ÉMOUVANT SAUVETAGE MORAL
DANS UNE DE NOS INSTITUTIONS SOCIALES
Une histoire de triomphe et d’ignominie, mais qui finit bien.
Le directeur appela le jeune garçon en présence de l’inspecteur des écoles du Gouvernement. Ils se regardèrent réciproquement avec un sentiment d’admiration. Le maître voyait dans l’adolescent ce qu’il avait été lui-même jadis, et l’étudiant ambitieux reconnaissait de son côté que la position d’un tel homme était digne d’envie.
— Je n’ai pas très bien compris le nom, veuillez me le répéter, dit l’inspecteur en s’adressant au directeur. Ce dernier reprit avec un sourire:
— Certainement, c’est un nom particulier, mais je me hasarde à penser qu’il sera un jour fameux. Il prononça de nouveau le nom très distinctement. L’inspecteur le répéta en ajoutant:
«Merci, c’est un nom que je n’oublierai pas facilement».
Se tournant ensuite vers le jeune garçon, ils se serrèrent la main par dessus une pile de livres de prix, surmontée d’une boîte en velours bleu qui contenait une médaille d’or accordée à l’écolier le plus capable de l’année.
UN BRILLANT JEUNE HOMME.
Quand on eut présenté au jeune garçon les récompenses que l’école donnait pour les mathématiques, les langues, anciennes et modernes, la philosophie, il regagna sa place au milieu d’applaudissements répétés, et l’inspecteur fit un petit discours à son sujet. Il se sentait honoré d’avoir rencontré un si brillant élève, et il était assuré que l’école aurait de bonnes raisons dans l’avenir d’être fière de lui.
Un instituteur célèbre racontait une fois qu’il n’entrait jamais dans la classe sans lever son chapeau devant, ses élèves, car parmi eux se trouvait peut-être le premier ministre de l’avenir.
L'inspecteur ne connaissait pas la carrière que son jeune ami choisirait, mais il était persuadé que, les portes s’ouvrant à la persévérance et au talent, le jeune héros couronné de succès aujourd'hui, réussirait demain dans une vocation quelconque. Le génie qu’il possédait, joint à son activité infatigable, lui permettait d’aspirer aux plus hautes fonctions dans le commerce, le barreau ou le Sénat. Il était un honneur pour l’école et le système d’éducation du gouvernement.
* * *
Dans la soirée, quand les ombres du crépuscule descendirent lentement sur les belles pelouses, une mère veuve, assise sous la véranda d’une petite villa, écoutait avec intérêt son fils raconter avec une joie exubérante les événements mentionnés ci-dessus. Il ne se vantait pas de ses succès, mais ne cherchait pas à les atténuer. Il déclara franchement à sa mère qu’il partageait la même opinion que l’inspecteur quant au brillant avenir qui s’ouvrait devant lui.
— Je vais me faire un grand nom, chère mère, pas seulement pour moi-même, mais pour toute la famille. Oh! si mon père vivait encore pour le voir! Tu auras une belle résidence, maman, ainsi que mes sœurs. C’est autant pour vous que pour moi et je travaillerai sans relâche jusqu’à ce que j’arrive au but de mes ambitions.
Les conseils d’une mère La vénérable mère, aux cheveux gris, sourit et des larmes perlèrent au coin de ses yeux, puis elle dit:
— Oui, je crois que tu es un bon garçon, Herbert, et que tu me récompenseras pour les sacrifices et l’argent que j’ai dépensés pour ton éducation, en prenant soin de tes sœurs, car hélas! mes jours sont comptés.
Ta belle demeure ne sera pas pour moi, je serai au ciel avec ton père avant que tu parviennes à exécuter une partie seulement de tes projets. Ne pense pas que je cherche à te décourager. Utilise tous les talents que tu possèdes, mais ne t’appuie pas sur ta propre sagesse.
J’aurais aimé assister aujourd’hui à votre distribution de prix. Je suis satisfaite de tes succès, je sais que l’inspecteur que tu admires est un homme savant, mais si j’avais été présente et qu’on m’eût laissé la parole, je vous aurais dit à l’un et à l’autre:
«Ne bâtissez pas sur le sable!»
