Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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LA MONTAGNE ET LA PIERRE


Un homme avait un ami qu’il chérissait tendrement. Il ne lui connaissait qu’un défaut capital, qui mène aux pires misères, et dont les conséquences sont incalculables: cet ami s’adonnait à la boisson.

Heureusement que cette passion n’était pas encore invétérée en lui. Aussi l’autre combattait-il sans relâche ce funeste penchant, car il espérait toujours amener le buveur à résipiscence.

Un jour qu’il l’avait quelque peu ébranlé, il cherchait, dans son esprit, un argument propre à faire sur lui une impression profonde et durable. Le hasard le servit à souhait. Ils passaient en pays de montagnes. Tout à coup, il saisit vivement son compagnon par le bras:

Regarde, lui dit-il, cette montagne. Porte les yeux vers son sommet. Vois-tu cette pierre qui s’en détache? Suis-la bien dans ses mouvements. Elle commence à rouler... Elle roule, elle roule toujours. Quelques aspérités semblant vouloir l’arrêter; mais elle franchit les obstables, bondit et rebondit.

As-tu remarqué qu’à la base de la montagne se trouve un précipice? La pierre roule toujours... Enfin, elle vient de franchir le dernier obstacle, elle tombe dans le précipice. Approchons. Penchons-nous. L’abîme est profond. De nombreuses aspérités s’y remarquent. L’eau tourbillonne au fond. La pierre a disparu à jamais dans l’abîme.

Viens, éloignons-nous; le vertige me prend! dit le buveur.

Eh bien malheureux, fit son ami, cette fin sera la tienne si tu ne renonces à ta funeste passion de boire!...

Cette montagne, vois-tu, c’est comme la vie du buveur; le sommet, c’est le jour où il commence à s’adonner à son vice abrutissant; le fond du gouffre est une image frappante de sa mort.

L’homme, le buveur, toi enfin, malheureux ami, c’est la pierre...

L’ivrogne boit... il part du faîte de la montagne. Comme la pierre, il commence à rouler.

Il boit, il boit... c’est la pierre qui roule.

Quelques aspérités tentent aussi de le retenir: un bon conseil, le remords, le manque d’aliment à sa passion; mais il franchit bientôt ces obstacles.

La pente est trop rapide et trop glissante; et, faute de s’être arrêté à temps, il ne peut plus le faire qu’au prix des plus grands efforts! Il s’approche du gouffre, lui aussi, et il ne saurait presque pas s’en défendre, car il y a un gouffre, tu sais, au bas de cette montagne-là: c’est la misère, c’est la dégradation, c’est l’abrutissement, c’est une mort honteuse et prématurée!

Comprends-tu, maintenant, l’horreur de cette situation?

N’as-tu pas peur de la profondeur de l’abîme où tu vas glisser?

N’as-tu pas le vertige comme tantôt, en plongeant tes regards dans le précipice?

Reviens donc à de meilleurs sentiments, je t’en conjure, il en est temps encore!

Je le promets, dit le buveur, je le promets... J’ai été aveugle. Ton amitié me sauve! Merci, mon ami... Ah! oui, tu es bien un véritable ami!

(Le Bien du Peuple.)

En avant 1910 09 10



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