QUATRE BELLES NUITS DE MA VIE
SOUVENIRS BÉNIS. – MISÈRE ET PÉCHÉ. – LE TRIOMPHE DE L’AMOUR
Dans les «Bas-Fonds» de Paris. — Une nuit à Piccadilly. — Une nuit auprès d’un cadavre en compagnie d'une sourde-muette. En route vers la Bretagne.
Par une belle soirée d’automne d’il y a six ans, j’arpentais une ruelle sombre d’un des pauvres quartiers de Paris. Je me disposais à passer la nuit auprès d’une femme de quatre-vingt-quatre ans entièrement paralysée, seule au monde et auprès de laquelle j’avais été appelée en qualité d’Officière de Bas-Fonds.
Pour ceux de nos lecteurs qui pourraient l’ignorer, j’ajouterai que les Officières de Bas-Fonds que les pauvres de Paris ont baptisées «anges des Bas-Fonds», ont pour mission de visiter les pauvres, de soigner les malades et d’apporter dans ces sombres demeures où règnent avec la misère la souffrance et l’angoisse, un peu de chaleur, de soleil et de joie.
Ces Officières nettoient la maison, apportent quelques secours matériels sous forme de nourriture et de vêtements, passent les nuits au chevet des malades ou des mourants et paient surtout de leur personne.
Après une ascension de trois étages, j’arrivai dans une chambre exiguë avec un mobilier des plus rudimentaires. Dans le lit, une femme robuste, malgré ses quatre-vingt-quatre ans, et dont l’immobilité forcée semblait mettre en relief la force latente condamnée à l’inaction.
Je compris d’emblée en la voyant le regard et la réflexion de la concierge lorsque j’avais prononcé le nom de sa locataire et qu’elle eut su mon intention de passer la nuit auprès d’elle:
«Pauvre enfant! avait-elle dit, comment pourrez-vous manier ce colosse!»
Et en effet, si je n’avais pas su que Dieu donne, dans certaines circonstances, une force extraordinaire en proportion du travail qu’il confie à Ses enfants, il y aurait eu dans mon esprit bien des appréhensions. Mais j’avais tant de fois expérimenté la force de mon Dieu, tant de fois j’avais vu Sa main toute-puissante intervenir au moment favorable, qu’une hésitation quelconque n’aborda pas même mon esprit.
J’ai vu bien des misères et soigné bien des infortunes, mais je ne connais rien de plus poignant que de se sentir fort et de ne pouvoir faire usage de ses membres, et d’être à la merci des autres pour le moindre service dont on a besoin.
Afin de lutter contre le sommeil et aussi pour employer le mieux possible le temps libre entre les soins à donner à ma malade, j’avais apporté un travail de couture. Tantôt assoupie, la pauvre femme paraissait goûter un peu de repos, tantôt les yeux grands ouverts, elle semblait plongée dans des réflexions étranges.
Son regard rencontrait le mien et j’essayais par un sourire ou une parole d’affection de mettre dans cet esprit et dans ce cœur, où les luttes de la vie avaient laissé de si profondes traces, j’essayais, dis-je, d’apporter avec le baume consolateur de l’affection, un peu de calme et de sérénité.
«Quand même, c’est-y étrange» fit-elle soudain.
Mon regard interrogateur rencontra le sien.
«Oui, poursuivit-elle, vous êtes bien jeune, mon enfant, et paraissez si peu forte. Quel drôle de métier vous avez choisi!»
J’allais expliquer que ce n’était pas un métier, mais une belle et sublime vocation, la plus élevée qu’il y eût sur terre, mais ma malade ne m’en laissa pas le temps. Précisant la pensée qui depuis mon arrivée agitait son esprit:
«Oui, reprit-elle en insistant avec force, vous êtes si jeune, vous ne devez pas avoir fait beaucoup de mal au bon Dieu.»
La lumière avait jailli dans mon esprit. Je compris l’allusion et l’erreur qu’elle faisait et je saisis avec empressement l'occasion qui m’était offerte de lui expliquer la raison d’être de ma présence dans cette chambre triste et misérable. Ce n’était pas seulement pour les souffrances physiques et encore bien moins pour expier mes péchés, comme elle le pensait, que j’étais là cette nuit de fin septembre.
Vous n’ignorez pas, en effet, qu’il y a des personnes qui, après une vie plus ou moins agitée et coupable, croient obtenir de Dieu le pardon et expier leurs fautes en s’enfermant dans une retraite quelconque où par des prières et des pénitences diverses elles pensent apaiser le courroux de Dieu.
J’eus vite fait de lui faire comprendre que si c’était, en effet, par amour pour Dieu et pour les souffrants que j’étais là, cette nuit, ce n’était pas du tout dans le but d’expier le passé ou de gagner le ciel par des œuvres plus ou moins méritoires.
