CHOSES ET AUTRES
(Quand on parle de moisson)
Par le Commissaire
Lance ta faucille et moissonne, car l’heure de moissonner est venue; car la moisson de la terre est mûre. Et celui qui était assis sur la nuée jeta sa faucille sur la terre. Et la terre fut moissonnée. (Apocalypse, ch. XIV, verset 15 et 16).
C’était une belle soirée de septembre; le Colonel Peyron et moi étions assis sur un banc d’une des grandes artères du boulevard, à Paris, car nous tenions à nous rendre compte du monde qui fréquentait cette rue où nous avions en vue un local à louer pour y tenir des réunions.
Un théâtre était à quelques pas seulement de ce local avec, au dehors des affiches aussi peu artistiques qu’elles étaient obscènes; ce devait être un lieu assez douteux! Et cependant, hommes, femmes, jeunes filles et jeunes gens s’y rendaient en foule; on y voyait même de tout jeunes garçons et fillettes que LEURS... MÈRES CONDUISAIENT DANS CETTE ÉCOLE DE L’AFFAISSEMENT MORAL, DE LA RUINE DE L’ÂME.
Ah! que nous eussions aimé pouvoir crier à pleins poumons à tout ce monde:
«Passant, prenez garde à votre âme, n'entrez pas dans ce lieu de perdition, bientôt la mort va vous faucher, préparez-vous à la rencontre de votre Dieu.»
Certes, il eût été bien nécessaire d’établir un Corps de notre chère Armée, un Centre de lumière, de salut et de paix, à la porte même de ce lieu de perdition.
Que nous eussions aimé moissonner pour Dieu,
là où d’autres moissonnaient pour le démon!
Mais nous dûmes, pour diverses raisons — à laquelle celle de la pénurie d’Officiers n’était pas étrangère — renoncer hélas! au désir qui nous était si cher. «La moisson de la terre est mûre» mon camarade, as-tu compris ta responsabilité? tout autour de nous les âmes par milliers s’avancent vers les rives éternelles sans se soucier de ce qui les attend: elles glissent, glissent VERS L’ABÎME DU DÉSESPOIR ET DE LA RUINE ÉTERNELLE.
Sans Sauveur, elles meurent, jetant au moment de l’agonie leurs cris d’angoisse:
«TROP TARD, TROP TARD, TROP TARD, JE SUIS DAMNÉE!»
«Sentinelle, que dis-tu de la nuit?»
Oui, mon camarade, que dis-tu des ombres du péché, du vice et de la corruption qui couvrent tant d’âmes?
Que dis-tu du sort éternel, de la souffrance, des cris déchirants des damnés, que dis-tu?
Oui! que dis-tu, toi disciple du Crucifié, de Celui qui pour sauver le monde, pour te sauver — car sans son sacrifice où irais-tu passer l’éternité — quitta le séjour de gloire où II était adoré des anges, se fit homme de douleur, fut supplicié?
Il donna tout, sa vie même, pour te sauver de l’enfer!
– Dis, que lui donnes-tu? tes péchés, tes craintes, tes faiblesses seulement?
– Que fais-tu de ta vie dont bientôt tu auras à Lui rendre compte?
– As-tu jamais pensé que le Maître a besoin de toi que l’humanité a besoin de toi; as-tu jamais pensé que de ton esprit de dévouement et de renoncement à toi-même, de ta fidélité, de ton obéissance dépendait peut-être le sort éternel de centaines d’âmes?
– Pourrais-tu rester plus longtemps oisif et rêveur en face d’une responsabilité si grande?
Et, si Dieu t’avait déjà appelé, ou t’appelait maintenant à la vocation d’apôtre, oserais-tu encore opposer un «non» à la vision céleste?
Fais-le si tu l’oses, mon camarade, mais sache qu’au Grand Jour le sang de ces âmes te sera redemandé!
L’oserais-tu plus longtemps?
Non, n’est-ce pas, car tu ne voudrais pas qu’aucune de ces âmes périsse à cause de ta tiédeur, de ton indifférence, disons le mot: de ton égoïsme.
Obéis donc, et dès maintenant, place ton tout sur le divin autel.
Sois généreux envers Dieu, consacre-Lui ta vie entière.
