, là-bas où ils savent être attendus, là-bas où ils ont été conviés!

Oui, ces gens savent que quelqu’un les attend et ils peuvent éprouver un orgueil naïf en pensant, en se disant que cette nuit passée des personnes ont veillé pour préparer quelque chose pour eux, spécialement pour eux.

Une pensée a veillé pour accomplir un des préceptes de l’Évangile vis-à-vis de ces pauvres; au nom de la Charité immense, infinie de Dieu, au nom de Jésus, ces dévoyés, ces pécheurs, ces coupables peut-être vont recevoir gratuitement de la nourriture d’abord et une bonne parole après.

«Ces gens ont faim, ils se révoltent, disait quelqu’un à Tolstoï; que faut-il faire pour les apaiser?»

Et celui-ci répondait, sentant profondément la plaie dont souffrait l’humanité, celui-ci répondait: «Donnez de l’affection à ces gens!»

Au nom du Christianisme, donnez un peu d’affection à ceux qui sont plus malheureux que vous; ayez pitié de vos frères en détresse, de toutes ces tristes vies manquées!

Donnez de la sympathie, montrez un peu d’intérêt, car ces frères souffrent... ayez pitié.


Nous, nous avons eu pitié, et nos mains se sont tendues, et notre âme s’est ouverte; et devant cet auditoire nombreux, si nombreux, hélas! devant toute cette misère, toute cette déchéance, nous ne nous sentons pas étrangers, nous ne nous sentons pas impuissants, car c’est justement pour ceux-là, pour ces cœurs dévoyés et meurtris, pour ces âmes découragées, que nous avons donné nos vies. Oh! non, cette misère ne nous repousse pas, mais elle nous attire comme un aimant puissant; elle nous fait aller vers elle avec des mots de douceur, avec un élan de pitié fraternelle.

Devant cet auditoire, nous sentons en nos cœurs un amour brûlant qui les englobe tous, et nous sentons dans ces regards dirigés vers nous qu’ils ont tous une faim, une soif intenses de cette immense affection dont l’essence est divine et dont ils éprouvent l’efficacité sans pouvoir peut être analyser, ni décrire exactement ce qu’ils désirent, ce qu’ils attendent, ce qu’ils espèrent de notre affection.

Nous distribuons de la nourriture gratuitement puis, une fois qu’ils ont chaud, une fois que la faim ne les tenaille plus alors seulement nous parlons de Dieu.

Pourquoi faites-vous ces choses pour nous?

Au nom de Jésus! N’est ce pas un culte suffisant?

Au nom de Jésus, nous venons vous aider non pas seulement avec un bol de soupe, un morceau de pain, mais avec une bonne parole dite sincèrement avec une bonne parole qui vient de notre âme, qui reconnaît dans cette foule des frères malades.

Au nom de Jésus, au nom de l’Idéal qu’il représente, nous venons essayer de faire jaillir une étincelle de cet amas de cendre grise et morne.

Nous croyons en Christ, donc nous croyons en Dieu dans notre être, nous croyons en ce qu’il est capable de faire par nous, c’est pourquoi nous croyons pouvoir les aider. Ils sont là... non pas un ou deux, non pas dans l’ombre comme des silhouettes effacées et lointaines, mais ils sont là en face de nous.


Lecteurs, n’avez-vous pas un geste à faire vers eux et devant cette interrogation suprême qu’ils représentent, aucune réponse ne montera-t-elle à vos lèvres et votre cœur restera-t-il fermé?

Vous dites, peut-être, ou vous pensez peut-être que ces hommes sont responsables dans une large mesure de cet état présent, que ce sont des déclassés, des paresseux, des menteurs, des hypocrites!... oui peut être, mais si cela était vrai, ILS N’EN SONT PAS MOINS DES ÂMES, oui, mais:


C’est pour eux quand même que le Christ a étendu ses bras sur la croix

pour les appeler, pour les accueillir et pour les garder.


Et c’est au nom de cet Évangile que nous allons essayer de faire vibrer dans cette foule une note qui cesse d’être purement matérielle.

Pour les sauver ces gens, pour les garder, pour les protéger, les panser, les guérir,

il faut plus que la science humaine, plus que l’intelligence humaine,

il faut la science de Dieu.

Il faut que l’Infini s’abaisse vers eux ou que nous sachions les porter vers cet Infini,

il faut qu’ils sentent Dieu, pour que tout un Printemps triomphant renaisse et jaillisse!

Ils sont là chaque dimanche, ils attendent en face de nous, que nous soyons une preuve vivante et agissante de «l’amour épuré du Calvaire». Un amour dénué d’orgueil et d’égoïsme dans lequel notre personnalité n’ait point de place.

Cette vie intense qui palpite au fond de nos âmes et qui sait et qui peut nous élever au-dessus de nous-mêmes, ce désir ardent d’une Beauté morale qui est en vous et en nous, ne vous fera-t-elle pas réfléchir une seconde?

Parce que vos frères sont trop faibles pour rester seuls debout, allez-vous les écraser tout à fait, les renier tout à fait?

Que répondrez-vous à la question que Dieu vous posera: «Qu’avez-vous fait de vos frères?»

Oui, nous faisons tomber un voile sur les choses qui nous accusent, nous voulons passer indifférents et corrects, mais quand le voile s’écarte et que nous apercevons ces visages tendus anxieusement vers nous, alors nous nous sentons lâches et cruels.

Donnons de l’affection, car nous-mêmes dans notre propre vie, nous n’avons pas toujours pu marcher seuls et nous relever seuls, quand le poids de nos actions, nous forçait à nous courber.

Ayez pitié de ceux qui ont laissé l’enfer pénétrer dans leur âme, qui ont laissé l’irréparable s’accomplir et qui jour après jour vivent le souvenir déprimant de la faute commise et écoutent sans relâche le glas lugubre qui répète sans cesse «Trop tard... trop tard...»

Faites cesser ce glas de mort et venez aider à mettre du renouveau dans nos cœurs.

Pensez que ces centaines d’hommes, de femmes, d'enfants sont susceptibles de souffrir;

ils savent pleurer comme vous et moi,

ils savent aimer comme vous et moi,

ils savent souffrir plus que vous et moi n’avons et n’aurons à souffrir.

Aidez-nous à mettre un peu de douceur dans cette amertume à mettre un rayon lumineux dans cette obscurité.

DONNEZ UN PEU DE VOTRE CŒUR, car chaque dimanche, ils sont là et chaque dimanche, notre responsabilité et la vôtre sont en jeu devant Dieu.

Nous nous sommes levés pour répondre à cet appel de détresse et pendant que toute cette souffrance tend les mains vers nous, nous lecteurs, nous tendons les mains vers vous et nous vous disons:


«Au nom du Christ, vous chrétiens, ayez pitié!... »


M. Heldwein.

En avant 1914 04 18



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