LA PRISONNIÈRE DES BOHÉMIENS
CHAPITRE III
LES DEUX PRIÈRES.
La Capitaine est assise sur une des mauvaises chaises, mais à ces mots elle se lève bouleversée.
— Emma! Ne te souviens-tu pas de quelque chose au sujet de ta famille? Tu as beaucoup voyagé dans le pays avec les Bohémiens, est-ce qu’aucun endroit ne te rappelle la maison?
La petite fille semble perdue un instant dans ses pensées.
— Eh bien, je ne sais pas, mais quelquefois quand je me trouve dans le comté d’York, il me semble que......
La Capitaine attire l’enfant près d’elle.
— Mon enfant, dit-elle, avec un tressaillement dans la voix, je vais essayer de trouver ton père et ta mère. Tu ne m’as pas beaucoup renseignée, si c'est tout ce que tu sais, c’est très peu. Et si mes efforts réussissent, ce sera seulement avec l’aide de Dieu.
«Viens, mon enfant, agenouillons-nous et demandons-Lui de nous bénir. Supplions-Le de nous montrer la voie à suivre.
Oh! Seigneur, aide cette pauvre enfant! Donne-lui la force de supporter sa vie si pénible et fais qu’elle puisse bientôt retrouver son cher père et sa chère mère.»
La Capitaine est si émue qu’elle ne peut marcher à son allure ordinaire, elle court à la maison. Dieu lui a mis au cœur de s’adresser au Département des recherches institué par l’Armée du Salut.
Le même soir une lettre pleine d’amour et de foi est adressée à Mme Booth. Quelques jours après la petite bohémienne, après avoir vendu des fleurs en ville, passe chez les Officières pour s’enquérir des résultats. Le cœur de la Capitaine saigne pour elle tandis qu’elle considère ses grands yeux bruns, plus intelligents que jamais, et remarque combien l’enfant est pâle et fatiguée.
MES DÉMARCHES.
Lieutenante, une autre tasse, s’il vous plaît, et un peu plus de pain et de beurre. La Capitaine avance une chaise et va chercher la théière. La chambre propre et la nappe sans tache font paraître l’enfant terriblement négligée et ignorante. Mais le thé chaud et l’affabilité des deux Officières mettent bientôt l’enfant à l’aise.
— Ainsi, ma petite tu me demandes de retrouver ton père et ta mère?
La fillette pose sa tasse et joint les mains en disant avec vivacité:
— Oh! oui.
— Eh bien j'ai écrit à une dame de Londres qui retrouve les personnes disparues, elle essaye de trouver tes parents maintenant. Elle va mettre ton nom sur un journal qui circule partout — Cri de Guerre — et peut-être que quelqu’un le lira qui a entendu parler d’eux, mais, ma chère petite, il te faut demander à Dieu matin et soir de bénir les efforts de cette dame et de nous aider tous continuellement.
* * *
Tandis que la Capitaine Cutmore prononçait ces paroles un homme et sa femme priaient pour le même motif à cinq cents kilomètres de distance.
Quelques semaines avant que la Capitaine eût visité la maison des bohémiens, un homme et sa femme s’étaient convertis dans une réunion de salut d’un village du comté d’York.
Le Corps y est très peu important, avec une Lieutenante pour toute Officière. Chaque matin elle visite ses nouveaux soldats et partage leurs joies et leurs tristesses et bientôt elle trouve que M. et Mme Humbert les derniers enrôlés — ont un très grand chagrin.
C’est un honnête couple, travailleur, avec un intérieur agréable et trois heureux enfants, un garçon et deux filles. Maintenant qu’ils sont des soldats du salut ils paraissent posséder la plupart des bénédictions que la vie peut donner, sauf une — ils ne peuvent pas oublier une enfant chérie qu’ils possédaient il y a bien des années.
Jacques, Nelly et Jeanne leur sont très précieux, mais ne peuvent pas remplacer la fillette qu’ils ont perdue — leur petite Emma, qui avait de si jolis yeux bruns.
— Si nous savions seulement ce qu’elle est devenue, Lieutenante! dit la pauvre mère tandis que les larmes remplissent ses yeux et qu’elle regarde tristement une grande photographie qui occupe la place d’honneur sur la petite table ronde; un beau groupe, en vérité, qui représente M. et Mme Humbert et leurs enfants. Les visages souriants de ses enfants ne font qu’attrister davantage Mme Humbert qui pense à celle qui n’est plus là.
— Si seulement nous savions ce qu’elle est devenue, dit-elle.
— Quoi! n’est elle pas morte? demande la Lieutenante surprise.
— C’est là le pire, nous ne le savons pas, répond M Humbert, la petite a disparu comme...
Un jour sa mère la perdue de vue un moment, puis elle ne put plus la retrouver ni dans la maison, ni au jardin ou au champ et nous n’avons plus jamais entendu parler d’elle à partir de ce moment. Les magistrats et les agents de police s'en sont mêlés et nous avons fouillé les étangs et les bois dans un cercle de plusieurs kilomètres, tout cela sans résultat. Il y a des années que cela s’est passé, mais cela nous cause autant de chagrin maintenant qu’alors.
— Avez-vous prié à ce sujet? demande la Lieutenante fermement, mais avec bienveillance. Vous avez essayé tous les moyens humains, maintenant essayez avec Dieu. Il peut répondre à la prière, Il y répondra, croyez-le; exposons-Lui maintenant votre peine, chers amis. Ils s'agenouillèrent tous trois et placèrent la chose devant le Père céleste.
En avant 1914 02 21
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