ÉTUDE SOCIALE CHAMBRES DE DOMESTIQUES, CUISINES
ET
LOGES
DE CONCIERGES
Par les Drs Henry Thierry et Lucien Graux
Mais on n’en est pas encore là dans les maisons particulières. On sait avec quelle facilité se propage la scarlatine, dont les squames pulvérulentes peuvent voltiger ou s’attacher aux objets, transporter le germe à distance.
Les médecins connaissent les cas avérés de contamination par des lettres venant de province, et apportant, par exemple, la maladie de Bretagne à Paris, d’une famille à une autre pendant le cours de la convalescence, généralement longue, à un moment éloigné de la période aiguë, parfois quand les gens se croient guéris.
Les paquets de correspondances des locataires, que les facteurs déposent, à plusieurs reprises de la journée, dans la loge, y sont manipulés par les concierges et leur famille. Ce sont des véhicules tout désignés. Que d'autres moyens de contamination offre la loge, à chambre unique, en général, pour la maison!
Les locataires sont obligés parfois d'entrer pour un renseignement, et les bonnes y font des séjours et des conversations, dont l'obligation ne se fait peut-être pas sentir, mais n’en sont pas moins recherchées de part et d'autre!
Et les concierges tuberculeux, qui souillent non seulement la loge, mais ses abords, porche, porte, couloirs, passages, etc., où le balayage se fait, bien entendu, à sec, soulevant les poussières et les bacilles.
Chaque médecin pourrait en fournir des exemples. Si le concierge a des enfants, il est difficile que ceux ci échappent aux épidémies du jeune âge; ils favorisent alors la création d'un foyer dans la maison.
D’autre part, l'installation des concierges n’est pas propice au développement de la famille. Cela faisait dire à M. Tougouze, qui s'est mis à la tête d’une œuvre ayant pour but l’assistance aux enfants de concierges parisiens, dans une maison maternelle de Clamart:
«Les propriétaires qui ne veulent pas être considérés comme des bourreaux d’enfants, ont pris pour principe de n’accepter comme concierges que des ménages sans enfants.»
Il en est de même dans les autres grandes villes; M. Lortet insistait sur ce point dans une communication assez récente à Lyon.
«Les concierges, dans la plupart des maisons de notre ville, disait-il, sont logés d’une façon vraiment inhumaine et cruelle. Presque partout, les loges manquent d’une aération convenable. Un grand nombre sont plongées toute l’année dans une obscurité complète, et dans ces niches horribles, où l’on ne saurait faire vivre aucun animal domestique, s’entassent des familles, souvent nombreuses, vivant dans la nuit, se nourrissant mal, respirant un air vicié, se couchant sur des monceaux de loques malpropres.»
Dans sa thèse, M. Rouyer cite des observations qui établissent que les loges de Lyon sont aussi malsaines que celles de Paris. Sur 530 loges examinées par M. Rouyer, il n’y en a que 130 qu’il se croit en devoir de considérer comme ne se trouvant pas dans les conditions de nature à porter atteinte à la vie ou à la santé de leurs habitants.
M. Lortet a remarqué que sur 300 loges de Lyon, il y en avait 23 habitées même pendant la nuit et construites dans des cours étroites et sombres sur l’ouverture même des fosses d’aisances.
Lorsqu'on enlève les matières fécales, la famille doit déménager. La plupart du temps, la dalle arrondie, formant le bouchon, ferme mal l’orifice, et par les joints, souvent largement ouverts, les gaz méphitiques viennent, nuit et jour, la nuit surtout, empoisonner de malheureuses familles, les anémier, les labourer à fond pour l'ensemencement de la tuberculose.»
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La tuberculose est, en effet, encore la grande maladie que nous retrouvons parmi les concierges. Sur un total de 21.211 décès, à Paris, en 1901 et 1902, par tuberculose, on compte 263 concierges. Mais, dans ces chiffres, ne sont pas compris leurs enfants. Ici encore ces chiffres ne correspondent pas à la réalité, car les malades sont souvent envoyés à la campagne, où ils décèdent. Il est, en effet, des plus fréquents de trouver des traces bacillaires dans ces ménages de concierges.
Un grand nombre d’enfants meurent de méningite.
Rouyer cite, dans sa thèse, un certain nombre d’observations caractéristiques analogues à celle-ci: dans un cas, la famille comptait trois enfants: l’un est mort à six ans, de méningite; un autre, âgé de dix-huit ans, à dû être envoyé au sanatorium d’Hauteville pour une double lésion pulmonaire; un troisième, âgé de dix ans, est un enfant malingre, pâle et chétif, qui tousse constamment.
La tuberculose s’explique aisément chez eux par le manque d’aération, de lumière de la loge et le surpeuplement de celle-ci. Les rhumatismes, et par conséquent les lésions cardiaques, peuvent aussi souvent être attribuées aux locaux malsains.
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Le règlement sanitaire actuel de la ville de Paris apporte des améliorations sérieuses à l’état de choses inadmissible dont nous nous plaignons. Il a dû cependant tenir compte des contingences, et les obligations qu’il impose serviront de transition entre ce qui est et ce que, dans l’avenir, on pourra réclamer, quand la manière de construire sera suffisamment éduquée.
En avant 1910 07 23
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