RIEN QU’UN FRANC!
UNE HISTOIRE DE RENONCEMENT DU SUD DE L’AFRIQUE
Par la Commissaire.
I.
«Enseignez le renoncement et rendez sa mise en pratique agréable et vous créerez pour le monde une destinée bien plus sublime que n'importe laquelle qui soit jamais sortie du cerveau du rêveur même le plus audacieux.»
Dans un port de l’Afrique du Sud, avec sa population toujours changeante, se dresse une humble petite maison, d’une propreté et d’un ordre méticuleux; ses locataires, un homme et une femme, ayant déjà dépassé la première jeunesse, sont de saintes gens qui ont avec eux une petite fille adoptive de dix ans.
Les modestes gages du mari, grâce aux soins entendus et sagement combinés de sa fidèle femme, avaient été non seulement suffisants pour eux-mêmes, mais leur avait permis d’abriter, de vêtir et de faire l’éducation de cette petite fille sans foyer.
Hélas! la nuit, dans cette même ville, des centaines de jeunes filles plus âgées arpentaient les rues. Leurs vies gaspillées, leur jeunesse triste et flétrie, le sombre avenir qui leur était réservé avaient depuis longtemps touché les cœurs de Jean et de Sarah alors qu’ils se rendaient aux réunions de l’Armée du Salut.
Un muet, mais ardent désir, était monté comme une prière vers Celui qui exauce toujours tout élan sincère et désintéressé en faveur de nos frères.
L’état moral — ou du moins immoral — de cette ville avait aussi touché d’autres cœurs. On avait parlé de l’ouverture d’une maison destinée à recevoir les jeunes filles qui voudraient recommencer une vie nouvelle, et quelques pièces de vingt francs avaient été collectées afin de couvrir les premières dépenses, mais qui pourrait se charger de cette œuvre?
Toutes les dames du Comité s’en sentaient incapables et unanimement elles convinrent de demander à l’Armée du Salut de vouloir bien l’entreprendre.
II.
«Jésus dit:
«Il n’est personne qui ayant quitté à cause de Moi et à cause de la bonne nouvelle, sa maison, ou ses frères, ou ses sœurs, ou son père, ou sa mère, ou ses enfants, ou ses terres, ne reçoive au centuple présentement dans ce siècle-ci, des maisons, des frères, des sœurs, des mères, des enfants et des terres, avec des persécutions, et dans le siècle à venir, la vie éternelle.»
Dans ce même port de l’Afrique du Sud, par une terrible et chaude après-midi, la Secrétaire d’une maison de Relèvement bien fatiguée, voyait s’élever devant elle une pile de factures à payer et une caisse vide!
«Que puis-je faire? Comment puis-je acquitter tout cela avant de m’en aller? Plus que trois semaines et tout doit être payé! Seigneur, tu m’aideras, ce sera fait!»
Juste à ce moment un coup discret fut frappé à la porte. Une petite fille de dix ans entra et, timidement, tendit une petite pièce enveloppée dans un papier froissé.
«Eh bien, chérie! lui dit la Secrétaire, en la regardant avec bonté, tu voudrais me voir? «S’il vous plaît, dit l’enfant, voici mon franc pour cette maison. Je vous en apporterai un chaque mois. Papa me le donne, et moi je le donne à Jésus, pour aider les jeunes filles de cette maison à être bonnes.»
La Secrétaire regarda s’éloigner la petite créature, non sans remarquer le pauvre chapeau râpé, retapé avec du ruban noir déjà usagé, «afin de le rendre frais».
Ce coup d’œil lui révéla le sacrifice constant et l’oubli de soi-même, renouvelé chaque jour, qui régnait dans la maison de Jean et de Sarah, esprit dont la petite fille avait été toute pénétrée et commençait à vivre.
La Secrétaire apprit plus tard que quelques mois auparavant, Jean avait dit un soir à sa femme: «Notre petite Anna est maintenant assez âgée pour connaître la valeur de l’argent et apprendre à l’utiliser: nous lui donnerons régulièrement quelques sous, et nous verrons l’emploi qu’elle en fera.»
Le lendemain matin, Anna était prête pour aller à l’école; son père l’appela et lui dit:
«Si je te donnais un franc par mois pour toi, qu’en ferais-tu? Sans hésiter l’enfant leva les yeux, et avec un sourire radieux:
«Je le donnerais à la maison de Relèvement; le puis-je, papa?
«Le tout? interrogea son père?»
«Oui, papa, le tout, et je le ferai chaque mois, si tu le permets.»
«Le franc est à toi, mon enfant, et tu peux faire avec ce que tu préfères.»
«Alors, papa, je préfère de beaucoup donner le tout à la Maison de Relèvement.»
Mois après mois, le cœur plein d’une joie céleste, Anna apporta son franc régulièrement et avec empressement. La Secrétaire de notre histoire occupait ce poste par intérim, en remplacement d’une camarade fatiguée qui avait besoin de repos. Le joyeux renoncement de cette petite fille l’avait touchée profondément.
Combien d’autres plus âgés qui avaient pourtant promis et fait profession de suivre l’Homme de Douleurs n’avaient jamais essayé de faire ce qu’avait fait cette enfant et avaient calculé le prix quand il s’agissait de donner à Celui dont elles avaient tout reçu.
Et voilà que cette petite fille, avec les goûts et les sentiments d’une enfant de dix ans, au lieu de calculer ce qu’elle pouvait garder pour s’acheter des bonbons et ce qu’elle donnerait à Jésus pour aider ces pauvres jeunes filles, avait librement et joyeusement donné son tout, et cela, non seulement pendant un mois, mais tous les mois!
Ce simple et unique franc de cette chaude après-midi apporta une nouvelle espérance et un nouveau courage au cœur de la Secrétaire fatiguée et de nouveaux plans à son esprit.
III.
Si cette petite fille pouvait donner son franc, d’autres ne pourraient-ils pas faire de même et beaucoup plus encore?
Ainsi, avec une nouvelle foi et un nouveau courage, elle se hâta vers la maison d’une dame amie de l’Armée, lui demanda si elle ne voudrait pas prêter son salon pour une réunion spéciale, en vue d’aider la Maison de Relèvement.
La requête fut bien accueillie, les invitations furent envoyées, les préparatifs faits et le moment de la réunion arriva. Pendant la conversation de cœur à cœur qui suivit, le récit des besoins de cette ville, l’œuvre accomplie dans la Maison de Relèvement, les factures à payer, la caisse vide et le franc de la petite fille, tout fut placé devant les yeux et sur le cœur des personnes présentes.
Des larmes coulèrent le long des joues de celles qui n’avaient pas été souvent touchées par la tristesse des autres et le résultat financier fut de 3.880 francs (en 1904).
Les factures furent payées, le cœur de la Secrétaire encouragé sait que Dieu a entendu la prière qu’elle lui adressa alors qu’elle prit la résolution d’éteindre la dette qui pesait sur cette maison.
Mais qui, sur cette terre, pourra jamais calculer tout ce qui a été accompli par la petite Anna en donnant son franc à Dieu et à la Maison de Relèvement?
Combien d’enfants de Dieu qui auraient pu être le moyen d’aussi glorieux résultats s’ils avaient seulement voulu consentir à donner leur tout au Seigneur et qui se sont laissés arrêter par une bagatelle comme un franc?
En avant 1904 10 29
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