Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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LE BUVEUR-NÉ


Extrait du volume anglais «Broken earthenware»

par HAROLD BEGBIE

La salutiste fit de ce garçon le fondement de ses appels. Elle visita fréquemment les parents dans leur bouge infect. Ils furent tous deux facilement convaincus par sa première suggestion: «La vie serait, certes, plus agréable pour vous si Buveur-né signait l’engagement d’abstinence et y restait fidèle.»

Mais même la femme, qui n’était pas buveuse, semblait partager l’avis de son mari: une telle chose n’était possible que dans le pays des rêves.

Voyez-vous, disait-elle, il y est tellement habitué depuis son enfance; c’est une nourriture pour lui. Son nom le dit bien: Buveur-né! Il ne serait plus bon à rien s’il abandonnait l’alcool»

Quand à Buveur-né, il ne discuta pas le sujet, il le laissa tout simplement dans la région de l’impossible, il écouta le babillage des femmes comme un philosophe prête un instant attention aux cris des moineaux querelleurs.

Mais l’amabilité et la bienveillance de l’Adjudante parvinrent au moins à décider ces deux créatures à assister aux réunions qui se tenaient dans la salle. Ils quittèrent leur ménagerie et revêtus de leurs haillons, vinrent aux réunions du soir.

Ils s’assirent au fond de la salle avec les loqueteux, écoutèrent la fanfare, les cantiques, les prières et les allocutions, et ressentirent quelque chose de la lumière et de la pureté de l’atmosphère.

Tous deux semblaient ahuris. Apparemment le service n’avait aucun sens pour eux. Deux hiboux dans un clocher auraient aussi bien profité de la musique d’église. Ils venaient, ils s’asseyaient, ils disparaissaient.


L’Adjudante commençait à croire qu’ils étaient tombés bien au dessous des limites accessibles à la sympathie humaine. Ses Officières, au désespoir, disaient:

«Ils ne semblent pas comprendre un mot de ce qu’on leur dit.»

C’était le profond hébétement de ces deux misérables qui faisait leur désespoir et leur désolation. On n’éprouvait pas que le péché et la misère constituaient l’obstacle, mais ce terrible engourdissement de l’esprit était comme un rideau impénétrable tiré entre leur âme et la lumière. Personne ne pouvait les atteindre. Ils ne comprenaient pas.

C’est précisément à cette époque que le boxeur converti et l’Adjudante conçurent l’idée d’une campagne de salut. Le boxeur et ceux qu’il avait influencés — l’on doit savoir que ces hommes étaient autrefois la terreur du voisinage — se mirent d’accord pour se montrer comme trophées dans les plus mauvaises rues et raconter ensuite l’histoire de leur vie dans la salle.

Il ne faut pas penser que ces hommes étaient ravis à l’idée de s’exposer. Ils durent prendre leur courage à deux mains pour subir cette épreuve, car ils avaient leurs femmes et la populace à envisager.

Le boxeur — ce chercheur d’âmes paisible et mélancolique — inspira du courage au petit Corps. «Dieu a fait des tas de choses pour nous» disait-il, «nous ne devons pas regarder à en faire un brin pour Lui.»


La bonne Adjudante écouta les suggestions de ces hommes et la campagne fut lancée.

Ils firent une procession à travers les rues les plus mal famées du quartier et à l’heure la plus animée de la soirée. Dans des chariots à quatre roues, traînés par des chevaux, figuraient les terreurs de l'endroit, maintenant des convertis, en diverses attitudes rappelant leurs vies passées — par exemple un détenu, en costume de prisonnier, expiant la peine de ses crimes.

Les rues étaient bondées. Pendant que les chars avançaient à travers la foule, l’Adjudante et ses aides circulaient parmi le public, invitant les gens à la réunion. Jamais salle ne fut aussi comble.

Dans ce vaste auditoire se trouvaient Buveur-né et sa femme, qui étaient venus de bonne heure sur l’invitation de l’Adjudante.

La réunion commença par un chant, une lecture de la parabole de l’enfant prodigue, une courte prière, puis on entendit les témoignages des hommes convertis. L’un après l’autre ils se levèrent et dirent ce qu’ils avaient souffert, comment ils étaient tombés dans la fange, ajoutant que leurs familles étaient maintenant heureuses, leurs vies pures et leurs cœurs joyeux.

L’Adjudante adressa ensuite son appel.

Elle déclara que n’importe qui dans la salle, quelque vil, abandonné et honteux qu’il fût, pouvait devenir en un instant radieux de paix et de bonheur, en venant s’agenouiller au banc des pénitents pour demander à Dieu de pardonner ses péchés. Elle prenait à témoin les hommes assis sur l’estrade, derrière elle, comme preuve de son assertion.

Plusieurs personnes se levèrent de leurs sièges, la plupart avec cette lourdeur calme qui caractérise la vie de l’ouvrier londonien, et s’avancèrent au banc des pénitents comme des gens qui ont à passer un moment désagréable.

