À LA PLACE DES AUTRES POUR MIEUX LES COMPRENDRE
C’était en Amérique, dans un wagon-lit; l’express roulait depuis plusieurs heures, lancé dans les ténèbres de la nuit.
Un vieux chercheur d’or qui revenait des régions arides où, pendant des années, il avait vécu loin de toute famille, campé dans les montagnes, en compagnie d'hommes exclusivement occupés, comme lui-même, à arracher à la terre ses trésors, avait vainement essayé de dormir.
À l’autre extrémité de la voiture se trouvait un petit enfant, dont le père s’efforçait en vain de calmer les pleurs. Agacé par ces cris incessants, le vieux mineur écarte enfin les rideaux de sa couchette et, d’un ton rude et plein d’irritation, demande:
— Où est donc la mère de cet enfant?
Il y eut un silence d’un instant, puis le père, d’une voix sourde, étranglée, répondit:
— La mère est dans son cercueil, au fourgon de tête.
Aussitôt le voyageur mécontent saute à bas de sa couche, ajuste ses vêtements et s’approche:
«Donnez-moi cet enfant!» et toute la nuit on l’entendit se promener du haut en bas de l’étroit couloir, le bébé dans ses bras vigoureux, et lui murmurer de douces paroles jusqu’à ce que, sur le matin, il eût enfin réussi à l’endormir.
Si, au lieu de juger, critiquer, récriminer, au lieu de nous plaindre du prochain, nous nous enquérions de ce qui l’aigrit, l’agite, lui fait un visage maussade ou renfrogné, rend son voisinage désagréable et son langage agaçant, nous serions souvent honteux de nos sentiments à son égard, et nous nous ferions une joie de lui venir en aide.
(Chrétien belge).
En avant 1910 08 20
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