Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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PEUT-ON BOIRE SANS ALCOOL?


Peut-on boire sans alcool, et cela sans nuire à sa santé et sans nuire aux intérêts des industriels qui vivent de la fabrication et de la vente de l’alcool?

Ces deux problèmes ne manquent pas d’intérêt, à une époque où chacun déplore l’alcoolisme et où le commerce regimbe avec entrain quand on lui parle de limiter son trafic. Il voudrait bien se persuader et persuader les autres que ses intérêts ne sont pas en contradiction avec ceux de la santé publique. Il y parvient difficilement, il faut bien le reconnaître, et il en résulte que le conflit reste aigu.

La victoire appartiendra-t-elle au commerce au détriment de la santé publique?

Celle-ci, au contraire, triomphera-t-elle malgré des intérêts puissants coalisés et puissamment défendus?

N’y aurait-il pas encore quelque moyen de concilier deux intérêts évidemment antagonistes quoiqu’on en pense?

Tels sont les trois aspects de la situation. Le dernier a ma préférence, car, en somme, beaucoup d’intérêts sont respectables parmi ceux des trafiquants de l’alcool, je veux parler des trafiquants ou des débitants restés sincères en ce sens, qu’ils ne croient aux dangers de l’alcool que quand il est consommé avec exagération, en ce sens qu’ils inclinent à penser que nous, les anti-alcoolistes, les abstinents, nous sommes vraiment excessifs.


Il y a, dans ces différents points, ample matière à controverse. Je voudrais seulement dire deux mots de la possibilité de boire sans alcool, sans nuire au commerce des boissons.

Je ferais peut-être mieux de rappeler tout d’abord que l’homme ne doit pas boire sans soif, car il est notoire que de tous les êtres vivants qui ingurgitent des liquides,


L’HOMME EST LE SEUL QUI AIT RÉSOLU CET ÉTRANGE PROBLÈME

DE S’IMBIBER COMME UNE ÉPONGE SANS LA MOINDRE NÉCESSITÉ,


à toute heure du jour et de la nuit, dans les circonstances les plus variées de la vie, sans apercevoir qu'il fait œuvre absurde, nuisible et coûteuse.

Je ferais peut-être mieux de rappeler que le moindre des reproches que l’on puisse adresser aux trafiquants des boissons, c’est qu’ils vivent d’une sotte habitude et qu’ils ne font rien pour l'enrayer. Et nous tomberions d’accord si j’ajoutais que, moralement et socialement parlant, il n’est pas recommandable de vivre du mal ou des erreurs d’autrui.

Mais passons, et restons sur la donnée normale du problème:

l’homme ne boit que quand il a soif, et quand il a soif, c’est qu’il a conscience des besoins de son organisme en eau; c’est qu’il a la notion des déperditions que sa chaudière a subies et qu’il doit réparer.


La soif est, comme la faim, un avertissement.

La réponse à ma première question: peut-on boire sans alcool? s’impose maintenant.

Non seulement on peut, mais il faut boire sans alcool, parce que boire avec alcool ne répond pas au besoin pur et simple de boire de l’eau. Sans, compter que le fait d’ajouter de l’alcool à l’eau, même sous forme de vin, ne désaltère point et par suite ne soulage pas le besoin de réparation.

Ce n’est jamais dans l’intention de remplir notre chaudière que nous buvons du vin ou de l’alcool. C’est parce que nous accomplissons un geste, ordinairement impérieux et automatique, c’est parce que nous satisfaisons une habitude, c’est aussi parce que nous y trouvons du plaisir.

Or ces gestes et ces plaisirs, simples déviations de besoins normaux, ne sont pas sans de graves inconvénients pour la santé comme pour le porte-monnaie. Voilà un premier point acquis au débat: pour toutes sortes de bonnes raisons, les boissons contenant de l’alcool doivent être rejetées de la consommation alimentaire, et si quelque chose doit triompher plus tard c’est, je l’imagine, le bon sens et la raison. 


C’est ici que le second point surgit. Il surgit même rébarbativement en la personne du vendeur d’alcool.

Que ferai-je de mon alcool le jour où, conquis à des habitudes que vous déclarez saines, le consommateur refusera mes produits?

À cela, je répondrai tout d’abord que le consommateur est, hélas, loin d’être conquis, PARCE QU’IL AIME SON PÉCHÉ QUI N’A RIEN DE MIGNON.

Il passera donc encore pas mal de flots d’alcool sous les ponts d’Or du capital-boissons avant que les industriels aient de sérieuses raisons de s'inquiéter pour leurs petites affaires. C’est même pour ce motif qu’ils seraient grandement coupables s’ils ne se prêtaient bénévolement à une transformation des mœurs qui, au demeurant (et ici j’aborde mon 3e point) modifieront seulement sans les tarir, les sources de leurs revenus.

Donnant, donnant, telle est la loi du commerce. L’offre et la demande se doivent régler d’un commun accord selon les besoins normaux; telle est une autre loi économique. Or que l’on veuille bien se rappeler que les boissons alcooliques, y compris les boissons fermentées, ne contiennent de l’alcool que par un artifice de fermentation qui gaspille un merveilleux produit naturel, le sucre, pour en faire un épouvantable poison, l’alcool.

Nos vignes nous donnent un produit délectable, le raisin. il appartient à l’industrie viticole, se pliant aux exigences raisonnées de l’hygiène moderne, de mettre ce raisin et ses dérivés non fermentés à la disposition du consommateur, au lieu de sacrifier à l’héréditaire routine en l’adultérant par la fermentation.


C’est là qu’est le nœud de la question hygiénique et utilitaire.

Je ne veux plus de votre alcool qui me tue, donnez-moi votre raisin qui est exquis et me nourrit. Donnant, donnant.

Mon argent ne cessera pas de remplir vos caisses si vous voulez vous prêter à une transformation progressive de votre industrie conformément aux désirs de plus en plus impérieux du demandeur.

C’est ici lui, qui a le droit de régler l’offre. Que si votre offre d’alcool persiste, ne vous étonnez point du conflit ni des pertes que vous en pourrez subir.

Sont-ce là des vues de l'esprit? Point.

Ce sont là peut-être choses inconnues ou mal connues du public français et des producteurs, mais ce sont des choses réalisées dans d’autres pays non moins viticoles que la France, tel que l'Italie, où l’on voit des viticulteurs se prêter sagement à l’effort progressif commun des hygiénistes et des producteurs.

Que l’on s’en réfère au dernier Congrès de Milan et l’on y verra le splendide avenir qui peut-être réservé à une agriculture à la remorque du progrès des idées.

En France, on trouve encore difficilement ce qu’on trouve ailleurs: des moûts de raisins stérilisés, des miels de raisin, du raisiné, des tablettes de raisin, sans compter le raisin lui-même qui est apprécié des buveurs d’eau. J'ai pensé qu’il n’était pas sans intérêt pour le grand public, pour le travailleur de vulgariser ces notions. Tant il est vrai que lorsque l’on veut s'entendre et y mettre du sien, on résout pacifiquement les problèmes économiques les plus difficiles comme les plus douloureux».

Dr Legrain. Médecin en chef des Asiles d’Aliénés de la Seine.

En avant 1914 03 21


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C’est outrager Dieu et nier sa nature que de ne pas attendre de grandes choses de lui.



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