Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

----------

M’AS-TU OUBLIÉE?

OU UN TOUCHANT CAS DE RELÈVEMENT


Ah! que le cœur est léger

Quand on aime, quand on aime!

C'est ce que chantait Alice Guibert avec la gaieté et l’insouciance d’une jeune fille de dix-sept ans. Elle allait et venait dans le joli jardin d’une maisonnette de campagne, où elle demeurait avec sa mère qui était veuve.

Ce jardin, avec ses parterres de fleurs belles et variées, n’était pas seulement un paradis où les abeilles butinaient à qui mieux mieux, il était encore une source de revenus pour la petite famille.

Chaque matin, le vieux Jean, roulier, allant en ville vendre ses produits, s’arrêtait devant la maison pour prendre le plus beau choix de fleurs qu’on pût trouver. Il les vendait toutes et à un bon prix, aussi était-il accueilli avec joie quand, à son retour, il remettait l’argent de sa vente à Mme Guibert.

Alice, au milieu de ses fleurs, pouvait rivaliser de beauté et de fraîcheur avec elles. Les petites abeilles qui semblaient jouir pleinement de la vie, n’étaient certes pas plus heureuses que la jeune fille...

Ne venait-elle pas de rencontrer Robert Deschamps, ce jeune citadin, demeurant chez M Burier, de l’autre côté de la prairie?

Ne lui avait-il pas demandé d’aller se promener avec lui, ce soir, le long de la rivière? Et elle avait dit oui. Ah! comme elle chantait, le cœur léger! Alice n’avait pas à envier le colooris brillant de ses fleurs, Robert l’avait choisie, elle, la plus belle — avec sa robe de percale si simple pourtant.

Viens, Alice, ma fille, le dîner est prêt! dit la mère d’un ton joyeux, comme la jeune fille apparaissait sur la porte de la cuisine, balançant son chapeau de soleil par les brides.

Ah! fillette, ajouta-t-elle, admirant le joli tableau qu’offrait Alice, dernier dans le cadre de la porte, sous les rayons d’un beau soleil couchant. «Dieu dans sa grâce, s’est souvenu de toi; pas de maladie, pas de souci ou d’inquiétude qui troublent ta vie. Il a été bien bon, je t’assure!

C’est vrai, mère, répond Alice, ni maux, ni chagrins, oui, Dieu s’est souvenu de moi! Mais en lui répondant, la jeune fille était bien loin des pensées de sa mère.


Ce soir-là, sous les arbres qui longent la rivière, l’innocente Alice écoutait avec ravissement les choses que lui racontait le jeune homme, charmée de toutes les paroles subtiles qu’il lui disait à l’oreille. Pourquoi lui parlait-il tout bas, quand personne n’était là pour l'entendre? Pourquoi Alice se sentait-elle troublée quand le désir de vivre une vie légère s'éveilla dans son cœur?

Cette même nuit, par la porte de la cuisine qui ne se fermait jamais, on aurait pu voir sortir une forme svelte et légère. La lune, se dégageant des nuages, mit en pleine lumière Robert et Alice qui fuyaient tous deux sur la route poudreuse. Ils atteignirent l’express de nuit qui devait les conduire dans une grande ville.

Là, ils se lancèrent dans une vie enfiévrée de plaisir. — Alice chercha ainsi à oublier son heureux intérieur et sa bonne vieille mère à la campagne. Elle ne savait pas qu’elle était orpheline — que sa pauvre mère était morte du choc que lui avait causé la honteuse nouvelle qu’on lui avait annoncée brutalement.


Quelques mois plus tard, Alice fut trouvée dans les rues de la grande ville, sans abri, sans amis et sans argent. Ce fut le commencement d’une vie misérable qui la conduisit plus bas, toujours plus bas.


* * *


Deux ans se sont passés. À un carrefour de rues, une Officière de l’Armée du Salut s’adresse à un petit groupe de gens rassemblés autour d’elle. Elle parle en termes touchants et sympathiques de l’amour de Dieu pour tous les hommes.

Une jeune femme, misérablement vêtue, s’approche, elle arrive juste pour entendre ces paroles:

«Dieu les ôtera de sa mémoire, disait la salutiste. II ne s’en souviendra plus, car, lorsqu’il oublie c’est pour toujours.»

Puis, ayant annoncé une réunion qui devait se tenir dans une salle de la rue voisine, l’Officière pria et termina sa réunion. Allant droit à Alice — car cette pauvre créature abandonnée n’était autre que celle qui rivalisait de beauté avec les fleurs du jardin de sa mère — elle lui dit:

Voulez-vous venir à notre réunion ce soir?

Non, je suis trop mal habillée! répliqua la jeune fille d'un air effaré.

Effarée? Oui, Alice sent qu’elle a reçu là son coup de mort, car elle a mal compris. Certes, elle avait déjà sondé les profondeurs de la douleur — du désespoir. Mais, à travers toutes ses expériences passées, elle s’était prise à espérer. Elle avait toujours entretenu dans son cœur un secret espoir qu'un jour... et maintenant que ferait-elle? «Ô Dieu, ô Dieu!» soupire-t-elle, «Est-ce vrai, est ce donc bien vrai? Il ne se souvient plus! Il oublie pour toujours!

Arrivant au sombre logis où elle demeurait depuis trois mois, elle se jeta à terre dans le coin le plus reculé de la chambre. Ramenant sa robe déchirée sur sa tête, comme pour se séparer du monde, d’une voix étranglée et pleine d’angoisse elle se mit à prier, la première fois depuis deux ans:

«Ô Dieu! — m’as-tu oubliée?»

À dix neuf ans elle se croyait oubliée de Dieu!


Elle se réveilla le lendemain avec la détermination de se renseigner. Elle avait remarqué un endroit où se trouvait un bureau de l’Armée du Salut. Elle irait et demanderait là s’il était vrai que Dieu oubliait des créatures comme elle, selon ce que la Capitaine avait dit.

Je vous prie. Monsieur, dites-moi, est-ce vrai que Dieu m’a oubliée?

Après cette question à l’Officier divisionnaire, Alice fut saisie de crainte; il avait soupiré et la regardait avec des yeux étonnés. Elle eut peur que ses craintes ne se réalisassent, mais que voit-elle? Le salutiste a des larmes aux yeux et il la regarde avec un air de profonde compassion.

Ma pauvre fille, dit-il, comment pouvez-vous croire pareille chose? Venez et racontez-moi votre histoire.

Alice ne cacha rien de sa triste vie. De très promptes dispositions furent prises à son sujet et au bout de peu de temps la jeune fille put entrer dans une Maison de Relèvement. Après une année de stage dans cette institution, Alice sortit pour occuper une place d’ouvrière honnête, le cœur plein d’une profonde gratitude envers Dieu qui ne l’avait point oubliée et envers l’Armée du Salut qui lui avait fourni l’occasion de revenir à Lui.

En avant 1910 08 20


* * *


La modestie est au mérite ce que les ombres sont aux figures dans un tableau: elle lui donne de la force et du relief.


En avant 1910 08 20



Table des matières