Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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UNE ASCENSION


Il ne s’agit pas de celle du Mont Blanc ou du Mont Rose, ni même de celle de la Baraque Michel, dans nos Ardennes. Non, tout simplement de l’ascension d’un «terril» en pays borain.

Ce n’est pas en costume masculin que je l’accomplis, pas même avec un sac sur le dos, à la recherche des morceaux de charbon. Mais je le fis... devinez! Il faisait une de ces journées tristes et grises que multiplie notre climat. Sous un ciel bas, les cheminées des charbonnages crachaient leur noire fumée. Le vent, en rafales, chassait des tourbillons de poussière; de temps en temps une forte ondée rendait l’air plus serein, mais vous glaçait jusqu’aux os.

J’aurais donné beaucoup pour être dans mon lit bien chaud, à l’abri des intempéries, moi qui si souvent avait gémi d’être couchée, trouvant longues les heures de souffrance et d’immobilité! Il s’agissait à présent de tout autre chose:

J’avais reçu du médecin l’ordre de trouver une fleur merveilleuse qui seule pouvait me rendre la santé, et qui ne croissait qu’à une altitude supérieure. Personne n’avait pu me la procurer, et je voulais tenter moi-même un dernier effort. Mais le prix en valait la fatigue: la santé retrouvée...

Lequel, ami lecteur, ami malade, me jettera la première pierre pour mon audacieuse tentative?

Que ne faisons-nous pas de plus absurde encore quand nous sommes placés devant ce dilemme, la vie ou la mort?

Aussi, de toute mon énergie voulais-je gravir ce terril rébarbatif, où, peut être s'épanouissait la fleur de vie.

Pas de sentier. Un cône tout noir, hérissé, à la base, d’énormes blocs de pierres qu’il fallait escalader. Cela fait, j’arrivai à un terrain caillouteux, glissant, et je m’aperçus bientôt que je n’avais eu aucune difficulté sérieuse, comparativement à ce qui m’attendait. Tout à coup, je fis la réflexion — bien tardive — que le terril était l’aridité même. Pas le moindre vestige de végétation; et même une pauvre petite graine eut-elle eu l’idée de germer là que le feu qui couvait sous la cendrée l’eût bientôt dévorée. Alors?

C’était absurde, c’était folie de chercher là la plante convoitée! Oh! qui m’aiderait à la trouver, et où?

Le cœur mordu par le doute, je me remis en marche. Plus d’élan, plus d’ardeur: une incertitude croissante paralysait mes mouvements. Je trébuchais; je me relevais; regardant devant moi, je me sentais faiblir; cette pente de plus en plus abrupte, demeurait d’une aridité absolue: pas le moindre brin d’herbe, pas la plus petite graminée n’indiquaient que là eût poussé ce que je cherchais... Non j'y renonçais! C’était au-dessus de mes forces! Je m’assis, le cœur oppressé.


À mes pieds s’étalait le chemin parcouru. Quoi, déjà tant de mètres me séparaient de mon point de départ? Quoi, là en bas, j'avais gémi devant ces blocs à escalader? Que cela me semblait facile, vu d’en haut; avais-je raison de me décourager, alors que tout près de moi, peut-être, je trouverais la santé, la vie! «Courage, en avant, essaie», me soufflait la voix intérieure... À ce moment, un pâle rayon de soleil ranima mon espérance.

Je repris ma marche. Plus de cailloux, à présent. Une boue noirâtre, gluante! J’avançai de trois pas, reculai de deux. Et plus je montais, plus le sommet devenait lointain à mes yeux. Était-ce donc un mirage dont j’étais le jouet? ou un affreux cauchemar, dont j’étais la proie? Mais non, à mes oreilles tintait encore la voix du médecin: «Une petite fleur d’or, trouvez-la». Eh bien, oui, je la trouverais!

Reprise d’un vibrant espoir, rassemblant mes forces chancelantes, je pris mon élan; oui, je croyais, je voulais, et je réussirais. La foi donne des ailes, dit-on, et c’est vrai, puisque je montais facilement; un chant joyeux s'échappait de mon cœur, au milieu de la boue noire, je venais de voir une petite plante, toute menue; plus haut, sans doute, je cueillerais la Fleur.

Soudain je suis secouée d’une violente émotion: là à quelques mètres s’étoffe une petite fleur d’or! Un dernier effort, et j’atteindrai le but; des bras, des mains je me hisse: je la veux, la fleur rare, la fleur introuvable, récompense de mon effort surhumain... un pas encore, et je la touche. Je me mets à genoux, je la baise, dans un élan d’adoration, la fleur de vie! Mais, est-ce une illusion? Cette fleur, dite unique, merveilleuse, l'est-elle, en effet?

Hélas! c'est une pauvre petite fleur, des plus communes, une fleur humblement nommée «pas-d’âne», une fleur que j’ai souvent foulée aux pieds, que jamais je n’ai regardée, dans son humilité. Un flot de larmes obscurcit mes yeux, un bourdonnement frappe mes oreilles... je perçois vaguement la voix du médecin qui dit: «Elle a trouvé la petite fleur de vie» et je perds conscience. Quand je rouvre les yeux, je me retrouve dans mon lit d’hôpital. L’ai-je jamais quitté? Ai-je rêvé cette ascension émouvante?

La fleur de vie — est-ce donc un leurre? J’ai peine à réaliser que ces efforts, ces émotions, cette précieuse trouvaille, enfin, n’ait été que le mensonge du sommeil. Et la lumière éclate, aveuglante: La fleur, merveilleuse dans sa couleur, dans sa finesse, dans son sourire éclatant, la fleur que j’eusse cueillie sans effort dans les sentiers unis, c’était dans mon humble vie, ces humbles joies que j’avais négligées.

Malade, je n’avais aspiré qu’à la santé, mettant dans ce désir toutes mes forces, toutes mes pensées. Et tandis que fleurissaient autour de moi de douces amitiés, d’affectueuses prévenances, je ne pensais qu’à guérir. Oh! les mille fleurs auxquelles je n’avais jamais songé: Le sourire de la diaconesse, au réveil, le matin; le rayon de soleil qui inondait ma chambre. Le pinson qui pépiait sur ma fenêtre, le coin de ciel bleu au-dessus du mur. Et les soins empreints d’amour dont j’étais l’objet, les bourrades cordiales du médecin; les lettres d’amis fidèles, les livres là sur ma table...

Et là, enfin, sous mon oreiller, le Livre des livres qui soir et matin, dans les heures de lutte, dans les nuits d’insomnie avait mis en mon cœur l’étoile d'or, lumière d’espérance, parfum d’amour. J’avais cherché si haut le bonheur — et je le possédais depuis longtemps! Humiliée, courbée, vaincue, mais heureuse, j’acceptais à présent ma destinée.

L. A.-R. (De Paix et Liberté).

En avant 1914 04 04


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L’enfance irrespectueuse devient inévitablement une jeunesse égoïste et immorale.





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