HUIT CENTS KILOMÈTRES
POUR APPRENDRE À LIRE LA BIBLE
Whang Pum Oh, l’ancien sorcier aveugle, eut la petite vérole à l’âge de trois ans. C’est alors qu’il devint aveugle. À dix ans, il perdit son père et sa mère du choléra. Un oncle se chargea de lui, et lui fit enseigner l’art de la sorcellerie.
En Corée, presque tous les aveugles deviennent sorciers.
Le sorcier est surtout demandé en cas de maladie: il procède à des incantations et dit comment il faut apaiser le mauvais esprit qui a envoyé le mal. Le sorcier est aussi consulté pour les objets perdus, pour les voyages, et pour savoir comment éviter les mauvais esprits quand on bâtit une maison.
Wang fit de l’argent dans ce métier et put acheter des meubles et des terres.
Une fois, il entendit un évangéliste coréen prêcher l’Évangile, comprit que son métier était coupable, discuta pendant deux jours, et, convaincu, se mit à suivre le culte. Et néanmoins, il continuait son métier, qui était très lucratif.
Enfin, un jour, appelé dans une maison, il refusa de s’y rendre, et brisa tous ses instruments devant ceux qui étaient venus le chercher. Il éprouvait maintenant un ardent désir de lire la Parole de Dieu.
Pour un aveugle, c’était bien difficile.
Il faisait chaque dimanche ses quinze «li» (unité de mesure chinoise de distance aujourd'hui standardisée à l'équivalent de 500 mètres.) pour aller entendre l’Évangile, et demandait à Dieu de permettre qu’il arrivât à connaître la Bible.
Une nuit, il fut exaucé d’une manière inattendue.
La pensée lui traversa l’esprit qu’il pourrait adapter à cette fin une des tables d’arithmétique dont il se servait naguère comme sorcier. Il acheta une grande quantité de vieilles boites d’étain, en fit quatre ou cinq mille petits carrés, avec un trou dans chacun pour les relier par un cordon, et avec des signes différents dans les coins, pour indiquer les différentes lettres de l’alphabet.
Il se procura aussi deux mille pièces de bois qu’il façonna en formes diverses pour leur faire indiquer les consonnes finales. Il se créa ainsi un système à lui, assez primitif, mais qu’il pouvait utiliser.
Il se faisait lire l’Évangile selon Saint-Jean par un ami, et formait les phrases qu’il entendait lire en agençant sur un fil les petits carrés de zinc et de bois. Puis, faisant courir ses doigts sur ces lettres de sa façon, il apprenait par cœur verset après verset. Car son grand désir était non seulement de lire la Parole de Dieu, mais de la mémoriser.
Il apprit de la sorte les six premiers chapitres de Saint-Jean.
Un jour une nouvelle vision se présenta à lui.
Il apprit qu’à Pyeng-Yang, à mille «li» (unité de mesure chinoise de distance aujourd'hui standardisée à l'équivalent de 500 mètres.), il y avait une école pour enseigner à lire aux aveugles, d’une manière admirable.
Pendant deux ans, il pria pour que Dieu lui ouvrît le chemin de cette école. Un missionnaire apprit les efforts héroïques qu’avait faits Whang pour apprendre à lire, et son désir d’aller à l’école des aveugles. Il lui envoya sept yens pour qu’il pût prendre un billet de chemin de fer et gagner Pyeng-Yang. Whang en fut très heureux, mais sachant que sa femme et ses enfants souffriraient s’il les laissait sans ressources, il employa les sept yens à leur acheter de la nourriture et du combustible, puis il partit, cherchant son chemin à tâtons sur les routes de la Corée pour se rendre au but de ses désirs, à 500 kilomètres de là.
Au bout de 100 kilomètres, il arriva à la station missionnaire de Chong-Ju. Le missionnaire l’interrogea, et, apprenant son histoire, lui donna de l’argent, en stipulant formellement qu’il devait s’en servir pour voyager, et pas pour autre chose.
Mais Wang continua à pied jusqu’à Séoul, et de là il envoya l'argent à sa femme et à ses enfants.
Il aurait été à pied jusqu’au bout, mais un ami coréen lui acheta un billet de chemin de fer, et le mit dans le train.
Whang fut immédiatement admis dans l’école.
En un mois il apprit à lire. Son désir, maintenant, était d’annoncer l’Évangile à d’autres aveugles.
Le Dr Moffett lui donna l’argent nécessaire pour rentrer chez lui à son aise, mais, pour la troisième fois, l’aveugle envoya cet argent à sa femme et à ses enfants, et fit à pied les 500 kilomètres qui le séparaient de son village, dans le sud de la Corée.
En route il rencontra son frère, qui depuis quatre ans était un vagabond. Il l’enseigna pendant une semaine, et l’amena à Christ. Enfin, il rentra dans son village, après avoir fait en tout 800 kilomètres à pieds pour apprendre à lire dans la Bible des aveugles.
Whang continue à apprendre le Nouveau Testament par cœur.
Il espère qu’au bout de trois ans il aura achevé de le mémoriser. Dans le courant de cette année, il repartait pour Pyeng-Yang avec l’intention d’y étudier la Bible pendant un mois et d’y copier deux ou trois livres du Nouveau Testament.
Son grand désir est d’ouvrir une école pour les aveugles, afin d’enseigner l’Évangile à ses compagnons de misère.
«La première fois que je le vis, dit une dame missionnaire, il était accablé de fatigue, couvert de poussière, les vêtements sales. Il venait de faire à pied 300 kilomètres, et avait frappé à notre porte de derrière. Et sur ce visage défait et marqué de la petite vérole, il me sembla voir une vision de l’autre monde.»
(Messager des Messagers).
En avant 1910 11 12
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