Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

----------

HOMMAGE À MADAME LA GÉNÉRALE BOOTH 


Par Monsieur W.-T. Stead

Nous sommes heureux de placer sous les yeux de nos lecteurs cet intéressant document du à la plume du grand journaliste anglais, M. W.-T. Stead, dont la réputation est mondiale et qui met ici en relief de façon si heureuse non seulement la valeur propre de Madame la Générale Booth, mais la marque profonde et spéciale qu’elle imprima au grand mouvement dont elle fut l’âme et gui porte aujourd’hui le nom d’«Armée du Salut».

Puisse la lecture de ces lignes être non seulement pour ceux du dehors la lumière qui leur révélera le vrai caractère d'une œuvre qu’ils ne connaissaient, peut-être qu’imparfaitement, mais surtout pour ceux du dedans, pour nous Salutistes, un réconfort, un stimulant, un encouragement a marcher toujours et plus que jamais en avant, mais en avant dans «la vraie ligne», dans l’esprit qui animait cette prophétesse de l’Éternel parce que nous aurons comme elle un cœur assez large pour embrasser toutes les misères humaines et pour compatir avec chacune d’elles avec cette sympathie à la fois virile et tendre qui fut la sienne parce quelle fut celle du Sauveur, son Maître, son Inspirateur et son Guide.


* * *


C’était un dimanche après-midi — un de ces beaux jours d’été qui cette année-là (Allusion à l'année de la mort de Mme Booth survenue le 4 octobre 1890 et dont on vient de célébrer le 20e anniversaire.) faisait de septembre un substitut tardif de juillet.

Le soleil venait juste de disparaître à l’horizon derrière les nuages rosés du couchant. L’air était silencieux et c'est à peine si le bruissement des vagues ondulées venant mourir sur la plage était perceptible.

Ce fut là, au milieu d’une souffrance si intense qu’elle allait parfois jusqu’à l’agonie, dans un état de faiblesse si grand que sa voix pouvait à peine se faire entendre, que Mme Booth me parla pour la dernière fois. Mais, quoique ses longues souffrances eussent miné son corps, tel un navire démantelé pour lequel on n’a plus conservé d’espoir, son esprit était toujours aussi élevé, l’intérêt qu’elle portait à autrui, toujours aussi intense, et même son sens de l’humour aussi vif et aussi aiguisé qu’au jour où elle se tenait debout devant des milliers d’auditeurs subjugués par la puissance de son éloquence et la passion consumante de son amour.

Et dans la lumière qui égayait la Vallée de l’ombre de la Mort il n’y avait pas de tristesse, mais une grande joie venait de naître en elle à la pensée qu’une nouvelle espérance s’était levée et qu’enfin quelque chose de pratique allait être fait pour améliorer la condition du pauvre.

«Oui», me disait-elle, parlant avec difficulté entre les violentes attaques du mal qui l’emportait et secouait tout son être, «oui, Dieu merci, nous pouvons nous réjouir que quelque chose va enfin être fait sur une échelle appropriée, et entre tous je m’en réjouis, car à travers toutes ces années j’ai travaillé et prié afin qu’il pût en être ainsi, mais Dieu merci, Dieu merci, cela est!»

Elle n’eut pas la joie de voir la publication du grand manifeste dans lequel le Général proclamait la détermination que l’Armée du Salut s'adressait à elle-même quant à la solution de la question sociale, mais elle n’était pas étrangère à son contenu. Elle fut la prophétesse du nouveau mouvement — elle le vit venir de loin, et se réjouissait d'être une socialiste de cœur, pleine de sympathie passionnée pour tous les pauvres et tous les opprimés, à quelque pays ou quelque climat qu’ils appartinssent, et pleine en même temps d’une violente indignation contre tous ceux qui leur faisaient tort.


* * *


Personne, en dehors de ses rangs, ne saura jamais dire jusqu’à quel point ce qu’il y a de plus caractéristique dans l’Armée du Salut est dû directement à l’impulsion inspirante et créatrice de Mme Booth.

Pourtant même ceux qui, comme moi, étudient cette œuvre du dehors, peuvent voir que sans elle, elle n’eut sans doute jamais été autre chose qu’une secte de plus ajoutée aux nombreuses et étroites sectes existant déjà, qui vont accomplir une mission dans tous les petits coins et recoins de la terre.

