UNE PRÉDICATION SUR UN TOMBEAU
AU CIMETIÈRE D’ARLES UNE VISITE BÉNIE LE JOUR DE LA TOUSSAINT
«Quoique mort, il parle encore»
Ma chère Rédactrice,
J’ai pensé, pendant les veilles de cette nuit, que je devais vous faire le récit de ma visite annuelle au cimetière, afin d’encourager nos Camarades et nos chers amis protestants chrétiens, à profiter de ce jour pour aller apporter un message de salut à ceux qui sont sans espérance.
Je peux leur affirmer qu'en donnant aux autres, ils seront eux-mêmes abondamment bénis.
L’année dernière, j’avais auprès de moi, pour m'aider, mes deux chères petites filles, Irène et Renée Peyron (maintenant à Genève avec leurs bien aimés parents). Ne les ayant plus, j’ai invité ma petite fille Muriel Tzaut (elle n’a que dix ans), ainsi qu’une de mes chères orphelines, Germaine, à qui Dieu a accordé le bonheur d’épouser un homme de Dieu et Salutiste.
En descendant de voiture, je vois le concierge qui me reçoit avec un bon sourire. En lui glissant la pièce dans la main, je lui dis:
« Vous savez, je ne vais pas prier Dieu pour mon cher mari, je sais qu’il est au ciel !»
Muriel porte le sac où se trouvent nos Nouveaux Testaments, ainsi que les excellentes feuilles de M. Favre, de Genève. Arrivées au tombeau où les corps de mes bien aimés reposent jusqu’au jour de la résurrection, mes chères aides distribuent nos livres. Une femme vint pour me demander pourquoi sur les tombeaux neufs des protestants il s’y trouvait une croix en pierre :
«Nous ne croyons pas à la Croix, me dit- elle, je suis protestante ».
— « Mais, ma bonne femme, lui ai-je répondu, si je ne croyais pas à la Croix, je ne serai pas ici pour répandre la Parole de Dieu ».
Une autre me demanda si je priais la Vierge, etc.,
etc. Dieu me donna de répondre à chacune de ces questions selon la
Parole de Dieu.
Mais voici le Camarade Allasseux qui s’approche; il était venu apporter sur la tombe de sa chère compagne un vase de chrysanthèmes, qu’il avait soigné toute l’année avec amour pour ce jour.
— Venez ici, ôtez votre casquette et vous direz à ces amis comment est morte votre chère compagne ! lui dis-je. Alors avec émotion et tact, il raconta comment une mère de six enfants, vaillante et intelligente, n’a eu que des paroles d’encouragement à leur donner, à son fils et à lui-même à l’heure suprême de la séparation.
Dès que la terrible maladie du tétanos qui l’emportait lui laissait un moment de répit, ajoute-t-il, elle me disait : Tiens ferme ! J’ai fait broder ces deux mots sur mon jersey. Ensuite elle appela notre fils (il s’était donné à Dieu depuis peu).
Elle ajouta : « Marc, mon fils ! continue à prier ! »
La femme qui m’avait questionné sur la croix pleurait. En entendant ce beau témoignage, je me sentis alors poussée à ajouter quelques mots au sujet de mon uniforme. Vous devez être étonnés, dis-je à ceux qui nous entouraient, de me voir dans ce costume bleu et sans crêpe à mon chapeau?
Le deuil que je porte depuis trois ans pour mon bien aimé qui est au ciel revêtu de beaux vêtements blancs, est un ruban blanc sur mon chapeau, symbole de la pureté qu’on trouve en Jésus.
Je parlai encore sur un sujet inépuisable, la vie d’amour pour les autres que possédait à un si haut degré mon bien-aimé. Mon fils le Colonel, ayant appris que je devais amener avec moi Muriel pour remplacer ses filles, m’écrivit :
« Que Dieu bénisse Muriel, et qu’en te secondant dans cette œuvre de miséricorde, elle reçoive l’appel du Sauveur. »
Amen, ai-je dit au Seigneur, qu’il en soit ainsi pour tous mes petits ou arrière petits-enfants.
La Brigadière, Albin Peyron.
En avant 1910 11 19
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