NOS ENFANTS
C’est toujours d’actualité de parler des enfants, puisque l’avenir est la question brûlante, le présent n’étant que d'un instant. Mais, c’est doublement d'actualité à l’heure où le Secrétaire de la Jeune Armée entreprend une longue tournée à travers la France, en vue des intérêts de l’enfance.
Puissent tous ceux qui ont — de près ou de loin — action sur ces jeunes cœurs, réfléchir sérieusement à la responsabilité qui leur incombe, et songer à ce qu’ils pourraient faire pour ceux dont personne ne s'occupe.
Une fois de plus, la gravité du problème m’est apparue dans toute sa douloureuse réalité.
Je passais dans un quartier populeux de Paris. Les enfants, en grand nombre, en ce temps de vacances, s’ébattaient dans la rue. L’atmosphère empoisonnée, viciée par toutes espèces de mauvaises odeurs, par celle surtout que produit l’infraction aux lois de l’hygiène et l’agglomération excessive des individus, ne semblait pas les incommoder.
Affaire d'habitude! pensai-je intérieurement. Ne m’étais-je pas moi-même plus ou moins accoutumée à cet état de choses, quand j’étais Officière des Bas-Fonds, au point d’en moins souffrir que j’en souffrais aujourd’hui. Et, en réfléchissant à la puissance, voire même à la tyrannie des habitudes, mon cœur se serrait à la pensée des déplorables habitudes morales contractées, presque par la force même des choses dans ce milieu, toujours malsain, qu’est la rue pour l'enfant.
Appelée pour affaires dans ces parages, j’avais voulu faire un pèlerinage au Poste de Bas-Fonds où j’avais travaillé dans ce quartier, douze ans auparavant. Je revoyais ce petit logis où j’avais habité pendant des mois, et, en traversant ces ruelles humides, glissantes, infectes même, mon cœur se serrait à la pensée de tout ce qu’il y avait de misères vraies, profondes, misères matérielles, engendrant des situations morales autrement pénibles encore (parfois la réciproque était vérifiée), toutes les faces de cette grande question du paupérisme, que je n’aborderai pas aujourd’hui, se dressaient devant moi.
Je voudrais seulement signaler, cette fois, l’une des conséquences de cet état de choses, conséquence si douloureusement tragique, parce qu’elle a une répercussion sur tant de générations: LA MAUVAISE ÉDUCATION DES ENFANTS ABANDONNÉS PLUS OU MOINS À LA RUE.
Loin de moi la pensée de vouloir ici accabler les parents. Je sais trop l’impossibilité presque absolue pour eux d’agir autrement ou, en tous cas, les raisons que l’on peut inscrire à leur décharge et qui font qu’ils sont plus à plaindre qu’à blâmer.
Malheureusement, cela ne change en aucune façon le danger qu’il y a pour les enfants à séjourner presque exclusivement dans la rue en dehors des heures de classe.
Le sujet était assez profond et complexe pour donner matière à réflexion.
Un fait vint l’appuyer et en prouver la douloureuse réalité. Une mignonne fillette, physionomie intelligente, douce, ouverte, vive et gracieuse, passait à mes côtés. Exquissant le sourire le plus aimable, elle s’arrêta... me salua... puis... proféra une grossière injure. Je restai interdite.
Non que ce fait fut nouveau pour moi. J’avais été le témoin,hélas! de mille autres du même genre et de beaucoup plus graves encore. Mais ce qui me navra surtout, ce fut le fait que cette enfant, si douce et si ouverte, avait pu agir ainsi comme si elle eût commis une bonne action, de la façon la plus naturelle du monde, sans redouter en aucune façon le blâme de ceux qui pouvaient l'entendre, sûre d’avance d’être approuvée.
Est-ce que vous comprenez, est-ce que vous en souffrez? Avez-vous entendu? Sûre d’avance d'être approuvée! Ce n’est point une idée à moi. C’est un fait poignant, douloureux, mais, hélas! trop fréquent.
Avoir la conscience faussée dès l’âge le plus tendre, faire le mal sans s’en rendre compte et sans en avoir honte, s’en faire presque une gloire, sans trouver autour de soi quelqu’un qui vous dise: c’est mal. Quelle triste chose!
Les enfants qui ont le privilège d’être entourés et repris, ne sauront jamais assez l’apprécier.
Cet exemple pris entre mille, m’aurait convaincue, si je ne l’avais été depuis très longtemps déjà, de la nécessité de la belle œuvre qui s’offre à nous dans cette direction. L’œuvre parmi les enfants a-t-elle dans votre poste, dans votre quartier, dans votre ville l’importance qu’elle doit avoir, ou n’existe-t-elle encore qu’à l’état rudimentaire, une branche du travail d’à côté qui végète et n’attire pas par conséquent l’enfant «vivant» par excellence. Le besoin est urgent.
Rappelons-nous que l’enfant d’aujourd’hui est l’homme de demain! Préservons donc l’enfant, mais faisons mieux encore:
SAUVONS LES ENFANTS!
En avant 1910 09 10
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