NOTES
ET
RÉFLEXIONS
À PROPOS DE NOS PERTES
Par le Chef d’État-Major
Il n’est pas douteux que l’Armée perde de temps en temps des travailleurs très appréciés, Officiers aussi bien que Soldats.
– Les uns se lassent et vont se reposer.
– D’autres sont fatigués des efforts perpétuels qu’implique notre œuvre — efforts de l’esprit et du cœur aussi bien que physiques — et déposent leurs armes de guerre.
– D’autres encore deviennent froids, et de ce nombre plusieurs sont bien dignes de sympathie. Leur froideur n’est tout d’abord pas très manifeste, mais elle affaiblit le sentiment de leur union avec leurs chefs. Leur vive sympathie vis-à-vis de leurs camarades, qui était autrefois une si grande force dans leur vie, se refroidit, la compassion qu’ils éprouvaient pour les âmes fait place à d’autres influences, et quoiqu’ils ne soient pas encore conscients d’abandonner leur foi, ils trouvent la lutte trop difficile, ou le sacrifice trop coûteux, et ils choisissent un sentier moins pénible.
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Beaucoup d’entre eux s’en vont, attirés par le monde.
Ils confessent franchement avoir changé d’avis; ils ne ressentent plus ce qu’ils ressentaient autrefois. Les choses qu’ils méprisaient auparavant commencent à prendre de l’empire sur eux, et sans toutefois devenir mondains, dans le vrai sens du mot, le monde avec ses promesses, ses avantages, ses plaisirs, son argent, les attire et ils nous quittent. Ils ressemblent à celui dont l’apôtre Paul disait: «Démas m’a abandonné, ayant aimé ce présent siècle.»
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Ensuite il y en a que nous perdons parce qu’ils ne sont pas restés fidèles à leurs résolutions.
Pas assez forts en eux-mêmes ou en Dieu pour résister à quelque épreuve cruelle ou quelque forte tentation, ils tombent et nous sommes obligés de les renvoyer. Ou bien ils se retirent, disant pour s’excuser ou se défendre que l’Armée a changé, que ses Chefs ne sont pas fidèles, qu’ils ont été traités injustement, ou autre chose d’aussi peu fondé et peu aimable. Nous ne répliquons rien et nous ne nous défendons pas, estimant qu’il vaut mieux souffrir la calomnie plutôt que de nous quereller. Nous pensons alors à notre Maître qui, «lorsqu’on le maltraitait, ne faisait point de menaces».
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Beaucoup de personnes pensent que tout ceci prouve que l’Armée du Salut n’est pas ce qu’elle devrait être.
Ce n’est pas mon avis.
Au contraire, je crois que ces pertes, ainsi que les déceptions et la tristesse qu’elles entraînent, sont inévitables. elles sont plutôt un signe que son œuvre vient de Dieu, et que ses méthodes et ses principes ressemblent à ceux de Christ. Il me semble que l’apôtre donne une excellente explication de la chose quand il dit avec autant de bonté que possible, relativement à ceux qui agirent à peu près de la même manière et presque pour les mêmes raisons vis-à-vis des petites communautés qu’il s’efforçait de maintenir:
«Ils sont sortis du milieu de nous, mais ils n’étaient pas des nôtres; car s’ils eussent été des nôtres, ils seraient demeurés avec nous; mais cela est arrivé afin qu’il parût que tous ne sont pas des nôtres.»
De plus, au lieu d’être surpris que de telles choses puissent arriver, je constate qu’elles existent depuis l’origine du christianisme.
En vérité, il serait bien plus surprenant qu’il n’en fût pas ainsi. Aucune personne intelligente ne peut jeter un coup d’œil en arrière sur l’histoire de la religion de Jésus-Christ, sans trouver sur tout le parcours de son développement la manifestation d’un état de choses analogue, depuis le jour où Jésus lui-même fut trahi et vendu aux misérables prêtres juifs par l’un des siens, ou depuis le moment plus triste encore qui suivit, lorsque, à l’heure de sa pénible agonie, quand Il aurait eu le plus besoin d’eux, ses propres disciples l’abandonnèrent et s’enfuirent.