* * *
Nous étions, mon Secrétaire et moi, dans un wagon de 3e classe. Au premier arrêt du train, deux hommes, dont l’un à la figure vive et intelligente, vinrent se placer bien en face de nous; ils déplièrent aussitôt une de ces feuilles obscènes — la honte de ceux qui les publient, ainsi que de ceux qui les vendent — avec l’intention évidente de les faire voir à deux voyageuses qui se trouvaient dans le même train; nous protestâmes énergiquement et, comme on nous faisait la sourde oreille, nous ne cachâmes pas à ces messieurs tout le mépris que leur lâche et vile action nous inspirait; ils nous menacèrent; nous tînmes bon.
Jetant loin la feuille immonde: «Je suis un anarchiste», nous dit le jeune homme à la figure intelligente, «je hais la religion, à bas les prêtres, à bas les...» Sa diatribe finie nous lui parlâmes de l’éternité, de son âme, de Dieu, du Jugement final, cherchant à faire pénétrer dans ce cœur de révolté, les rayons guérissants du Calvaire.
Se levant soudain, il s’exclama: «Tenez, j’ai vu vos képis salutistes en arrivant à la gare; je me suis dit: je veux voir s’ils sont aussi comme les autres, et c’est afin de vous «essayer» que j’ai acheté cette feuille, et que je l’ai dépliée devant ces jeunes filles.»
Sortant quelques instants après, il nous serra chaleureusement la main et promit de venir me voir à Paris à la première occasion; ce qu’il fit d’ailleurs. J’ai retenu le mot de mon anarchiste: «essayer»; j’y ai pensé, j’en ai fait mon profit.
Mon camarade:
— Est-ce que le monde peut «essayer» votre religion et la trouver bonne?
— Est-ce que le diable peut «essayer» votre foi et la trouver forte et virile?
— Dieu peut-Il «essayer» votre caractère et le trouver saint, votre consécration et la trouver vraie, votre salut et le trouver réel?
— Le jugement dernier pourra-t-il «essayer» vos œuvres et les trouver dignes de ceux qui auront droit à l’Arbre de la vie?
«Malheur à celui par qui le scandale arrive.»
* * *
Bel homme, fort et vigoureux, Z... assistait depuis longtemps aux réunions de l’Armée du Salut. Combien de fois ne l’avais-je pas vu sur le point de céder à l’intense conviction qui se lisait sur son visage; mais:
«PRESQUE CÉDER»,
C’EST NE PAS CÉDER DU TOUT.
Sur le point de se donner à Dieu, d’être sauvé, Z... continuait à vivre comme s’il n’y avait pas d’éternité, pas de ciel ni d’enfer. Fatigué, après plusieurs nuits de labeur, je terminais quelque travail de bureau lorsque, vers deux heures du matin, on vint frapper brusquement à ma porte.
— Qui est là? demandai-je, plutôt ennuyé de ce qu’on venait ainsi, au milieu de la nuit, interrompre un travail pressant.
— Venez tout de suite, je vous en prie! me criait plutôt qu’elle ne parlait, une voix entrecoupée par les sanglots.
— Que me voulez-vous, lui répondis je?
— Oh! venez, venez vite pendant qu’il en est temps encore.
Comprenant que quelque chose de grave devait se passer, j’ouvris la porte de mon bureau et vis la sœur de Z... répétant:
«Venez vite, venez vite, mon frère s’est pendu».
Je volai chez Z... pour le trouver sur le point d’être complètement asphyxié, ne donnant presque aucun signe de vie, étendu de tout son long sur le plancher, la corde s’étant heureusement rompue; nous pûmes le ramener à la vie.
Quelques jours après Z... repentant et brisé se donnait à Dieu.
Combien de fois, hélas! celui qui a refusé d’obéir à la voix de la conscience, à la voix de Dieu, ne devient-il pas indifférent aux choses de l’âme, se jette dans le tourbillon du plaisir et est emporté, comme une feuille flétrie, sur les rivages éternels pour y entendre le;
«Retirez-vous, maudit, vous qui commettez le métier d’iniquité».
SENTENCE TERRIBLE qui glacera bientôt votre âme d’effroi, pécheur, si vous ne vous détournez pas de votre mauvaise voie et n’implorez pas la miséricorde divine.
«Car Dieu a tellement aimé le monde qu'il a donné Son Fils unique
afin que quiconque crut en Lui, ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle.»
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