J’ai entendu dire que votre inspecteur, malgré toute sa science, est assez insensé pour se déclarer athée, il aurait cependant compris ce que je veux dire. Oh! mon fils, ne compte pas trop sur ton habileté et ton intelligence, rappelle-toi que les succès du monde sont bien peu de choses comparés à la faveur de Dieu.
Veux-tu me faire un plaisir, Herbert, avant d’aller te coucher?
— Certainement, mère, répondit le garçon, voulant hâter la fin d’une conversation qui devenait désagréable pour lui. Que désires-tu?
— Lis attentivement les versets 24, 25, 26 et 27 du septième chapitre de l’évangile de Mathieu et fais-en un sujet de prière pour toi et ton héros l’inspecteur.
FOLIE HUMAINE
Le garçon embrassa sa mère et, avant que la nuit fût avancée, il lut, comme il l’avait promis, l’histoire de l’homme qui avait bâti sa maison sur le rocher et de celui qui l’avait bâtie sur le sable. Mais il ne pria pas à ce sujet. Il murmura seulement:
«Chère mère! Elle est tellement ancrée dans ses vieilles idées!»
Mettant sa Bible de côté, il saisit un volume qui s’efforçait de prouver que Dieu n’est pas le Créateur de l’univers! Le brillant jeune garçon se lança ainsi dans le monde, sourd aux sérieuses exhortations de sa pieuse mère.
* * *
Le Capitaine venait d’appeler le nom d'un jeune homme qui se tenait debout, à côté d’un vieillard, dans un chantier de travail de l'Armée du Salut. Ils étaient tous deux employés à trier du papier et en remplissaient de grands sacs qu’on expédiait ensuite à des manufactures. Là, par des procédés chimiques on le métamorphosait en quel que chose d’utile.
Le vieillard tressaillit. Se redressant, il regarda attentivement le jeune homme qui lui lança un regard dédaigneux. Ils se connaissaient pour ce qu’ils étaient, de pauvres esclaves du péché, préservés de la faim et de pire encore par les serviteurs du Dieu dont ils avaient nié l’existence. Ils n’avaient que du mépris l’un pour l’autre et les traces du vice qu’on remarquait sur leurs visages, leur causaient le même dégoût. Mais le vieillard continuait à regarder le jeune homme, répétant le nom que le Capitaine venait de prononcer.
— Sûrement je connais ce nom, se dit-il, et regardant furtivement avec des yeux troubles, il tendit sa main au jeune homme.
— Oui! c’est moi, si vous voulez le savoir, dit le jeune homme, quoique je n’aie pas lieu d’en être fier.
— Mon Dieu! Alors vous êtes l’épave de ce brillant étudiant que je voyais déjà le premier ministre de la colonie, quand il gagna tous les prix et la médaille d’or des écoles supérieures du Gouvernement à X... !
— Et vous? Êtes-vous donc l’inspecteur du gouvernement que je pensais être l’homme le plus instruit de tous ceux que j’avais rencontrés? dit le jeune homme haletant.
— Ce n’est que trop vrai, avoua le vieillard en fronçant les sourcils. Étouffant un sanglot, il baissa la tête pour continuer sa tâche humiliante. Voilà où son péché l’avait conduit.
LA RAISON.
Plus tard, il chuchota à son compagnon de détresse:
— Comment en êtes-vous arrivé à ce point?
— En faisant exactement ce que vous avez fait, répondit le jeune homme d’un ton amer.
Un éclair traversa sa mémoire, il vit une scène longtemps oubliée, et se rappela les versets que sa sainte mère lui avait dit de méditer à la fin de la journée mémorable de son triomphe. Et il ajouta:
J'AI BÂTI MA MAISON SUR LE SABLE!
Le correspondant à qui nous devons cette histoire ajoute:
Ce fut un glorieux cas de salut.
Pour le jeune homme il était encore temps d'être retiré de l’abîme, il fut converti dans un asile de l'Armée, et mène actuellement une vie honorable dans une autre partie des colonies britanniques
Un membre de sa parenté a envoyé dernièrement une somme de 250 francs à l’Oeuvre sociale de l’Armée du Salut en ajoutant:
«Vous serez heureux d’apprendre qu’Hebert n’est plus un sujet de tourment pour nous, IL A APPRIS À BÂTIR SUR LE ROC»,
En avant 1910 12 10
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