PAGASELSKY LE «JUIF ET COMMENT IL TROUVA LE MESSIE
Le nombre des coups de trompette est de trente et chacun a un nom propre séparé; aussi longtemps qu’elle se fait entendre la congrégation écoute avec dévotion et respect. Les sons de la trompette sont suivis de prières solennelles et de chants d’hymnes historiques, aussi anciens que le tabernacle; ces chants sont toujours impressifs et émotionnants. Il y a quelque chose de très solennel dans le fait que ces cérémonies sont observées depuis quatre mille ans.
D’autres nations vont et viennent, mais Israël demeure.
Sa conservation extraordinaire, comme peuple distinct, malgré toutes les persécutions, les vicissitudes et les égarements des dix-huit siècles écoulés, est un miracle, ATTESTANT LA VÉRITÉ DE LA PAROLE DE DIEU.
On raconte que Frédéric-le Grand dit un jour à son chapelain:
«Docteur, si votre religion est véritable, elle doit être capable de se prouver d’une façon brève et simple. Voulez-vous me donner la preuve de son évidence en un mot?»
— Israël! fut la réponse de cet homme, et tous les gens qui réfléchissent sont d’accord avec lui.
«Israël» est le cadran de Dieu, Il dit de lui: «J’anéantirai toutes les nations parmi lesquelles je t’ai dispersé, mais toi je ne t’anéantirai pas.» (Jér. XXX, 11)
Comme le ruisseau de Tennyson, il peut chanter:
«Les nations vont et viennent, mais je demeure à toujours.»
Après cette digression, nous raconterons les diverses aventures de Pogaselsky.
II
L'AFFECTION D’UNE JEUNE FILLE
Après avoir voyagé de ville en ville pendant deux ans, gagnant juste de quoi ne pas mourir de faim, Hermann fut très content lorsqu’un certain Juif, nommé Pelshen, lui offrit un emploi permanent dans sa maison, promettant de lui enseigner l’art de l’imprimeur s’il entrait à son service. Tout heureux de cette bonne fortune, Hermann s’empressa naturellement d’accepter.
Pour commencer on lui donna à faire les travaux les plus ordinaires, mais il s’en acquitta aussi joyeusement que possible, espérant ainsi gagner la confiance de son patron et obtenir un avancement rapide. Cependant les mois se succédaient sans que le Juif fît mine de se souvenir de sa promesse. Aussi, un certain jour, fatigué de toujours attendre, Hermann hasarda la remarque assez compréhensible qu’il aimerait pourtant bien commencer son apprentissage d’imprimeur. Pelshen, généralement d’humeur assez irascible, était particulièrement mal disposé ce jour-là, il s’emporta et ordonna au jeune garçon de trier de vieux chiffons.
Ceci était plus que le jeune homme vif ne pouvait supporter et il répliqua:
— Je ne suis pas venu ici pour m’occuper de vieux chiffons, mais pour apprendre un métier. Vous m’avez trompé. Je veux m’instruire et non perdre mon temps à de vils travaux.
— Comment oses-tu me parler ainsi? cria M. Pelshen. Va de suite faire ce que je te dis, sinon je te rosserai de manière que tu t’en souviendras.
Pour toute réponse, Hermann donna une gifle au vieux garçon.
— Misérable, quitte ma maison à l’instant! rugit celui-ci, furieux à son tour, en s’élançant sur Hermann.
Pendant un moment ils se poursuivirent autour de la chambre, essayant de se donner des coups. Enfin M. Pelshen réussit à s’emparer d’Hermann et le mit dehors.
— Maintenant va-t’en, cria-t-il du seuil de la porte en montrant le poing au pauvre garçon, et ne remets jamais les pieds ici.
Ainsi Hermann se trouva de nouveau sans le sou et sans gîte sur la rue, ne sachant où aller chercher de l’ouvrage. Cette fois, c’était doublement dur à supporter, car, pendant son séjour chez M. Pelshen, il avait gagné l’affection d’une charmante jeune Juive, nommée Greta Ostermann. C’était surtout à cause d’elle qu’il voulait avancer plus rapidement; maintenant qu’on l’avait chassé, elle ne voudrait probablement plus de lui. Il regretta de s’être laissé aller à la colère, mais cela ne servait à rien, il lui fallait trouver une issue.
