VENGEANCE CHRÉTIENNE
Deux jours avant sa mort, raconte Marguerite Périer, la nièce du grand Pascal, mon père fit une action qui mérite d’être racontée.
Il y avait, à Clermont, un trésorier de France dont la famille devait considérablement à M. Périer qui, voyant que cette dette était sur le point d’être prescrite, voulait faire quelque procédure pour empêcher la péremption. Mon père alla voir ce trésorier pour le prier de ne point trouver mauvais qu’il fit quelque signification. Cet homme s’emporta d’une manière indigne et fit dans le monde des plaintes aigres et très injurieuses contre lui. On le rapporta à mon père, qui dit:
— Il faut excuser un homme qui est mal dans ses affaires. Environ huit jours après, il vint des nouvelles de Paris d’après lesquelles les trésoriers seraient obligés de payer une taxe de dix mille livres, faute de quoi leurs charges seraient perdues. Mon père le dit à ma mère et ajouta:
— Voilà un homme ruiné, j’ai envie de lui offrir de l’argent. Ma mère lui répondit:
— Faites ce que vous voudrez, mais voyez combien il vous est dans cette maison. Mon père ne dit plus rien; mais, dès le lendemain, il alla trouver ce trésorier et lui demanda s’il connaissait la nouvelle et quelle était sa détermination.
— Il faut bien, répondit le trésorier, que j’abandonne ma charge, car vous voyez bien que je ne trouverai pas dix mille francs. Mon père lui dit alors:
— Non monsieur, vous ne l’abandonnerez point. J’ai dix mille francs, je vous les prêterai...
Cet homme fut si surpris qu’il lui dit en pleurant:
— Il faut, monsieur, que vous soyez bien chrétien, car j’ai très mal parlé de vous et vous ne l’ignorez pas.
Mon père ne nous dit rien de ce qui s’était passé. Deux jours plus tard, il mourut subitement. Dès qu’il apprit sa mort, le trésorier accourut en pleurant et criant:
— J’ai perdu mon père! Et il nous apprit ce que mon père avait fait en sa faveur.
En avant 1914 02 21
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