AUX INCRÉDULES
Ce qu’il est bon qu’on sache. — Une erreur trop répandue. — Rectification nécessaire. — Ce que nous entendons tous les jours.
1° voix: «J’ai eu tant de malheurs que je viens me mettre de votre religion»; et la pauvre femme qui me disait cela et me racontait sa triste histoire, entendait par là que si nous voulions l’aider matériellement, elle ferait n’importe quelle profession de foi, elle se convertirait à notre religion, remplirait toutes les conditions voulues.
2° voix: Cette fois, c’est un homme qui parle ou plutôt qui écrit, un ouvrier sans travail, honnête homme.
«J’ai été si souvent trompé dans ma religion, que je viens me mettre de la vôtre; j’ai entendu dire que vous aidiez les malheureux.»
À tous les deux nous avons répondu:
«Nous
sommes
prêts à faire tout ce que nous pourrons pour vous aider;
mais il n’est point nécessaire pour cela d’être de notre
religion.»
3° voix: Un écho des bas-fonds: J’entre dans une boulangerie pour acheter un pain pour un petit garçon qui est venu m’en demander un pour sa maman. Quand il est parti:
«Tous ces gens sont de votre société?» me dit la boulangère.
«Pas du tout, madame; aucune des personnes que nous aidons ne sont des Salutistes; ce sont tous des catholiques.»
Stupéfaction de la marchande qui ne peut en revenir.
Et alors? Il suffit d’être malheureux pour avoir droit à notre sympathie, et nous ne demandons jamais à ceux qui souffrent: êtes-vous catholiques, ou protestants, ou incrédules? Peu nous importe.
Non seulement nous nous en gardons comme du feu, mais nous luttons contre cette idée, hélas! trop répandue, que l’on peut faire quelque simulacre religieux, quelque acte de présence à telle ou telle cérémonie, en vue d’un avantage matériel: NOUS TROUVONS QUE C’EST UNE INFAMIE, LE CRIME DES CRIMES.
Je sais bien que cela s’est vu chez certains, et que si cette idée court le monde, c’est qu’elle a été accréditée par l’usage de gens qui ont profané le beau nom de disciples de Christ, et qui ont ainsi TUÉ LA FOI EN DIEU en voulant sans doute la faire naître.
Ils ont oublié qu’un acte religieux quelconque n’a de valeur que s’il part du cœur, que s’il est UN ÉLAN DE L’ÂME et qu’une telle attitude insulte Dieu et le déshonore.
– C’est une grave faute de la part des enfants de Dieu qu’une pareille manière de faire.
– C’est le moyen le plus sûr de créer toute une génération d’hypocrites et d’incrédules.
– C’est une politique détestable qui tue le sens religieux. Il y a sur ce point une révolution à faire dans tous les domaines, hélas, mais surtout sur ce terrain des choses de Dieu.
Il faut qu’il soit bien entendu, que tout le monde s’unisse pour le dire, que DIEU AIDE CEUX QUI L’AIMENT ET QUI LE SERVENT DE TOUT LEUR CŒUR, mais que ceci est la conséquence d’un service fait à Dieu en vue de lui plaire, mais qu’il faut commencer par le commencement et DÉLAISSER LE PÉCHÉ; ceux-là réaliseront à la lettre cette parole toujours vraie: «Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et le reste vous sera donné par-dessus.»
Nous ne voulons pas dire par là que nous voulons attendre que les gens aient cru en Dieu pour les aider, mais nous voulons absolument déraciner cette idée néfaste qu’ils ne doivent pas «se mettre de la société», pour employer l’expression consacrée par eux, ou s'approcher du banc des pénitents avec l’espérance d'être soutenus matériellement:
que s’ils le font, ce doit être par conviction, parce qu’ils désirent obtenir le pardon de Dieu et être délivrés du mal, et pas du tout en vue d’une aide à recevoir.
Nous aiderons, dans la mesure du possible, qui que ce soit.
Béni soit Dieu de ce qu’on trouve des gens qui préféreraient mourir de faim que de faire semblant de croire à ce qu’ils ne croient pas ou de participer en vue d’un bénéfice à un acte religieux qui n’est pas en accord avec leurs idées.
Honneur à ces incrédules là!