Tandis qu’il descendait la rue, différents projets lui traversèrent l’esprit. Resterait-il dans cette ville et chercherait-il de l’ouvrage, ou bien valait-il mieux partir et se faire oublier de son amie? Il arriva à la conclusion que ce dernier plan était le meilleur.
Comme il ne possédait pas le moindre argent, il résolut de recommencer son pèlerinage de ville en ville pour gagner son pain. Muni pour tout bagage d’un solide bâton, il allait franchir la porte de la localité lorsqu’il vit quelqu’un venir au-devant de lui dont la vue fît violemment battre son cœur. C’était Greta, aussi charmante et jolie que jamais, malgré son costume simple.
Hermann rougit de honte; pensant que son bâton allait trahir ses intentions, il s’efforça de le cacher derrière son dos.
— Bonjour, Hermann, où vas-tu maintenant? demanda Greta dès qu’elle fut assez près.
— Oh! seulement faire un tour! répondit Hermann.
— Tu ferais mieux de me dire la vérité, dit la jeune fille, j’ai entendu parler de ta querelle avec ton patron, ce matin, et je t’ai cherché partout depuis. Que caches-tu derrière ton dos? Un bâton de voyage, n’est-ce pas? Ah! je l’ai bien vu, car j’ai de bons yeux, Hermann. Tu allais donc partir sans même dire adieu à ta pauvre petite Grêla? Ce n’est pas du tout gentil de ta part, Hermann.
— J’étais honteux, Greta, et je ne savais absolument pas quoi faire, dit Hermann. N’ayant pas d’argent, ne sachant où trouver un abri, je pensais qu’il valait mieux partir.
— Alors tu croyais trouver de l’ouvrage ailleurs sans tes papiers? reprit Greta qui connaissait mieux le monde que lui, mais la première personne à laquelle tu aurais demandé du travail aurait voulu les voir.
— Je n'y avais pas pensé, dit le jeune homme. Que faut-il faire?
— Viens seulement avec moi, répondit Greta en prenant son bras, nous avons justement une jolie petite chambre qui te conviendra et tu pourras demeurer chez nous jusqu’à ce que tu aies obtenu de l’ouvrage. Allons, dépêche-toi, cela vaut mieux que d’aller vagabonder par le monde.»
Et la brave jeune fille l’entraîna avec elle le long de la rue. Écoutant son bon cœur, Greta n’avait pas pensé que quelqu’un pût s’opposer à son plan, aussi fut-elle douloureusement surprise quand son père lui fit de sévères reproches pour avoir amené Hermann.
— Je ne permettrai pas qu’un pareil fainéant reste ici, Greta, dit Mr. Ostermann.
— Oh! laisse-le rester jusqu’à ce qu’il ait trouvé de l’ouvrage, supplia Greta. Fais-le par amour pour moi, papa.
A la fin Mr. Ostermann, attendri par les prières de son enfant, consentit, quoique à regret, à sa demande. Mais Mme Ostermann, de son côté, se montra indignée de cet arrangement et gronda sévèrement Greta.
— Crois-tu que des gens qui ont autant de peine que nous à gagner leur vie peuvent héberger des paresseux? Je ne comprends pas à quoi tu penses de nous amener encore une bouche de plus à nourrir, Greta.
La pauvre jeune fille fondit en larmes.
— Si tu l’aimais autant que moi, tu ne parlerais pas ainsi, dit-elle en sanglotant. S’enhardissant, elle déclara à sa mère que puisqu’en cousant elle gagnait beaucoup d’argent et aidait à payer les dépenses du ménage, elle avait aussi le droit d’inviter quelqu’un.
Mme Ostermann sortit furieuse et résolut de rendre aussi désagréable que possible le séjour d’Hermann dans la maison. Ce soir-là, au souper, elle traita le pauvre garçon affamé comme un chien, elle ne lui tendit que des restes. Le lendemain elle le renvoya de table sans même lui donner une croûte de pain. Ceci fit tant de peine à Greta qu’elle déclara ne plus vouloir manger la moindre des choses tant qu’Hermann aurait faim, elle refusa toute nourriture ce jour-là.
Voyant que sa fille était déterminée dans sa résolution et craignant de la voir tomber malade, Mme Ostermann promit d’être plus aimable, à l’avenir, envers le jeune homme.
(À suivre).
En avant 1910 12 17
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