LIBÉRÉE PAR DIEU DE L’ESCLAVAGE DU PÉCHÉ, et mue par un intense sentiment de reconnaissance pour tout ce qu’il avait fait pour moi, je lui avais consacré ma vie, mes forces, ma santé, mes facultés, ma jeunesse, mon être entier pour qu’il en disposât à son choix, sentant que moins que tout serait coupable.
Mon seul désir était de lui être agréable, de lui ressembler; le mobile qui me poussait à l’action était un sentiment d'amour et de gratitude et non un vil motif d’égoïsme, un froid calcul, un marchandage pour le ciel.
La surprise de ma malade avait fait place à de l’intérêt, presque à de l’admiration. On voyait que cette conception de la religion que Dieu aime, lui semblait juste et répondait à ce que sa conscience lui disait.
Aussi lorsque, poursuivant, je lui donnai mon témoignage, lui expliquant comment, toute jeune enfant encore, j’avais compris que le désir de Dieu n’était pas que j’assistasse à des cérémonies, mais QUE LE PÉCHÉ FÛT ENLEVÉ DE MON CŒUR, que c’était là ce qui l’attristait en le déshonorant; que le mal sous n’importe quelle forme, était une insulte à Dieu, insulte d’autant plus grande si elle était jointe à des pratiques religieuses, parce qu’elle se doublait alors D’HYPOCRISIE, le péché qui peut-être était le plus abominable aux yeux de Dieu.
Elle écoutait ravie. Cette sombre chambre s’était comme métamorphosée. Un coin du ciel s’était ouvert pour elle. Que c’était donc beau! Elle qui ne pouvait quitter son lit, pourrait avoir Dieu dans son cœur! pratiquer la religion qu’il aime, celle d’un cœur pur, d’une vie débarrassée des souillures du monde! Elle ne pouvait presque pas y croire.
Pendant que je lui citais les mots mêmes de Jésus:
Heureux sont les cœurs purs car ils verront Dieu,
et:
Ce n’est pas celui qui dit: Seigneur, Seigneur, qui entrera dans le royaume des cieux, mais c’est celui qui fait la volonté de mon Père, ainsi que ces paroles si significatives du prophète Ésaïe:
«Qu’ai-je à faire de la multitude de vos sacrifices? dit l’Éternel,
Quand vous venez vous présenter devant moi,
Qui vous demande de souiller mes parvis?
Cessez d’apporter de vaines offrandes!
Je ne puis voir le crime s'associer aux solennités.
Quand vous étendez vos mains, je détourne de vous mes yeux;
Quand vous multipliez les prières, je n’écoute pas!
Vos mains sont pleines de sang,
Lavez-vous, purifiez-vous,
Ôtez de devant mes yeux la méchanceté de vos actions
Cessez de faire le mal.
Voici le jeûne auquel je prends plaisir;
Détache les chaînes de la méchanceté,
Dénoue les liens de la servitude,
Renvoie libre les opprimés,
Et que l’on rompe toute espèce de joug;
Partage ton pain avec celui qui a faim
Et fais entrer dans ta maison les malheureux sans asile
Si tu vois un homme nu, couvre-le. Et ne te détourne pas de ton semblable.»
La lumière grandissait dans son esprit et un immense désir d’entrer en relation avec ce Dieu qu’elle avait ignoré, emplissait son cœur. Nous priâmes, et Dieu qui comprend les soupirs et exauce tout désir sincère, entendit cette nuit-là la prière de cette pauvre femme.
Le surlendemain, je faisais mon entrée à l’École Militaire, cette École Militaire qui avait fait l’objet de mes désirs les plus ardents.
Ô vous, que Dieu appelle à le servir dans l’Armée du Salut, vous ne savez pas quelles joies et quelles bénédictions le Seigneur vous réserve à l’École Militaire. Obéissez promptement à Son appel et vous l’expérimenterez vous-mêmes.
Quelques jours plus tard, transportée d’office à l’hôpital, ma malade y mourait, mais elle savait qu’elle rencontrerait Là-Haut le Dieu qu’elle avait imploré à son heure dernière.
Qu’en est-il de toi, lecteur?
Es-tu au clair sur la religion que Dieu aime?
Essayes-tu de lui faire illusion par des pratiques auxquelles ton cœur n’a aucune part, tout en conservant le péché dans ta vie?
Oh! viens aujourd’hui même à ce Dieu qui t’aime, implore son pardon, confesse-lui ton passé et crois à sa miséricorde. Il a transformé ma vie, il peut faire de même pour toi et apporter la paix et la joie à ton cœur meurtri, fatigué et flétri. Dès lors tu pourras chanter:
«Oh! la paix que Jésus donne
Me remplit d’adoration,
Tout à Jésus, j’abandonne
Tout pour sa bénédiction.»
(La suite au prochain numéro.)
En avant 1904 08 20
Table des matières |