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Souvent je me prends à désirer que ceux de mes chers camarades dont le cœur est navré par cette inconstance et par ces désertions, puissent se rendre davantage compte de la lutte contre l'infidélité, les persécutions et le paganisme qu’eurent à livrer les premiers disciples de Christ.
Tout le long de l’histoire, hélas! trop incomplète, de cette lutte durant le premier et le second siècles de l’ère chrétienne, on entend comme le gémissement de cœurs brisés, le cri d’angoisse arraché par les désertions et les trahisons de cette époque. Non seulement les gens abandonnaient les leurs, mais dénonçaient même des membres de leur propre famille aux persécuteurs.
Nombre de ceux qui avaient juré d’être fidèles s’enfuyaient. Des hommes qui avaient occupé de hautes positions dans l’Église primitive, se laissant abattre à l’heure de l’épreuve ou tenter par la prospérité, se détournaient et renonçaient à la foi qu’ils avaient promis de garder, entraînant souvent dans le vice et l’idolâtrie des communautés entières, ou attirant fréquemment sur les groupes de fidèles les cruautés indescriptibles des persécuteurs.
Néanmoins, en dépit de tout cela, la foi nouvelle vécut, continua à croître, à se propager, le nom de Christ fut hautement proclamé, l’espoir en Christ donna un but nouveau à la vie humaine; la paix, la miséricorde, l’amour de Christ se frayèrent un chemin dans le monde jusqu’à triompher non seulement des persécuteurs, malgré leur orgueil et leur pouvoir, mais à les vaincre eux-mêmes et parvenir à en faire des protecteurs et des disciples.
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Même si cela n’était pas le cas, je continuerais cependant à être persuadé que les épreuves et les pertes subies par l’Armée contiennent souvent des bénédictions de grande importance et un bonheur secret, caché là et sanctifié par la main de Dieu.
Jésus-Christ Lui-même se montra plus puissant pour nous et le monde le jour de sa mort ignominieuse et pendant les heures où II souffrit de l’abandon de ceux en qui Il avait placé sa confiance. Rappelons-nous cela et souvenons-nous aussi qu’Il nous a appelés à souffrir pour le monde en communion avec Lui.
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Le grand but de l’Armée du Salut est de sauver ceux qui sont perdus.
C’est pour cela que nous luttons, pour cela que nous souffrons et même que nous existons. Notre grand Maître et Exemple semble avoir trouvé que le seul moyen d’accomplir cette grandiose tâche est de passer par le chemin de la souffrance.
Le récit entier de son triomphe semble dire: «Si tu veux être un gagneur d’âmes, il faut te laisser crucifier» Comme ceci a été vrai pour nous! On peut bien dire que dès le commencement jusqu’à aujourd’hui, dans chaque pays où nous avons élevé nos mains pour Dieu, nous avons fait cette expérience.
L’Armée du Salut est née crucifiée. Si elle doit conserver sa vie et sa force, il faut qu’elle continue à se laisser crucifier.
Si un jour
elle
doit triompher et obtenir la couronne, il faut que ce soit par
la
croix de la souffrance qu’elle monte vers le trône.
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Donc ne nous plaignons pas si, comme notre Maître nous sommes parfois abandonnés par ceux que nous aurions tant aimé garder auprès de nous dans le combat, ou si, comme Lui, nous sommes parfois trahis, reniés et dénoncés par ceux qui avaient promis à haute voix die rester fidèles à la cause, ou si, profitant de ce que nous ne nous défendons pas, ils disent parfois sur notre compte des choses qui ne sont ni charitables, ni même vraies.
Courbons-nous et ayons soin d'être vrais.
Portons notre croix pesante comme Lui porta la sienne et avançons avec persévérance dans notre grand devoir de mourir journellement pour ceux qui nous entourent.
Sans nul doute ceci paraîtra souvent faible et ridicule aux yeux des hommes. Mais «la folie de Dieu est plus sage que les hommes, et la faiblesse de Dieu est plus forte que les hommes.»
Gloire soit à Lui!
En avant 1910 11 05
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