Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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LETTRE OUVERTE À TOUS NOS CONCITOYENS

UN APPEL A LA GRÈVE GÉNÉRALE


Il est certaines heures dans la vie où l’on passe par une crise spéciale, moment tragique ou de la promptitude du remède apporté dépend le salut du malade. Le mal n’est pas toujours physique, parfois il est plus profond, plus délicat et ne doit se traiter qu’avec ménagement en raison même de sa gravité.

Son traitement du reste doit se faire avec discrétion, les voisins n’ayant pas besoin de connaître le mal dont nous souffrons. Causons donc en famille, entre nous, si vous le voulez bien. Fermons les portes aux oreilles indiscrètes ou malveillantes et tâchons de tirer ensemble le meilleur parti de la situation.

Ceci dit, je crois qu’il est de toute nécessité de faire immédiatement une déclaration de grève générale.



* * *


Une grève générale! dites-vous. Il ne manquait plus que cela! N’avons-nous pas assez de perturbations tous ces temps? Nous soupirons après le calme. Du reste, grève de quoi? grève de qui?

Nous y voici, nous demandons:

1) Que tous les honnêtes gens, à quelque parti qu’ils appartiennent, fassent grève de faiblesse et de complaisance envers le mal et tous ceux qui le pratiquent, et que, de même que ceux-ci ont l’audace d’étaler chaque jour leurs turpitudes sous nos yeux, souillant tous ceux qu’ils approchent, nous ayons, nous, le courage de protester, plus que cela, de nous révolter et de faire à tout jamais grève de silence coupable et d’inaction, qui équivaut en l’espèce à une trahison.

2) Nous demandons que tous les producteurs d’infâme littérature ou d’art ignoble soient forcés de faire grève; Que tous les vendeurs de ces productions malsaines qui n’ont rien d’artistique, refusent de vendre ces ordures. Que surtout les acheteurs fassent grève que, d’un bout à l’autre de ce pays, tous les honnêtes gens qui, comme nous, sont dégoûtés devoir s’étaler partout ces horreurs et en souffrent plus qu’on ne peut dire, se soulèvent tous d’un commun accord et affirment hautement, non seulement par des paroles, mais par des actes qu’ils ne veulent plus qu’on traîne plus longtemps la réputation de la France dans la boue, qu’on fasse à notre Capitale un renom de corruption et d’immoralité, et qu’ils sont décidés à prendre les choses en mains et à envoyer à l’égout toute chose mauvaise de cette nature qui leur tombera sous les yeux. Il y va de l’avenir de notre race, de notre pays, et une action prompte continue, et des plus énergiques, s’impose d’urgence.

3) Trêve à la politique des bras croisés et à la coalition du silence. Tous debout pour l’action virile! J’entends bien l’objection: Ces articles, dites-vous, sont articles d’exportation; ils sont destinés aux étrangers qui en sont friands et ce n’est que le surplus qui se vend chez nous et ne trouvant pas d’écoulement séjourne plus ou moins longtemps aux devantures des libraires et des kiosques. Le même fait se vérifie du reste pour la clientèle des mauvais lieux de plaisir dont les 9/10 sont des étrangers de haut vol de passage ici pour s’amuser.

Admettons pour un instant ce raisonnement. L’injure n’en est que plus sanglante et la nécessité s’impose doublement d’une intervention absolument radicale de tous les honnêtes gens.

Suppléons à l’insuffisance des mesures législatives ou de police: unissons-nous plus étroitement que jamais pour balayer l’ennemi commun et le mettre dehors, coûte que coûte.

Qu’il soit bien entendu que nous voulons à tout prix que cet état de choses cesse et que ces infamies disparaisssent de nos murs et de nos vitrines. Car, enfin, il faut se rendre à l’évidence. Il n’est pas une honnête femme qui puisse aujourd’hui sortir sans rencontrer à chaque pas quelque dessin qui blesse ses regards, porte atteinte à ce qu’elle a de plus sacré, et sans que force lui soit de fermer les yeux.

Ce n’est pas une fois, mais à tout instant, que le fait se renouvelle.

Qu’en sera-t-il alors des enfants?

Pitié pour ceux qui ne peuvent se défendre eux-mêmes! Ils aiment les couleurs vives, sont attirés par tout ce qui est voyant, et ainsi se verse dans leur cœur, s’imprime dans leur cerveau tel soutenir demeuré ineffaçable, telle image qui souillera peut-être à tout jamais leur esprit.

A tous les coins de rue, en sortant de l’école ou en faisant des commissions, il peut à loisir les contempler à la devanture des kiosques. Que dis-je? pour 0 fr. 10 (en 1910) il en achètera au premier camelot venu six exemplaires, tous différents, dit celui-ci d’une voix graveleuse.

Quel est l’enfant qui, ignorant la portée de son acte, n’achètera pas, pour deux sous, tant de journaux d’images! Est ce que cela ne fait pas bondir d’indignation?

Oh! ces pièges de la rue, qu’ils sont nombreux et divers!

Que de choses vues et entendues qui peuvent ternir à jamais une imagination!

On ne finirait pas de tout citer, mais il appartient aux parents, aux éducateurs, à tous les gens de cœur d’envisager résolument le danger, de faire face à l’ennemi et de le combattre.


