Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

----------

L’ALCOOLISME ET LES FEMMES


Examinez de près les ménages d'ouvriers. Neuf fois sur dix, vous verrez que la femme, hébétée par la routine, résignée de cette résignation qu’elle a héritée de sa mère et de sa grand-mère, laisse ses petits à la rue, leur donne une nourriture hâtivement préparée et des soins insuffisants, parce qu’il faut qu’elle travaille au dehors.

Et pourquoi faut-il qu’elle travaille au dehors?

Parce que l’homme ne rapporte pas sa «journée» entière, parce qu’il en laisse une partie au cabaret. Or, de plus autorisés que moi affirment que dans nos grandes villes, le gain journalier de la femme équivaut exactement à la dépense faite par le mari au cabaret.

On aura beau multiplier les dispensaires, les sanatoriums d’enfants, les consultations de nourrissons, la mortalité infantile ne diminuera et la dépopulation ne cessera que le jour où la femme ne sera plus à la merci du débitant d’alcool. Si, passives et indifférentes, les femmes attendent cette réforme des hommes seuls, elles l’attendront longtemps! Et cela m'amène à parler du rôle de la femme dans la lutte contre l’alcool.


Dans les pays où l’alcoolisme a été en partie ou totalement enrayé, ce résultat a été obtenu grâce à ce que les femmes se sont jointes aux hommes courageux qui ont entrepris la lutte.

Les Américaines ont donné le branle au mouvement.

Dès 1868, l’ordre des Bons Templiers, qui compte actuellement plus de 700.000 membres, invitait les femmes à faire partie de la ligue au même titre que les hommes. «L’Union chrétienne de tempérance des femmes», fondée en 1883 par Miss Vilard, a obtenu à un moment donné une pétition de 7.500.000 signatures.

«L’Association britannique des femmes tempérantes», en Angleterre, compte 100.000 membres. Dans les pays où les femmes prennent part à la vie publique, comme par exemple en Nouvelle-Zélande, la prohibition de la vente de l’alcool a été facilement obtenue. Mais le résultat le plus éclatant a été obtenu en Suède et en Norvège.

La Suède consommait, il y a soixante-quinze ans, vingt-trois litres d’alcool pur par tête. C'est la Société de tempérance, composée pour moitié de femmes, qui a sauvé le pays. En Norvège, on a établi «l'Option locale», qui devrait être, dans les pays ravagés par l’alcoolisme, le but suprême de tous les gens sensés.

L’«Option locale» est le suffrage universel accordé à tous les individus, hommes ou femmes, âgés de vingt-cinq ans au moins, et qui donne aux habitants de chaque commune le droit d’interdire la vente de l’alcool sur leur territoire.

Les femmes norvégiennes de toutes les classes ont compris le danger, et vous pensez avec quel enthousiasme elles sont allées voter contre l’empoisonnement et contre la mort de leurs enfants. Et dans un élan de solidarité, spontanément, les femmes des campagnes sont venues, le jour de l’option, dans les villes, pour garder les enfants de leurs sœurs citadines afin de leur permettre d’aller voter. L’alcool fut ainsi prohibé dans onze villes.


Hélas! nous n’en sommes pas là, en France. ...

La femme du peuple, et souvent aussi celle de la bourgeoisie, se marie sans grandes illusions et accepte l’intempérance du mari comme une des nombreuses déceptions qu’il faut supporter sans broncher, parce que tout le monde les supporte sans broncher...

Je ne crois pas exagérer en disant que l’ouvrier qui ne dépense pas, au minimum, 0 fr. 30 par jour (en 1910) pour ses petits verres, est une exception; 0 fr. 30 par jour, c’est-à-dire au moins la moitié du loyer.

Et cet ouvrier-là est celui dont la femme vous dira: «Oh! moi, j’ai de la chance, mon mari ne boit pas!»... La résignation passive de ces pauvres femmes est étonnante. Nous connaissons de ces martyrs qui inspirent la plus grande admiration. Mais nous estimons que si elles sont libres d’accepter les coups, la misère, la maladie pour elles, elles n’ont pas le droit d’accepter la dégénérescence et la mort pour leurs enfants. Là est le point le plus douloureux de tout le problème: la femme n’est pas seule victime, il y a l’enfant!

Combien voyez-vous, chaque jour, de ces pauvres créatures usées et affaiblies jusqu’à en avoir perdu toute velléité de révolte, accepter d'avoir des enfants épileptiques, arriérés, estropiés, et les soigner, les couver, les adorer comme si ces déchets de l’humanité étaient ce qu’elles pouvaient produire de mieux.


Laissez-moi vous donner quelques exemples:

Il y a quelque temps, une femme dont le mari est mort alcoolique, nous amenait son fils âgé de quatorze ans. Né infirme, il était le type du taré arriéré, sournois, méchant, réchappé de méningite, qui ne sera jamais un membre utile de la société. Cette femme disait: «C’est le seul qui me reste de sept! Les autres sont partis à l’hôpital, et les médecins m'ont dit que j’aurais beau en avoir trente-six, qu’ils seraient tous comme ça!» Et elle racontait cela tout simplement, sans aucune révolte, comme une chose naturelle.

Une autre mère, dont le martyre nous est connu depuis dix ans, fait vivre de son travail un mari ancien buveur, gâteux à cinquante ans. Elle élève une petite créature microcéphale, qui n'a même pas forme humaine, Quand elle va rapporter son travail à la fabrique de chaussures, elle met cette pauvre loque, qu’elle appelle fièrement «son fils», dans une petite voiture quelle pousse devant elle. Jamais elle ne le quitte un instant, jamais elle n’a consenti à le mettre dans un asile. Toutes ses forces vitales et affectives sont concentrées sur ce malheureux enfant.

Un jour, elle arriva toute joyeuse et, les larmes aux yeux, nous annonça: «Il a dit maman trois fois de rang!» L’enfant avait alors huit ans. Peut-on s’empêcher de penser quelle belle série de beaux et bons citoyens cette femme, qui possède des trésors inépuisables de patience, de tendresse, d’intelligence et de dévouement, eût pu donner à son pays si elle avait eu un mari sobre?

Quelle somme de misère provoquée par l’alcool!

N’est-ce pas angoissant, poignant, l’évocation de ce total de souffrance imméritée?

Eh bien, que la somme de nos efforts et de notre bonne volonté soit à sa hauteur!

L’intérêt que vous accordez à la question de l’alcoolisme n’est pas une aumône que vous êtes libre de donner ou de ne pas donner. C’est la réparation partielle d’une injustice criante que vous devez à vos sœurs victimes. Et puis... laquelle de vous peut affirmer qu’elle n’est pas où qu’elle ne sera pas, un jour, victime du fléau? Il y a des manières si différentes d’en être victimes.

(Garde malade hospitalière).

En avant 1910 08 13



Table des matières