Ce fut Mme Booth qui fit de l’Armée le grand instrument qu’elle a été, pour révéler au monde les capacités et les ressources de son sexe, et ce fut Mme Booth qui, par la chaleur de son amour et la force de sa prudence, compléta le génie de son mari de telle manière qu’il put, avec elle, faire une œuvre telle qu’il n’y en a aucune aujourd’hui dans le monde qui puisse être mise en parallèle. Et pourtant Mme Booth fut la femme la plus réservée et la plus modeste qui ait été.

Elle-même nous révèle, entre plusieurs traits autobiographiques qui ajoutent un tel intérêt humain à ses discours, combien la pensée de parler en public la terrifiait comme un cauchemar; combien elle combattit contre l’appel qu’elle avait reçu aussi longtemps qu’elle osa le faire, et quand elle se décida enfin, ce fut avec une positive angoisse d’âme et non un simple sentiment de crainte, à la pensée qu’un fardeau si lourd serait posé sur elle — et cela même alors que son ministère avait été merveilleusement béni et que la simple annonce qu’elle allait parler suffisait à attirer d’immenses foules du haut en bas de l’échelle sociale.


* * *


Il y avait en Madame Booth un intense amour de l’humanité. C’était une femme vraiment humaine, d’un abord facile sans qu’il soit nécessaire pour l’approcher de faire parade d’un niveau spirituel ou de sentiments qu’on n’avait pas.

Elle était humaine dans ses sentiments aussi bien que dans ses vertus. — Son zèle — non pas tant dans ses dernières années, mais dans les premiers temps de leur combat, — était quelquefois étroit et tout en ayant l’intention de sauver les tombés et les perdus, elle était souvent dans la disposition du prophète Samuel qui met Agar en pièces devant le Seigneur.

Je pense que le fait que le Seigneur n’avait pas fait descendre le feu du Ciel pour consumer tout d’un coup les bataillons des oppresseurs était demeuré pour elle une chose étonnante. Elle pouvait frapper sans merci, mais pour le pécheur pris individuellement, dès que celui-ci montrait de quelque manière qu’il voulait se détourner de sa mauvaise voie, personne ne pouvait faire preuve de plus de compassion et de plus de tendresse.


* * *


Ce fut une grande Anglaise, l’une des plus grandes Anglaises de notre époque. Sous le règne de la Reine Victoria, trois femmes seulement sont mortes dont la postérité cherchera les tombeaux à Westminster Abbey et pour chacune d'elles la postérité regardera en vain. Elisabeth Barret Browning repose à Florence ; le tombeau de George Eliot se dresse sur les hauteurs septentrionales de Londres, tandis que celui de Madame Booth est parmi les nombreuses sépultures de l’Armée, dans le cimetière d’Abney Park. Mais il est mieux qu’il en soit ainsi.

Sur le tombeau de Mme Booth un temple pourra s’élever dans lequel de pieux pèlerins venus des parties du monde les plus éloignées, mais qui auront été bénis par ses enseignements et inspirés par son exemple, pourront se rencontrer pour prier et remercier Dieu de leur avoir donné un chef si vrai et si vaillant dans la guerre.

Elle fut apôtre et prophétesse, mais avant tout et par-dessus tout elle fut mère. «Oh, M. Stead,» s’écria-t-elle au moment même où j'allais la quitter le jour de cette scène solennelle de départ, «essayez de susciter des mères! Des mères! voilà le besoin du monde: Et parmi tous les solitaires et les accablés, parmi tous les déshérités et les infortunés du monde, elle ressentait plus de sympathie encore pour les veuves.


* * *


Et elle mourut en recommandant à ceux qu’elle laissait derrière elle de prendre soin de la veuve. Un grand cœur avait cessé de battre à Clacton, mais malgré cela il demeure toujours. Les pulsations de l’amour passionné qui l’avait rempli, n’ont pas cessé de vibrer à travers le monde. Non, elles ne cesseront pas tant que nos enfants vivront et les enfants de nos enfants.

«The Manchester Examiner»

En avant 1910 11 05


 

Table des matières