Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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ÉTUDE SOCIALE CHAMBRES DE DOMESTIQUES, 

CUISINES ET LOGES DE CONCIERGES


Par les Drs Henry Thierry et Lucien Graux (1)

(1) Extraits d’un article paru dans Tuberculosis (mai et juin 1909), d’après une étude présentée à la Société d’Art populaire et d’Hygiène en 1905.


L'une des caractéristiques les plus nettes de l’époque actuelle réside dans le développement prodigieux des cités aux dépens des campagnes, dans l’abandon progressif des bourgs pour les grands centres: les villes tentaculaires attirent peu à peu les travailleurs d’un sol où le labour paraît trop rude et le salaire insuffisant.

Les paysans, les ouvriers, pensent trouver la vie plus aisée, sinon la fortune, dans ces endroits de travail et de luxe, où les attendent presque toujours la désillusion, le découragement, la misère et la maladie.

En 1832, on comptait 32.000 personnes qui, chaque année, accouraient à Paris augmenter l’armée des sans-travail et des miséreux.

Aujourd’hui, c’est près de 300.000 individus que la capitale reçoit annuellement des départements!

Les familles riches ne peuvent végéter loin de ces centres où il semble que se trouvent réunis les seuls plaisirs possibles. Les grandes villes augment sans cesse de l'exode rural, et, tandis que les campagnes se dépeuplent, que les châteaux anciens sont abandonnés en dehors des mois de belle saison, chaque jour des immeubles nouveaux se construisent dans la cité, les terrains, recherchés avec âpreté, deviennent de plus en plus chers, et pour retrouver l'intérêt des capitaux engagés, les propriétaires sont amenés à faire construire des habitations de plus en plus hautes sur des rues étroites, à rétrécir les cours intérieures, à mesurer, en un mot, le soleil et la lumière à leurs locataires.

La valeur moyenne d’une maison de Paris, sol compris, n’est-elle pas à l'heure présente de 500.000 francs (en 1910) dans les quartiers riches? Et ces prix sont dépassés à New York.

Les maisons ont pris des proportions colossales en Amérique: on sait que certaines d'entre elles atteignent 20 et même 25 étages. Mais ce sont des maisons d’affaires L’Américain a pour principe de séparer absolument son home de l’établissement son business. Il habite généralement de petites maisons éloignées du centre d’activité commerciale.

À Paris, si des règlements précis ont déterminé la hauteur des maisons, on n’a pas tenu suffisamment compte de la largeur des rues. L’habitation moderne, avec ses étages multiples, ses courettes étroites, contient une double population: les locataires, leurs domestiques et les concierges.


Les domestiques et les concierges vivent d'une façon continue dans les locaux parfois insalubres, souvent trop étroits et mal aérés, toujours mal disposés. On peut certes affirmer que les architectes, et, encore moins les propriétaires, ne se sont pas préoccupés jusqu'à présent des chambres de bonnes, des cuisines et des loges de concierges.

Une description, même sommaire, de leur état actuel suffit, à coup sûr, à montrer la nécessité d'une réforme.

Les chambres de domestiques. — Le bien-être général a beaucoup augmenté au cours du siècle dernier; le besoin de paraître est le défaut de notre époque; chacun, de plus, veut éviter les labeurs trop pénibles et désire être servi.

La petite bourgeoisie, qui jadis se contentait de femmes de ménage, veut aujourd’hui des domestiques. Il a fallu comprendre des chambres spéciales pour eux dans les nouvelles maisons. Ce sont les «sixièmes». Si l’on songe qu’il y a à Paris plus de 80.000 maisons, comprenant plus de 900.000 logements, on peut se représenter le nombre de domestiques qui habitent dans cette ville.

Tout a été dit au point de vue de la moralité sur le «sixième étage» où le soir, de chaque appartement, remontent les bonnes, qui se trouvent jusqu’au lendemain matin à la merci du hasard et parfois de la promiscuité la plus dangereuse et la moins surveillée.

Dans son mémoire à la Société des habitations à bon marché. M. Béchaux insistait sur l’insécurité où sont les jeunes filles que les besoins ou les tristesses de l’existence ont condamnées au rôle de domestique. Souvent les clefs des chambres sont les mêmes et s'adaptent indifféremment à toutes les serrures.

«En visitant un vaste immeuble que je devais réparer, dit Georges Picot, j’ai remarqué que toutes les serrures des portes avaient été dévissées dans toutes les chambres habitées par les femmes et que les malheureuses étaient ainsi privées de toute défense.»

Les moralistes ont essayé de réformer une situation qui méritait leurs efforts. Mais ils ne sont arrivés à aucun résultat. Aussi bien nous ne nous plaçons aucunement au point de vue purement moral, nous bornant à signaler les faits précédents. C’est à l’intérêt même de ceux que nous voulons convaincre que nous faisons appel.

La question d’hygiène sociale que nous soulevons ici à ce caractère commun à tous les problèmes d'amélioration des classes, que leur solution — si on voulait la comprendre — au lieu de les séparer en collectivités distinctes, parfois ennemies, les rapprocherait davantage.

Architectes qui construisent, propriétaires qui veulent louer leurs appartements, locataires qui en cherchent, en un mot employeurs de domesticité, ont mal compris leur intérêt en ne se préoccupant pas assez jusqu’à ce jour des conditions de logement des auxiliaires de leur vie privée et intime.

Le travail n'est-il pas fonction de la santé?

Des bonnes, qui gèlent l’hiver dans leurs chambres mansardées et étouffent l’été sous les toits, descendent à la cuisine pour passer leur journée entre quatre murs resserrés. Elles peuvent à peine se retourner, incommodées en outre par la chaleur du poêle et celle du gaz qui, parfois, doit flamber tout le jour pour éclairer la pièce, — été comme hiver. L’air arrive par une fenêtre qui ouvre sur une courette étroite. L’horizon se limite à deux mètres sur un mur gris, malpropre, affreusement triste.

Le caractère et la santé des domestiques ne doivent-ils pas se ressentir d’une pareille existence?

Qui en supportera les plus immédiates conséquences?

Assurément ceux qui leur demanderont leurs service.


* * *


Il est intéressant, croyons-nous, de reproduire les curieux attendus suivants, pris tout récemment par le juge de paix du VIe arrondissement de Paris.


«Attendu qu’il est de notoriété qu’à Paris c’est au dernier étage où les jeunes filles de la campagne se couchent, qu’elles contractent parfois la tuberculose et les pires maladies;

«Attendu que ces malheureuses, amenées à se placer comme domestiques, sont excusables; que leurs compagnes, qui les poussent à l’inconduite, le sont également jusqu’à un certain point;

«Attendu que sont responsables moralement les maîtres qui abandonnent hors du domicile familial des jeunes filles sans défense, les propriétaires qui distribuent leurs immeubles sans souci de la morale uniquement par esprit de lucre;

«Attendu que si parfois les maladies contagieuses descendent de la mansarde, de ces taudis, où sont entassés les malheureuses par des propriétaires rapaces qui tirent un plus grand revenu des bouges que des immeubles bien tenus, et pénètrent dans l'appartement des maîtres, les propriétaires peuvent et doivent se dire que c’est souvent par suite de leur insouciance coupable et de leur égoïsme.»

(À suivre.)

En avant 1910 06 25



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