Je les salue parce que je les respecte, même s’ils disent des choses qui me torturent l’âme, rendant Dieu responsable des fautes des «soi-disant chrétiens».
Ces incrédules-là sont plus près du royaume de Dieu que les hypocrites.
C’est donc à vous que je parle, chers amis, à vous qui, par ces refus, montrez que vous respectez votre conscience. Est-ce que vous ne sentez pas que vous n'êtes pas logiques jusqu’au bout et que vous souillez, d’autre part, cette conscience dont vous avez le culte dans un certain sens?
Elle se révolte à un acte de déloyauté: bien, mon frère, bravo! Mais alors le péché, le vice, les mauvaises passions ne vous déshonorent elles pas aussi au même degré?
Refusez donc énergiquement de rien avoir à faire avec eux.
Que diriez-vous d’une personne qui, prenant toutes les précautions pour ne pas tacher un vêtement, dirait: «Je ne veux pas de taches de graisse, mais toutes les autres me sont égales». Vous diriez que ce raisonnement est absurde. Tache pour tache, si différente qu’en soit la nature le vêtement est souillé quand même. C’est exactement la même chose avec notre âme. Apportez le même soin à ne la ternir, d’aucune manière.
Si vous voulez seulement faire usage de ce sentiment de loyauté fière, de droiture, se refusant aux compromis, et examiner en ce moment votre âme avec cette honnêteté qui vous a poussé à refuser toute capitulation de conscience, si vous voulez consentir à regarder quelques minutes, en homme sage et loyal, dans votre être intérieur, vous arriverez à cette conclusion qu’il y a bien des choses à réformer en vous.
Vous qui auriez honte d’être hypocrite, pourquoi êtes-vous impur, colère, orgueilleux, intempérant? que sais-je encore!
La volonté de Dieu à votre égard, c’est que vous soyez débarrassé de toutes ces chaînes, libéré de toute passion. Vous devez avoir affaire personnellement avec Dieu. IL EST TOUT PUISSANT POUR VOUS AFFRANCHIR DE TOUT ESCLAVAGE.
Vous dites que vous ne connaissez pas un tel Dieu.
Vous avez bien entendu parler d’un Dieu, créateur du monde, vivant loin dans son ciel, d’un Dieu auquel on rendait un culte extérieur, en l’honneur duquel on assistait à certaines cérémonies; et que du reste les gens religieux que vous avez connus n’étaient pas meilleurs que les autres. Ici encore je suis d’accord avec vous. Je sais trop que les inconséquences des chrétiens ont tué la foi et ont fait des incrédules, et c’est pour cela que je voudrais vous prier de réfléchir un instant et de NE PAS RENDRE DIEU RESPONSABLE DES FAUTES DES HOMMES.
Supposez que l’on vous offre un verre de vin qui n’a rien de commun que le nom avec le jus de raisin et qui n’est que du bois de campêche ou autre drogue, vous n’en conclurez pas qu’il n’y a pas de bon vin en France. Vous savez démasquer l’erreur.
Pourquoi n’agiriez-vous pas de même ici sur la question qui nous occupe?
Mais j’entends votre objection:
«De ceci, dites-vous, j’ai fait l’expérience, j’ai eu des preuves, donc je puis avoir une certitude».
Bien, je suis encore d’accord avec vous. Nous avons, nous aussi, fait l’expérience que Dieu est tout-puissant pour transformer un cœur et le purifier entièrement et qu’il répond toujours à toute prière sincère. Or, c'est parce que je sais que vous n’aurez d’absolue certitude que lorsque vous serez arrivé vous-même à cette conclusion que je vous convie à venir à la Source personnellement, à METTRE DIEU À L’ÉPREUVE, à lui adresser, après bien des incrédules qui l’ont faite avant vous, cette prière:
«Si tu existes, révèle-Toi à moi.
Si tu peux détruire le mal dans mon cœur, fais-le.
Je viens à Toi pour cela»,
Si vous le faites de tout votre cœur, loyalement, soyez assuré de la réponse et de la victoire. LA RECETTE EST INFAILLIBLE.
* * *
N’est-ce pas abuser des dons de Dieu
que de les laisser oisifs et inutiles au fond de soi?
Maurice de Guérin.
En avant 1910 08 06
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