Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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À PROPOS D’ELISA VANDAMME


Encore! diriez-vous peut-être en lisant ce titre. La question n’est plus à l’ordre du jour. C’est une affaire classée! Rassurez-vous, je n’ai l’intention de vous faire part d’aucun fait nouveau sensationnel relatif à cette pénible histoire.

Laissez-moi vous dire du reste que, par principe, je n’ai pas lu les détails macabres que les journaux ont cru bon de servir chaque jour à leurs lecteurs sur ce sujet. Je ne connais le fait que par les ouï-dire et par les titres que j’ai eus forcément sous les yeux ici et là.

Un détail pourtant m’est resté — je ne sais qui m’a fourni ce détail —, mais enfin il est acquis — c’est l’âge de la pauvre enfant —, car, hélas, c’était une enfant qui fut victime non seulement du misérable qui l’a assassinée, mais victime à bien d’autres égards encore! C’est sur ce point que j’aimerais attirer votre attention et vous faire part des quelques réflexions que ce simple détail m’a suggérées.

Elle avait seize ans, cette enfant! et j’avoue que lorsque j’ai su la chose mon cœur s’en est ému jusque dans ses profondeurs. Seize ans! Y avez-vous pensé? Pères et mères de famille qui avez peut-être une enfant du même âge, avez-vous réalisé ce que cela voulait dire?

J’ose croire que vous n’avez pas proféré à l’adresse de la pauvrette l’épithète de blâme ou de mépris que j’ai entendue autour de moi et qui m’a transpercé le cœur comme avec un fer rouge.

Mais votre pitié est-elle allée vers cette enfant?

Avez-vous réfléchi qu’en supposant qu’elle menait cette triste existence depuis deux ou trois ans, elle s’était engagée dans ce chemin douloureux à 13 ou 14 ans?

Rien que d’évoquer la chose, les sanglots m’en montent à la gorge.

13 ou 14 ans! Y avez-vous songé! A cet âge-là vous jouiez et moi aussi — votre poupée était encore votre trésor — vous alliez en classe encore, ou vous veniez peut-être de la quitter, mais votre bonne et tendre mère veillait sur vous avec sollicitude. Elle vous entourait de soins éclairés et prévoyants, écartant de votre sentier tout ce qui aurait pu ternir votre âme, souiller voire cœur, faire respirer à votre être moral une atmosphère — je ne dis pas empoisonnée —, mais seulement légèrement viciée.

Quand j’y pense, une pensée d’amour et de reconnaissance va plus puissante que jamais auparavant vers celle qui guida mon jeune cœur avec tant de sollicitude et d’intelligente prévoyance qu’aucun souffle délétère ne put parvenir jusqu’à moi!

Vous avez eu, vous aussi, une mère aimante et sage; mais vous êtes-vous demandé ce qui serait arrivé si ce n’eût pas été le cas et si personne n’eut préservé vos jeunes années et votre inexpérience d’enfant des pièges divers où d’autres sont tombées?

Où seriez-vous aujourd’hui?

Où serais-je aujourd’hui?

Voilà une question que je me suis posée au cours de cette douloureuse histoire et j’ai béni Dieu de m’avoir entourée de tant de soins affectueux et entendus au début de ma vie. Je ne croise jamais, d’ailleurs, une prostituée sur le boulevard, sans me livrer à des réflexions analogues. 


Ces femmes-là — mes sœurs — auraient eu, elles aussi, des aspirations pures et élevées, si elles eussent grandi dans un autre milieu, et reçu l’éducation et les bons conseils que nous avons eus.

Songez — je le répète — lectrices de ces lignes, à ce que nous serions nous-mêmes, si nous avions grandi auprès d’une mère ivrogne ou débauchée, conduisant peut-être elle-même son enfant dans le vice! Combien, du reste, parmi ces personnes, ont rêvé d’une vie honnête, d’un foyer béni et heureux, jusqu’au jour où elles ont croisé sur leur chemin celui qui a trompé leur naïve confiance, et les a ensuite délaissées, le cœur brisé, l’âme désemparée.

Fini à jamais leur rêve de bonheur, l’avenir riant qu'elles avaient entrevu!

Le désespoir les a saisies, elles ont essayé de se raccrocher aux branches: celles-ci ont cédé sous leur poids, et elles ont roulé au fond du ravin! Personne ne leur a tendu la main pour en sortir.

Que dis-je?

