Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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GOSSNER ET LE PAVEUR


En 1850, par une chaude journée de juillet, un certain nombre d’ouvriers étaient occupés à repaver la rue des Canonniers, à Berlin. Le passage de la rue était barré aux voitures, et pour les piétons il ne restait qu’un étroit sentier le long des maisons.

Deux paveurs s’étaient assis à l’écart pour se réconforter au moyen d’une bouteille de schnaps, lorsqu’un vénérable vieillard, plus que septuagénaire, à la chevelure argentée, vint à passer près d’eux. C’était l’ancien pasteur de Bethléem, Jean Gossner, très populaire à Berlin où il poursuivait, quoiqu’en retraite, une activité bénie parmi les pauvres; bon nombre de ceux-ci le connaissaient pour en avoir reçu des bienfaits et l’un des paveurs était de ce nombre. Celui-ci ôta son bonnet pour saluer le vénérable pasteur. Gossner répondit amicalement à sa salutation.

Le paveur s’enhardit alors, sous l’effet de la boisson, jusqu’à présenter au vieillard la bouteille d’eau-de-vie en lui disant:

À votre santé! père Gossner. Le vieillard, fixant sur lui son regard calme et pénétrant, répondit simplement:

Je pourrais boire si je voulais, mais vous, vous êtes forcé de boire quand même vous ne le voudriez pas.

Et sans rien ajouter, Gossner poursuivit son chemin. L’ouvrier pâlit:

Comment s’écria-t-il, il dit que je suis forcé de boire; nous verrons bien.

Et avec rage il jeta sur les pavés, où elle se brisa, la bouteille de schnaps encore à moitié pleine. Quelques jours s’étaient écoulés, lorsque Gossner vit entrer dans sa chambre un homme en habit de travail, le visage bouleversé. Son émotion l’empêcha tout d’abord de parler; quand il se fut ressaisi, il dit au vieux pasteur:

Délivrez-moi, père Gossner, délivrez-moi, sans quoi je suis perdu moi, ma femme et mes enfants.

C’était le paveur de la rue des Canonniers qui suppliait ainsi. Il avait essayé plusieurs fois de se prouver à lui-même, de prouver aux autres qu’il était libre de boire ou de ne pas boire de ce schnaps qui le conduisait à la ruine, à la mort.

Inutilement. Chaque fois il était retombé dans son terrible penchant. Et sa conscience, réveillée maintenant, ne lui laissait aucun repos. Ne pouvant supporter plus longtemps cet état de choses, il était venu apporter sa plainte à celui qui, en jetant une étincelle dans sa conscience semblait du même coup avoir mis le feu à ses passions.

Mon pauvre ami, répondit le pasteur Gossner, quant à moi, je ne puis te délivrer, mais je connais quelqu’un qui le peut.

Oh! père Gossner, indiquez-moi où il demeure et j’irai le trouver, comment se nomme-t-il?

Jésus-Christ, répondit Gossner.

Et il y avait dans la façon dont il prononça le nom du Sauveur une telle émotion, une telle solennité que le paveur en fut tout pénétré.

Pendant quelques instants tous deux gardaient le silence; il semblait qu’une troisième personne était là. Et cela était réalité: celui dont le nom divin venait d’être prononcé était là.

Ce que Jean Gossner ajouta, nous ne saurions ni le répéter, ni le résumer. Il ne fut sans doute que le porte-parole de son maître. Quand, après avoir prié ensemble, le pasteur et le paveur se séparèrent, un nouvel enfant de Dieu était né.

Sans doute les rechutes ne manquèrent pas dans les premiers temps; mais elles furent chaque fois suivies d’un relèvement jusqu’à ce que, grâce à Jésus-Christ, l’esprit fut maître de la chair chez cet ancien buveur.

Depuis longtemps le père Gossner est entré dans la patrie éternelle, mais dans le logement du pauvre paveur son portrait occupe la place d’honneur au-dessus de la Bible de famille.

(La Veillée.)

En avant 1914 02 28



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