Les uns disaient: «Ô Dieu! sois apaisé envers moi qui suis un pécheur,» d’autres se prosternaient et restaient silencieux; plusieurs femmes pleuraient. Au bout de cette ligne de pénitents on distinguait Buveur-né et sa femme.


BuveurNE2

L’Adjudante et ses Officières furent plus surprises que qui que ce soit d’autre dans la salle. Elles savaient ce que les autres n’avaient pas réalisé, l’impénétrable hébétement de l’esprit de l’homme, la totale oblitération de son âme.

Aux yeux des autres, il était un des leurs, mais plus sale, plus dégradé, plus alcoolisé.

L’Adjudante s’approcha du pauvre homme.

Les petits yeux hébétés étaient mouillés de larmes. Elle mit une main sur son bras et il lui dit en pleurant:

«Oh! j’aimerais être comme Joe!» — l’un des hommes qui avaient témoigné — (un ancien criminel dont l’histoire est racontée dans un autre chapitre du livre).

Plus tard il raconta:

«Pendant que j’écoutais Joe, en pensant à ce qu’il a été et en voyant ce qu’il est devenu, tout d’un coup l’envie me prit de trouver Dieu et de lui demander de me faire ressembler à Joe. Cela m’a pris comme ça! Je me suis senti tout d’un coup déterminé à trouver Dieu. Déterminé! répétait-il avec une énergie étonnante chez cette créature désespérément déchue, enchaînée à l’alcool, «Et, poursuivit-il, pendant que j’étais à genoux, pendant que je priais, je sentis l’Esprit de Dieu venir sur moi.

Je dis: O Dieu! rends-moi comme Joe! Je savais que je pourrais devenir comme Joe. Je sais que je suis sauvé.»


Il était absolument décidé.

Mais l’Adjudante qui connaissait la puissance de la tentation, qui se rendait compte que tout le corps de cet homme était saturé d’alcool, eut de grandes craintes au sujet de la stabilité de son salut. Elle craignait surtout ses tournées de journaux par lesquelles il gagnait son pain, parce qu’elles le conduisaient dans toutes les auberges du quartier. À moins que Buveur né ne trouvât un autre emploi, sûrement il retomberait un jour, sûrement la tentation serait une fois ou l’autre trop forte pour lui.

D’autre part, si on pouvait lui procurer un autre travail, ce dipsomane (Personne atteinte d'une dépendance à la consommation de toute boisson contenant de l'alcool ou autre liquide toxique.) pouvait, par la grâce de Dieu, combattre sa folie. Cela était tout à fait possible. Elle avait vu des miracles presqu’aussi surprenants.

Elle alla voir Buveur-né pour discuter la question avec lui. Il était assis et écoutait tout ce qu’elle lui disait de ses yeux hébétés, ne comprenant, en apparence, rien des paroles bien intentionnées qui lui étaient adressées.

L’Adjudante se tourna vers sa femme:

«N’y a-t-il pas un autre travail qu’il pourrait faire? Ne sent-il pas qu’une autre occupation lui conviendrait mieux?»

La femme regarda son rnari:

«Qu’en dis-tu, mon cher?» Il remua les lèvres, cherchant à exprimer ses pensées. Il dit enfin:

Je n’ai pas besoin d’autre chose. Il s’arrêta un moment, son regard allant des cochons d’Inde à la fenêtre délabrée. — JE DOIS LEUR MONTRER QUE JE SUIS CONVERTI, ajouta-t-il.

L’Adjudante s’efforça de lui faire comprendre le danger qu’il courait. Il pouvait résister à la tentation pendant des semaines et des mois; mais si, dans l’avenir, il se sentait, un jour, peu bien ou malheureux — ne pourrait-il pas tomber?

Elle tâcha de lui faire saisir que le salut est une longue route. Le premier éclat passe et l’on voit au-delà de cette gloire une longue route unie. On se relève de ses genoux pour marcher le long de cette route. Tout d’abord on s’élève sur des ailes, comme l’aigle, puis on court et l’on ne se fatigue point; finalement, on doit marcher sans défaillir.

L’Adjudante travailla à faire pénétrer ces vérités dans l’esprit du dipsomane. L’homme répétait toujours: — JE DOIS LEUR MONTRER QUE JE SUIS CONVERTI.

L’Officière continua à veiller sur ce tison arraché du feu. Il tenait bon. Elle lui demanda s’il avait encore des tentations.

LE GOÛT DE LA BOISSON EST PARTI! répondait-il.

On l’observait à son entrée dans les auberges et lorsqu’il en sortait, il n’avait pas peur. Les convertis allaient le voir dans son taudis et lui posaient tous la même question:

«Es-tu sûr que la boisson ne te tentera plus?» à laquelle il faisait toujours la même réponse: «LE GOÛT EST PARTI!» Cela semblait vrai, et pourtant incroyable!

(À suivre.)

En avant 1910 11 12


 

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