AU
CONTACT DU PAUVRE
Par le Chef d’État-Major
Voulez-vous être d’une utilité réelle aux pauvres?... ALLEZ VERS EUX!
C’est là l’un des principes fondamentaux de l’Armée du Salut, aussi bien dans son œuvre purement religieuse que dans ses entreprises sociales; et, de même qu’aux Indes nos Officiers travaillant au sein de populations païennes, vivent avec le peuple et s’habillent ou mangent comme eux, pour atteindre leur cœur et gagner leur confiance au message qu'ils ont à délivrer, quelques Officiers de notre Oeuvre Sociale en Europe, en vue d’atteindre la classe de gens la plus pauvre et la plus dégradée, vivent et travaillent dans les derniers bas-fonds, dans les rues les plus misérables, et au centre des repaires même du vice grossier.
Plût à Dieu que l’on trouvât une voix puissante pour réveiller l’opinion publique dans nos pays et lui faire reconnaître le danger que représentent, pour l’hygiène comme pour la morale, les «bas-fonds». Dut ce réveil être provoqué par une épidémie meurtrière, emportant sur son passage des multitudes d’hommes, on y retrouverait enfin de compte, une bénédiction — un gain supérieur à la perte.
Et c’est au sein même de cette vallée de ténèbres morales et de mort spirituelle que nos Officières de Bas-fonds se meuvent, visant d’abord et avant tout à l’émancipation de ses habitants — et réussissant à en gagner un bon nombre pour leur Maître — mais accomplissant plus encore en apportant dans ces abîmes un bienfaisant courant de lumière, d’espoir, d’aide et de réconfort.
La femme souffre le plus de ce fâcheux état de choses, et c’est vers elle plus particulièrement que se porte l’effort de nos chères Officières dont nous ne saurions trop hautement louer le vaillant apostolat.
Un aperçu de l’espèce de travail qui leur est demandé, extrait d’un ouvrage d’économie sociale et que nous reproduisons ici se passe de commentaires:
«C’est tout un monde que les Bas-Fonds, avec leur population particulière, leurs coutumes propres (qui ont force de loi), leur atmosphère, leurs maladies, leurs métiers et leur dialecte. La tournure d’esprit prédominante y diffère considérablement de celle existant dans la classe ouvrière ordinaire, et nous l’avons constaté en maintes occasions. Là, les Officières doivent apporter des méthodes qui s’écartent sensiblement de celles en usage dans les autres domaines de l’activité salutiste.
Leur manière de vivre est particulière, car elles sont sans cesse au contact des plus basses classes — particulier aussi est leur vêtement, car leur extérieur doit s’harmoniser avec la pauvreté du milieu ambiant. Elles en adoptent la nourriture et les heures, et s’assimilent aux habitudes sociales du peuple, vivant près de lui en voisines et amies. On a recours à l’Officière des Bas-Fonds de jour et de nuit, pour agir en qualité de docteur, de garde malade de conseillère, de distributrice d’aumône et de «ministre de la religion».
Elle veille les malades et lave les morts, les enfants de l’ivrognesse l’aiment parce qu’ils savent qu’elle arrive dans la mansarde au moment voulu pour faire servir les derniers sous restant dans la poche de leur mère en dîner pour eux au lieu de boisson pour elle-même!
L’agent de police, au coin de la rue, la prie de monter «au n° 13, au fond du corridor d’en haut», où une femme malade a été transportée à minuit.
Au bureau de police on dit que c’est merveille qu’elle ne se fasse pas assassiner une fois par semaine.
À la réunion quotidienne dans sa petite salle, elle pleure sur les misères du peuple, et puis se réjouit l’instant d'après parce qu’une nouvelle Magdeleine est restée en arrière pour demander si elle pense qu’il lui serait bon d’entrer dans un «refuge».
Au milieu de son discours sur vient un messager, envoyé par un mourant dans la ruelle voisine: «Venez vite!» et elle va prier et plaider pour son âme.
Au retour, il y a bataille entre une femme et son «homme», tous deux surexcités par l’excès de boisson et les quolibets de la foule. L’Officière connaît cette femme, dont elle a une fois veillé le bébé, et elle s'interpose bravement, et la foule rit pendant qu’elle leur parle, et qu’ils se séparent.
Souvent, après que les deux vaillantes filles, car elles sont toujours envoyées à l’œuvre deux à deux se sont enfin livrées au repos, elles doivent encore se lever pour calmer une dispute dans leur maison même ou sous le toit voisin, ou se rendre encore au chevet d'un homme, d'une femme ou d’un enfant mourant et TREMBLANT DE PASSER SANS DIEU PAR LA SOMBRE VALLÉE.
Ainsi, plus d'un foyer est réjoui, plus d’un homme obtient un emploi, plus d'une âme souffrante se prend à espérer, sachant que Dieu n’a pas oublié sa miséricrde, plus d’un enfant affamé grandit avec le souvenir de l’ange des Bas-Fonds que Dieu lui a envoyé pour le nourrir et le réchauffer, et plus d'une femme au désespoir est comme retirée du gouffre ardent, et placée en sûreté sur le Rocher des Siècles.»
N’y a-t-il point de revers à la médaille? Oh! certainement!
L’Officière sème, sème, sème encore, et arrose la semence de ses larmes, pleine d’espérances pour le temps de la moisson, et quand les épis sont rentrés, on y trouve beaucoup de balle, mais béni soit Dieu, il y a aussi du froment. Grain doré et trois fois précieux, mûri pour la Gloire de Dieu, non mesuré et souvent inaperçu de l’œil humain, mais qui est là pourtant!
En avant 1910 09 10
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