CHANTEURS AMBULANTS
Une bande d’artistes ambulants parcourait les rues d’une petite ville où leurs chansons attiraient de nombreux spectateurs. Ils venaient de terminer une représentation, et l’un d’eux s’était détaché du groupe pour faire la quête. Un négociant, qui se tenait sur le seuil de son magasin, tira un livre de sa vitrine en disant au quêteur:
— Voici un franc et ce livre par dessus le marché, si vous consentez à lire cette page devant vos camarades.
— C’est facile, répondit en riant le chanteur. Attention la séance va commencer. Il lut la page ouverte:
«Jésus lui dit: Un homme avait deux fils; le plus jeune dit à son père: Mon père, donne-moi la part de bien qui m’appartient. Et il lui partagea son bien.»
Il y avait dans l’étrangeté de la situation, ainsi que dans la voix émue du chanteur, quelque chose qui fil faire silence à la foule. Il continua:
«Et peu de jours après, quand le plus jeune fils eut tout ramassé, il s’en alla dehors dans un pays éloigné, et là il dissipa son bien en vivant dans la débauche.»
— C’est comme toi, Jacques, lui souffla un de ses camarades. Le lecteur reprit:
«Et après qu’il eut tout dépensé, une grande famine survint dans ce pays-là, et il commença à se trouver dans le besoin.»
— Te voilà encore, reprit la même voix; continue...
«Alors il s’en alla, poursuivit le lecteur, et se mit au service d’un des habitants du pays, qui l’envoya dans ses champs garder les pourceaux. Il aurait bien voulu se rassasier des gousses que les pourceaux mangeaient, mais personne ne lui en donnait.»
— Voilà comme nous sommes tous, interrompit le même personnage: des mendiants, tandis que nous pourrions être heureux. Lis plus loin pour voir ce qui arrivera. Le jeune homme continua:
«Alors, étant rentré en lui-même, il dit: Combien y a-t-il de domestiques dans la maison de mon père qui ont du pain en abondance, et moi je meurs de faim. Je me lèverai et je m’en irai vers mon père, et je lui dirai: J’ai péché... (Luc 15; 11-20).
À ces paroles, les larmes étouffèrent sa voix. Il pensait à son père, à sa mère, qu’il avait quittés, à leur affection. Il comparait cela avec sa misère présente, ses compagnons de vice, ses fautes, sa vie dégradée...
Ce fut pour lui l’heure décisive.
Il entra dans le magasin et causa avec le marchand, qui s’offrit à prévenir ses parents. La réponse ne se fit pas attendre; quelques jours après, ce fils bien-aimé, perdu depuis longtemps, rentrait à la maison.
Il put se convaincre là que son père l’aimait encore, qu’il l'avait toujours aimé, même dans les moments où lui-même se montrait le plus indigne de cet amour. Il pensa que si son père l’aimait et l’accueillait malgré ses fautes, de même il était aussi aimé et serait accueilli par le «PÈRE QUI EST AUX CIEUX». Il en fit aussi l’heureuse expérience.
En avant 1914 04 18
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