IL AIMAIT SA MAMAN
Il n’était qu’un petit vendeur de journaux, ses habits étaient en haillons et ses souliers en lambeaux. Il se croyait cependant un des plus heureux du monde, car n’avait-il pas la meilleure mère du monde?
Jamais, pensait-il, on n’en aurait trouvé une telle que la sienne! La mère et son fils vivaient ensemble dans leur mansarde et ils étaient tout l’un pour l’autre. Jacques parlait souvent du jour où il serait un homme et des choses merveilleuses qu’il ferait, et assise dans le fauteuil boiteux, elle l’écoutait avec un sourire sur les lèvres et une douleur intense dans le cœur: car elle savait ce qu’il ne savait pas.
Mais il le sut, lui aussi, un jour, un jour terrible. Quand il mit les bras autour de son cou et baisa ses lèvres pâlies, Jacques comprit que personne désormais n’occuperait jamais cette magnifique maison qu’il voulait gagner pour sa mère, personne ne mettrait les robes de soie et de dentelles qu’il avait rêvées pour elle, et oh! le pire de tout, il n’y aurait plus personne maintenant pour l’aimer si tendrement et pour le bénir! Elle était morte.
Elle fut ensevelie et Jacques fut laissé seul. Aussi souvent que possible, il allait lui faire visite au cimetière et s’asseoir près de sa tombe. Ce n’était alors plus si solitaire, pensait-il, ni pour elle, ni pour lui.
Un jour, il remarqua qu’on avait placé une pierre sur une tombe, tout près, et avant de quitter le champ du repos, ce soir-là, il avait décidé, lui aussi, d’élever une pierre à la mémoire de sa Maman. C’était une tâche difficile, mais, vous savez, l’amour est si fort! Il était allé chez un marbrier où il trouva que les moindres colonnes coûtaient trop cher pour sa pauvre petite bourse.
Enfin, pour quelques sous, on lui laissa emporter un petit bloc de marbre brisé. Il emprunta une charrette et transporta lui-même, avec beaucoup de peine, son acquisition jusqu’au cimetière.
On lui prêta aussi un vieux ciseau qui lui servît à faire des lettres. Il fut longtemps à ce travail difficile. Que de soirées il passa à sa tâche! Un jour enfin, le pauvre petit se releva. Son inscription était presque finie. Il recula pour mieux la voir et admira les lettres dans la pierre:
À Ma MAMAN
ElLE e MoRtE LA semAlNe DeRNièRe.
Elle EtaiT ToU ce Que JAvaiS
Elle A diT QeL aTTendRet quE...
Les lignes n’était pas très droites, mais Jacques pensait que les majuscules y mettaient de l’ordre. «Je viendrai le finir demain», pensa-t-il.
Mais quand Jacques revint au cimetière, il était tout pâle, raide et glacé comme la mort qui l’avait emmené et ses mains étaient croisées sur sa poitrine. Il y avait, ce jour-là une petite fosse à côté de celle de sa mère et ceux qui savaient l’histoire du petit orphelin l’entouraient.
Ils racontèrent au fossoyeur, qui avait observé les fréquentes visites de Jacques, que le pauvre enfant avait été la victime d’un accident.
Comme il avait fini de vendre ses journaux, il se dirigeait vers le cimetière et quand le tram le renversa, il avait un ciseau de tailleur de pierre à la main. Il était mort avec ces mots: «Je n’avais pas fini, quel dommage! mais elle comprendra bien que ce n’est pas ma faute!»
Séance tenante, les hommes, le regard humide, firent une collecte et, quelques jours après, sur cette petite tombe s’élevait une colonne de marbre blanc, avec cette inscription en lettres dorées:
JACQUES
IL AIMAIT SA MAMAN
En avant 1904 08 06
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