Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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TRIBUNE ANTI-ALCOOLIQUE

ÉMOUVANT APPEL


Nous reproduisons cet article de l’Étoile Bleue organe de la Ligne Nationale contre l’Alcoolisme, comme preuve vivante de la nécessité d’une action sans cesse renouvelée contre le fléau alcool qui menace chaque jour davantage de dévorer les forces vices de notre pays, fléau trop réel, malgré le silence intéressé des uns et la coupable indifférence des autres.

Nos lecteurs ne liront pas sans émotion la lettre suivante que nous recevons parmi bien d’autres aussi douloureuses, et que nous transcrivons sans y changer une ligne. Quel cri du cœur, et combien de tels appels font comprendre l’urgence de l’œuvre si nécessaire de la Ligue Nationale contre l'alcoolisme! et de tous ceux qui luttent contre l’alcoolisme.


Monsieur le Secrétaire Général,

Sur les conseils de Mme E..., collaboratrice du Petit Écho, je viens vous demander si vous pouvez faire établir dans notre ville une ligue antialcoolique.

Je suis persuadée qu’elle rendrait quelque service ici; la population se compose surtout d’ouvriers parcheminiers (fabriquants et vendeurs de parchemins) et mégissiers (tanneurs) qui boivent plus ou moins, mais surtout de l'absinthe.

Si je n’étais pas moi-même touchée, si je ne sentais pas petit à petit mon foyer s’en aller, je ne dirais rien, tant le fond de l’être humain est égoïste. Car je m’en rends bien compte, le malheur des autres me touche, mais faire un effort pour l’empêcher, cela m’est plus difficile: même aujourd’hui il a fallu quelque chose de très triste pour me décider, me forcer à agir, c’est-à-dire à demander votre aide.

Il y a un mois j’avais écrit à Mme E., parce que je ne pouvais plus endurer mon malheur, parce que j’étais sur le point de demander le divorce. J’ai lu ses articles sur l’alcoolisme, dans les numéros du Petit Écho, et je me suis rattachée à la faible espérance que là où mes conseils et mes supplications n’ont rien fait, peut-être vous réussirez.

J’ai un mari qui serait bon peut-être, mais la boisson le rend fou, et chaque jour il rentre ivre. Les premiers temps de notre mariage il buvait moins, mais aujourd’hui il n’est jamais deux jours sans s’enivrer.

J’ai deux enfants (six et deux ans), nous serions heureux; nous ne sommes point riches, mais mon mari gagne de l’argent qui ne nous sert point, hélas! Toujours au café, son métier le veut: boire et jouer aux cartes, voilà ses occupations. Je croyais qu’on n’avait point le droit de jouer de l’argent chez le débitant: comment se fait-il que dans une même soirée il perd 100 francs, 50 francs, 20 francs (en 1910)?

Je ne peux rien toute seule:n’y a-t-il point une loi, quelqu’un ou quelque chose qui nous puisse défendre notre pain?

Je sens bien que cela ne peut durer. Si je ne tenais pas les comptes et la maison, il y a déjà longtemps que la fin serait venue. Et puis ce n’est pas tout. Et les mauvais traitements qu’il me faut subir! Hier encore, je l’entendais qui battait son cheval depuis trois quarts d’heure. N’y tenant plus, je suis allée le supplier de finir, avec un voisin qui se trouvait au magasin: je n’avais pas dit deux paroles que j’ai reçu en pleine poitrine un coup de gros bâton qu’il avait en main.

Dernièrement nous étions après dîner; sans cause il jette toutes les assiettes, les plats, le pain par terre: un litre de blanc alla se casser sur l’armoire à glace, la lampe à pied s’étala sur le tapis, se brisant bien entendu, le pétrole prenait feu; le lit de ma petite fille était tout près, je n’ai eu que le temps de jeter les descentes de lit pour éviter un incendie et peut-être pire. C’est terrible, vous dis-je. Celui qui n’a pas assisté à ces sortes de furie, ne peut croire que quelqu’un d’intelligent, de bon, devient une brute par la boisson, car je m’empresse de vous dire que dans son état naturel, mon mari n’est pas plus mauvais qu’un autre.

Je l’ai vu pleurer comme un enfant le lendemain de ces scènes-là, demandant pardon et me jurant qu’il ne recommencerait plus. Mais hélas! je sais que la première enseigne de marchand de vin lui fait oublier ses serments et qu’il recommence.

Un jour il me tuera peut-être. Je reste quand même pour mes enfants. Je vous en prie, Monsieur, si vous pouvez quelque chose, faites-le, je vous remercierai de tout cœur, car je sais que c’est la dernière chose à tenter.

Recevez, Monsieur, mes salutations respectueuses.

L...

En avant 1910 06 11



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