Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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OEUVRE SOCIALE


J'ai eu faim et vous m’avez donné à manger. Jésus.

On pense généralement quand on parle d’œuvres sociales qu’il est question d’œuvres venant en aide aux malheureux en leur donnant un secours pécuniaire en nature ou en argent.

Cependant il me semble que si, par ma prédication du haut d’une estrade, je réussis à réveiller la conscience d’un ivrogne, à lui faire comprendre qu’il est un criminel, qu’il tue la santé de sa femme et de ses enfants par ses habitudes mauvaises et ses passions déréglées, et si par mon témoignage, dis je, je le ramène dans le bon chemin et parvient à rendre à cette famille malheureuse, un père sobre et travailleur, est-ce que je n’ai pas fait une œuvre sociale?

Si je rencontre dans la rue, un de ces gamins à mine patibulaire, à la démarche déhanchée qui m’indique de suite que j’ai à faire à un être vicieux, que je m’approche de lui, lui tape familièrement sur l’épaule en lui disant: «Dis donc, mon ami, viens à la réunion de l’Armée du Salut ce soir, il y a du nouveau qui t'intéressera».

Si ce garçon m’écoute et qu’au cours de la réunion, il entende des paroles qui lui révèle des horizons inconnus de lui jusqu'à ce jour — car, hélas, le mal provient surtout de l’ignorance du bien — et qu’il vienne à Jésus le Sauveur pour lui demander pardon tout d’abord, ensuite la force de triompher du mal, de devenir un homme dans le vrai sens du mot, n’ai-je pas fait une œuvre sociale?

Eh bien, l’Armée du Salut essentiellement une œuvre sociale, ce n’est pas une religion béate:

yxyx Son Dieu n'est pas un Père qu’il faut craindre avant tout, c’est le Dieu d’amour qui punit le pécheur pour son péché, mais qui pardonne au prodigue repentant.


C’est un peu dans ces termes que je parlais, dimanche dernier, à quelque deux cents hommes, réunis dans notre Hôtellerie de la rue de Chabrol, à Paris. Depuis quelque temps, le Directeur de l’établissement, l’Enseigne Muller a inauguré les déjeuner gratuits, le dimanche matin de 9 heures à 10 heures. N’importe quel homme peut venir manger une bonne soupe aux légumes chaude et réconfortante, ainsi qu’un morceau de pain; c'est bien peu, mais «fais ce que dois, advienne que pourras

Après la soupe, a lieu une bonne réunion, un culte si nécessaire à ces chers hommes, la nourriture de l’âme qui leur fait tant défaut. Avec quel intérêt, ils écoutent les chants, les conseils qui leur sont donnés; que de pensées naissent dans leur cerveau, quels regrets amers d’une vie gaspillée dans la débauche et la mondanité.

Ah, si on leur avait dit cela, il y a trente ans! ils ne seraient pas là qui sait? Toujours est-il que nous espérons beaucoup de ces cultes du dimanche matin avec ces chers amis.


D'autre part, nous venons aussi de commencer la distribution gratuite de soupe et pain, les lundi, mercredi et vendredi, sur la place de la République, de 9 h. 1/2 à 11 heures, toujours sous les auspices de l’Hôtellerie de Chabrol.

Nous aurions aimé le faire plus tôt, mais nous avons dû compter avec l’Administration. Lundi je m’étais rendu incognito sur les lieux, pour me rendre compte de l’opinion de la foule sur l'Armée du Salut. L’impression générale était un sentiment de tristesse et de pitié à l’égard de ces théories de femmes, enfants et hommes de tout âge, obligés de se donner en spectacle pour pouvoir manger une soupe réparatrice de forces.

Nous avons loué un abri, mais cela n’est pas suffisant.

Ah! me disait un Officier de l’Instruction publique, voilà où nous en sommes avec un budget de cinq milliards! Un autre, voilà le résultat d’une incoercible flemme! la plupart de ces hommes sont des fainéants!

«Non, répliquai-je, des vicieux, la flemme n’est qu’un effet de la cause. Il est vrai — continuai-je — que le spectacle est écœurant, toutefois il est salutaire, car il est bon que le peuple voie un peu où conduit le vice, l'alcoolisme, le désœuvrement, je n'ai pas osé dire le péché, car j’aurais de suite senti le fagot. L’Armée du Salut fait là du cinéma à sa façon, et nous devons l’en louer.

Mon interlocuteur me leva son chapeau et s’en fut. Un grand dégingandé, un bout de mégot qui lui brûlait les lèvres, l’haleine aluïnée, (autre nom de l’absinthe), se risqua à dire:

«Elle est pas bonne leur soupe».

«C’est-y parce que t’as l’avaloir nickelé», lui répond un gosse de 18 ans, «d’abord tu l’a pas goûtée, t’a rien à dire».

Et pendant ce temps-là, les théories se succédaient sans interruption.

Environ 200 personnes mangèrent une bonne soupe chaude ce matin-là.....

Victor Seydel.

En avant 1914 03 07



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