POUR CHRIST DANS LA FABRIQUE
— Avez-vous vu la sainte? L’avez-vous vue traverser la cour? Quel air elle a!
La personne qui parlait ainsi était une grande jeune fille en costume de travail. Elle était le centre d’un groupe de camarades, vêtues de même; toutes se trouvaient à l’entrée d’une fabrique. Ses compagnes se mirent à rire de ses paroles, et cherchèrent des yeux la nouvelle venue.
— Comment savez-vous qu’elle est une sainte, Lise? demanda l’une d'elles.
— Parce que c’est une «fille-alléluia», répondit Lise, triomphalement. Elle porte une broche salutiste avec de bonnes paroles inscrites dessus, et j’ai entendu dire, par quelqu'un qui la connaît, qu’elle est une terreur aux réunions de prière pour demander aux gens s’ils sont convertis. Cela n’ira pas longtemps avant qu’elle ne commence à pratiquer cela sur nous. Je suis sûre qu’elle attrapera premièrement Sophie. Ces paroles amenèrent un second éclat de rire, car Sophie était une fille sans volonté et l’objet de bien des plaisanteries.
Puis, continua Lise, le boute-en-train de la fabrique, bientôt vous porterez toutes des chapeaux alléluia, vous aurez des tambourins, et nous irons dans la cour faire la procession.
Elle allait joindre les gestes aux paroles pour représenter une salutiste dans une réunion en plein air, lorsque la cloche sonna. Toutes se précipitèrent dans le grand bâtiment où elles travaillaient dur pour un salaire des plus utiles dans leurs familles.
C’étaient des jeunes filles pleines de santé, toujours prêtes à rire, et pour qui la religion jouait un très petit rôle dans leur vie journalière. Elles pensaient que la religion était bonne pour le dimanche, pour les ministres du culte et les ensevelissements. Leur curiosité avait été éveillée par cette jeune fille, venue dans leur milieu et faisant profession de bonté en tout temps. Elles se soufflèrent à l’oreille:
«Attendons qu’elle se donne des airs, et alors nous lui ferons comprendre que nous sommes tout aussi bonnes qu’elles, et meilleures même.»
Tout le matin elles attendirent que la gentille Annie leur en donnât l’occasion, mais elle n’en fit rien, accomplissant son travail, répondant aimablement lorsqu’une des jeunes filles lui posait une question, regardant autour d’elle sans crainte, comme quelqu’un qui a le cœur en paix. C’était, en effet, le cas pour elle, car elle avait appris à aimer Dieu et à se confier en Lui. À l’heure du dîner, elles la laissèrent complètement seule, mais en voyant Annie fermer les yeux et joindre les mains quelques instants, l’une d’elles murmura:
«Je crois qu’elle prie; je lui demanderai plus tard si elle prie pour nous!»
En effet, vers la fin de l’après-midi, la jeune fille se tourna vers Annie, et un groupe de voisines prêta l’oreille, tandis qu’elle lui demandait;
— Est-ce que vous priiez pour nous, Mademoiselle, lorsque vous avez fermé les yeux et que vous aviez l’air si pieuse?
— Je priais pour moi-même, premièrement, dit Annie tranquillement.
— C’est bien, répondit la jeune fille, les yeux brillants; elle ajouta: «Et vous priiez pour nous, pauvres méchantes filles, je suppose?»
— J’ai demandé à Dieu de vous bénir, dit Annie, et je crois qu’il le fera. Puis-je vous aider de quelque façon? Vous paraissez fatiguée, voulez-vous prendre une tasse de café avec moi lorsque nous en aurons le temps?
La jeune fille rougit et s’éloigna, murmurant qu’elle n’avait besoin du café de personne, qu’elle pouvait en acheter.
(À suivre).
En avant 1914 01 10
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