Il faut, à tout prix, préserver l’enfance et préparer une génération pure à notre pays.

Nous croiserons-nous les bras en face de pareilles infamies? Non, mille fois non, il faut à tout prix agir, et agir vite. À côté des sociétés qui se sont organisées pour la lutte, et dont nous aimons à signaler les persévérants efforts, couronnés du reste de beaux succès dans diverses villes de notre pays, il y a place pour une action précise, systématique, voulue, de chaque individu, partout où le mal s’étale. Or, tous sont d’accord pour déplorer le débordement licencieux des horribles feuilles illustrées dont on nous inonde de toutes parts.

Des protestations indignées se sont élevées.

Révoltés dans leur conscience, des hommes de cœur ont cherché les moyens de remédier à cet état de choses si lamentable, qu’il est devenu l’un des plus grands dangers de l’heure présente.

Les uns pensent que c’est l’affaire de la police, des législateurs;

d'autres, que c’est purement une question d’éducation, et que c’est en semant dans les cœurs et dans les esprits des goûts et des désirs purs qu’on arrivera à détruire le mal;

d’autres encore, et chaque jour béni soit Dieu, leur nombre augmente, ont entrepris la lutte directe.

Nous croyons que les deux actions sont nécessaires; mais, nous n’étonnerons personne en disant que nous appuyons de toute la force de notre être les deux dernières déclarations; mais le tout, c’est d’y arriver.

Or, si nous élevons d’un côté, et si l’on détruit de l’autre, où est l’avantage?

Comment ne pas voir qu’il ne suffit pas de préserver l’enfant à l’école et dans la famille, de s’efforcer de semer en lui, justement ces désirs, ces pensées et ces joies pures, si nous ne pouvons rien contre la rue.

L’influence du milieu n’est discutée par personne, et nous ne pouvons pas, hélas! fermer les yeux et les oreilles de nos enfants quand ils circulent dans les rues. Mais l’initiative individuelle peut et doit faire quelque chose.

Je ne reviendrai pas aujourd’hui sur la nécessité dont j'ai parlé, nécessité qui s’impose à tous, d’intervenir quand ils voient des enfants victimes de ce qu’on leur offre. Je voulais signaler à l’attention de chacun un autre moyen.

Pourquoi ne créerait-on pas un courant contraire à celui qui circule actuellement?

Vous qui avez du talent, n'avilissez pas vos crayons et vos pinceaux en les faisant servir à des besognes qui vous déshonorent. C’est à vous que je dédie ces belles paroles de Léonard de Vinci:

De notre cœur, de notre esprit, des âmes et des esprits doivent naître, pour la vie idéale de la beauté. Votre œuvre n’aura que la sensibilité de votre cœur, que l’étendue de votre propre cerveau.

L’artiste se reproduit dans ses ouvrages et comme un père donne une bonne ou une mauvaise constitution à son enfant, selon qu’il est sain ou malade, lui infligeant la conséquence de ses vices ou le faisant profiter de ses vertus, ainsi l’artiste donne sa moralité ou sa perversion à ses créations.

Puisque telle est votre noble mission:


vous êtes ouvriers d’une belle œuvre

ou meurtriers d’une génération!

C’est à vous qu’il appartient de créer ce courant contraire dont je parle. Inondez-vous de belles choses, de gravures pures, nobles, élevées. Vous créerez alors dans les cœurs et dans les esprits une atmosphère morale tout autre.

Ne me dites pas que les enfants (et le peuple qui est un grand enfant) aiment les choses criardes et grotesques, j’ai fait sur ce point des expériences très concluantes. L’enfant aime le beau si l’on s’applique à le lui donner et à le lui faire goûter.

Je sais bien qu’une tentative de ce genre a été faite, il y a douze ou quinze ans, par l’«Union pour l’Action morale». Elle a échoué, je ne me rappelle plus pour quelle cause. Si ma mémoire ne me trompe, je crois bien que les affiches, reproductions artistiques; apposées sur les murs de Paris, furent arrachées et que l’argent manqua pour recommencer.

Vous donc qui êtes riches, aidez ceux qui ont le talent et la bonne volonté et répandez à profusion dans nos villes et dans nos villages des gravures pures et simples. Vous ferez œuvre bonne et utile.

Je vous laisse le soin de trouver les détails de l’exécution, mais agissez, et agissez sans tarder:


LA FRANCE SE MEURT!


Et puisque nous célébrons aujourd’hui la Fête Nationale de notre pays, pourquoi ne lui ferions-nous pas un cadeau sous forme de résolution virile: l’engagement solennel, pris sous le regard de Dieu, de lutter en nous et autour de nous contre tout ce qui est impur, mauvais, souillé, sous quelque forme que ce soit?

Puisse-t-il se lever dans notre patrie une armée de volontaires, nobles et fiers, courageux et forts, qui sauront dire: Arrière de nous! à tous ceux qui tentent de le souiller, de l’abaisser, de l’avilir. Guerre, guerre sans merci! à tous ces empoisonneurs publics, à tous ces assassins moraux.


PITIÉ POUR NOS ENFANTS!


En avant 1910 07 16


 

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