Les honnêtes gens les ont regardées avec mépris, et leur mépris les a enfoncées dans la boue!

Qui dira le nombre de celles que la misère — la misère pourvoyeuse de crimes — a jetées sur le pavé?

Combien seraient encore des femmes respectées et honorables, des mères de famille laborieuses, sans les salaires de famine qui ne leur laissaient que le choix entre la mort ou la honte?

Combien même, parmi celles qui dans une heure d’affolement, dans un moment de crise, tenaillées par la faim, ont eu recours — accidentellement, pensaient-elles — à ce moyen qui leur répugnait — ont été saisies par l’infâme système de la réglementation dont nous jouissons dans notre beau pays de France et, prises dans l’engrenage, ont été contraintes, malgré elles, de faire de ce qu’elles considéraient comme un expédient d’un jour, un moyen de gagner leur vie?

À qui la faute?

Je vous prie. À qui la faute si une enfant, à un âge aussi tendre que celle dont nous nous occupons, peut s’engager sur un pareil chemin, sans que personne intervienne pour la protéger, pour l’empêcher de s’enliser à tout jamais dans la boue?

Pourquoi, oh! pourquoi faut-il que la pauvrette n’ait trouvé sur son chemin aucune âme compatissante, aucun cœur de mère, ou simplement de sœur aînée, pour lui tendre une main de sympathie et de réconfort, pour lui témoigner un amour vrai et assez profond pour ne pas se laisser rebuter par l’insuccès possible du début.

Qui dira la responsabilité individuelle et collective que nous avons tous les uns et les autres à des degrés divers dans des faits de ce genre! Ah! je sais ce qu’on pourra alléguer. Certaines ne veulent pas être aidées, elles aiment ce genre d’existence. Ne serait-ce qu’on s’est occupé trop tard de leur tendre une main secourable et ce que vous avez essayé de faire aujourd’hui d’autres auraient dû le faire il y a dix ans ou plus.

Un cas de ce genre me revient à la mémoire tandis que j’écris ces lignes. Il semblait désespérant. Un jour cette personne m’apprit la mort de son père et tandis que j’essayais de lui témoigner de la sympathie, elle m’arrêta net. Jamais je n’oublierai l’expression de haine que sa figure avait revêtue: — «Mon père! me dit-elle, je le hais! C’est lui qui est la cause de mon malheur. Si je suis ce que je suis, c’est lui qui en est l'auteur.»

Et les sanglots étouffaient sa voix.

Dans ce cœur qu’on eût cru fermé à tout bon sentiment, le souvenir du passé, de sa jeunesse perdue, de sa pureté disparue du fait de celui qui aurait dû être son protecteur, tout cela se faisait jour en un flot d’amertume, mais d’amertume qui était l’indice certain que cette femme — aujourd’hui considérée comme «aimant cette vie» — souffrait d’y avoir été jetée malgré elle.

Et voilà pourquoi en pensant à elles, en pensant à Élisa Vandamme, et à tant d’autres, mon cœur saigne, mon âme se remplit d’une intense pitié et un ardent désir s’empare de moi de crier à tous les honnêtes gens:

«Voulez-vous songer à la question et faire votre devoir vis-à-vis de vos «sœurs» et spécialement vis-à-vis de ces enfants sans protection et être pour elles le cœur de mère qui les arrachera à cette vie sur laquelle elles viennent de poser le pied?»

Les annales de nos Maisons de Relèvement sont là pour prouver ce que l’on peut faire par la grâce de Dieu dans les cœurs de tant de jeunes filles qui ont glissé sur le chemin de la vie et qui reprennent dans nos institutions non seulement goût à l’existence, mais deviennent des femmes aussi pures et aussi honnêtes que n’importe laquelle qui n’a heureusement jamais fait connaissance avec cet état de choses.

Chrétiens, qui lisez ces lignes, voulez-vous être pour celles que Dieu placera sur votre chemin, l’âme sœur qui sympathisera avec leur souffrance et les conduira à Christ, mort pour elles comme pour vous, capable de les régénérer aujourd’hui comme il y a vingt siècles, et faire de chacune d’elles un joyau!

Jeunes filles sauvées, Soldats salutistes, une belle tâche s’offre à vous dans l’Armée du Salut pour conduire à Jésus vos sœurs égarées; pesez la question sous son regard, et obéissez à l’impulsion de Son Esprit.

En avant 1910 07 02



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