PAGASELSKY LE «JUIF ET COMMENT IL TROUVA LE MESSIE
— Eh bien, il a un fils à Breslau dont les affaires marchent à la perfection. Je suis sûr que nous trouverions de l’ouvrage chez lui tous trois, mais seulement si nous allions là-bas. Nous avons dépensé notre dernier centime en payant cette eau-de-vie: ce que nous demandons de toi c’est que tu nous rendes service tout en t’aidant toi-même.
— Alors que faut-il que je fasse? demanda Hermann
— Tâche d’abord de persuader Greta Ostermann décrire à son frère et lui demander de te procurer un emploi; ce sera déjà un grand point de gagné. Puis demande-lui de te prêter l’argent nécessaire pour le voyage — seulement pour toi, bien sûr!
— Je n’aime pas beaucoup cette idée, dit Hermann, mais cela vaut mieux, en effet, que de rester ici sans occupation.
— Es-tu vraiment décidé à essayer? continua Jacob.
— Oui, fut la réponse.
— Alors nous comptons là-dessus, dit Jacob. Ne manque pas de nous rejoindre, Max et moi, en dehors de la ville, demain après-midi. Nous nous mettrons gaiement en marche pour Breslau où nous tâcherons de faire fortune. Maintenant rentre chez toi pendant que tu es encore sobre et parle à Greta.
Le pauvre et naïf garçon, enchanté de la proposition de son ami Jacob, s’en alla, croyant déjà voir le chemin de la fortune tout ouvert devant lui. Lorsqu’il arriva chez lui, il était si gai que Greta l’examina d’un air assez sévère.
— Entre ici, Hermann, dit-elle en le poussant dans la chambre à manger, j’ai à te parler.
— Moi aussi, j’ai quelque chose à te dire, Greta, fit le jeune homme. J’ai enfin de la chance et bientôt je serai assez riche pour me marier avec toi, chérie. Alors nous aurons une belle maison, des domestiques, des chevaux, et...
— Pas si vite, Hermann, dit Greta en riant de son zèle, n’oublie pas que tu n’as pas encore gravi le premier degré de l’échelle.
— Tu te trompes, je l’ai déjà gravi à moitié, exclama Hermann.
— En imagination, oui, dit Greta avec son sens pratique.
— Tu te moques de moi, ma chère, écoute-moi d’abord. Greta, commençant à croire que Hermann avait eu quelque bonne chance, écouta de ses deux oreilles.
— Tu as un frère à Breslau, n’est-ce pas? dit Hermann.
— Oui, il possède une grande distillerie là-bas.
— Eh bien, voudrais-tu lui écrire et me recommander comme ouvrier?
— Mais alors tu serais obligé de me quitter! soupira Greta.
— Et à quoi sert-il, ma chérie, que je reste ici où je ne puis pas obtenir de l’ouvrage? répliqua Hermann. Ta mère me traite comme un chien, j’en ai assez. Ne vois-tu pas qu’il vaut mieux que j'aille ailleurs chercher à gagner mon pain et de quoi nous créer un gentil petit intérieur?
— En effet, tu as peut-être raison, mais j’aurais préféré que tu restes ici, dit Greta.
— Oh! Greta ne refuse pas! C’est la seule chance que j’aie d'avancer dans la vie. Écris à ton frère, car je suis sûr qu’il me prendra, si tu le lui demandes.
En disant cela, Hermann s’approcha de Greta et, la prenant par la taille, il voulut lui donner un baiser. Mais au contact de son haleine, la jeune fille pâlit subitement et s’arracha à son étreinte.
— Hermann, dit-elle sévèrement, tu es allé boire.
— Seulement deux petits verres, Greta, dit-il.
— Alors tu m’as menti lorsque tu es sorti, fit-elle.
Hermann, honteux, baissa la tête.
— Ô mon ami, je ne t’aurais pas cru capable de cela, reprocha Greta toute triste, je ne savais pas que tu buvais de l’eau de vie. Oui, il vaut mieux t’en aller, s’il en est ainsi. Arrache-toi des griffes de ces mauvais compagnons, car ils te mèneront à ta perte. Va chez mon frère, Hermann, je suis sûre qu’il te donnera de l’ouvrage.
Greta fondit en larmes, son rêve était fini; Hermann mentait et buvait, peut-être deviendrait-il un ivrogne. Elle croyait pouvoir le sauver en l’éloignant de l’influence néfaste de ses amis et ne se doutait guère, la pauvre enfant, que ceux-ci devaient l’accompagner.
(À suivre)
En avant 1910 12 31
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