EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

----------

GOÛTEZ-LES D’ABORD!

À la campagne, je causais devant une immense cheminée avec un homme de loi, vétéran de la magistrature. Il s’agissait d’un livre qui avait fait un bruit scandaleux à son apparition et qui, d’ailleurs, est tombé aujourd’hui dans l’oubli le plus complet. Nous étions d’accord pour le condamner.

— L’avez-vous lu? me dit vivement mon hôte.

— Moi? Non. Je m’en rapporte aux critiques autorisées que j’ai lues.

— Vous avez tort, mon ami, il faut juger tout par soi-même. Je me disposais à répondre de mon mieux, quand la Providence me vint en aide.

— Toc! Toc!

— Entrez! C’était un vieux pâtre, introduit par la cuisinière. Dans une corbeille en branches de coudrier, il apportait de magnifiques champignons. Son maître, entre autres passions innocentes, avait celle de ces cryptogames.

— Je m’en défie! Voyez, qu’en pensez-vous? me dit-il en me les présentant.

— Moi, lui dis-je, je n’y entends rien et je répète assez volontiers ce que j’ai lu quelque part: en fait de champignons, les meilleurs ne valent rien, voilà mon opinion dans la généralité; mais dans l’espèce, je me déclare incompétent. Demandez plutôt à la cuisinière.

— Eh bien! Jeannette?

— C’est du poison! fit-elle.

— Jetez ça dehors! s’écria le maître.

— Pardon, mon ami! lui dis-je.

— Comment?

— Goûtez-les donc avant.

— Non.

— Il faut juger tout par soi-même.

— Voulez-vous donc que je risque de m’empoisonner pour être sûr qu’ils sont mauvais?

— Et vous vouliez tout à l’heure m’exposer au poison en lisant cet affreux ouvrage!

Mon honorable ami me tendit la main; il avait compris.

* * *

Faites le même raisonnement à l’égard des boissons fortes.

Elles ont été expérimentées assez souvent pour que vous sachiez où elles pourraient vous conduire.

PAS NÉCESSAIRE DE LES JUGER PAR VOUS-MÊMES!

En avant 1914 01 10