Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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LA RELIGION DANS LA RUE


Lettre ouverte à tous les esprits libres et réfléchis

QUEL EST VOTRE AVIS SUR LA QUESTION?

A-t-on idée de cela? disait quelqu’un, la religion dans la rue! Et tout en prononçant ce bel argument qui lui semblait de première force, notre homme s’en allait content de lui. Sa réflexion lui avait été suggérée par la vue d'un groupe de salutistes vendant le journal En Avant et profitant de l’occasion pour annoncer à l’auditoire improvisé — très sympathique du reste — la glorieuse liberté qu’ils expérimentaient, l’affranchissement de leur conscience libérée du mal, la victoire sur eux-mêmes et sur tout péché.

«Eh quoi! dira peut-être quelque lecteur, n’êtes-vous pas de cet avis?

Il avait raison, cet homme! La religion? mais sa place est tout indiquée à l’église, au temple, dans un lieu de culte enfin, mais dans la rue!»

Patience, mon ami! Voulez-vous que nous examinions la chose d’un peu plus près et vous déciderez vous-même ensuite.

Permettez que je vous pose d’abord une question:

Que penseriez-vous de quelqu’un qui dirait: «Il y a là-bas une maison incendiée, transportons-la au poste de sapeurs pompiers voisin afin qu’ils éteignent le feu»?

Ou bien:

«Voilà un homme qui se noie, portons la rivière au poste de secours aux noyés pour qu'on essaye de sauver cet homme!»

Quel raisonnement absurde! dites-vous. Je ne suis pas assez insensé pour émettre une pareille opinion.

Non, pas dans ce domaine, je vous l’accorde. Votre logique est excellente, mais l’erreur que je signale plus haut, vous la commettez lorsque vous cantonnez la religion dans un lieu de culte et que vous croyez, de bonne foi, que hors de là elle n’a plus sa raison d’être.

Or, si vous pensez ainsi avec beaucoup d’autres gens chez qui ce préjugé est fortement enraciné, c’est que vous êtes totalement ignorant du véritable caractère de la religion. C’est pour vous un mot très vague qui désigne une chose qui ne l’est pas moins, un ensemble de pratiques extérieures, plus ou moins nombreuses, l'adhésion à certaines doctrines.

Pendant quelques heures par semaine, à un jour déterminé, vous accomplissez ce que vous appelez vos devoirs religieux, ou plutôt — vous accomplissiez — car il y a longtemps que vous avez délaissé ces pratiques surannées, bonnes pour les enfants. Si la religion était cela, vous auriez mille fois raison de penser que sa sphère d'action ne doit pas dépasser le lieu de culte ou s’assemblent ceux qui partagent cette manière de voir. Mais là est votre erreur.


La religion — pour employer le terme consacré — est beaucoup plus et beaucoup mieux que cela. Ceci est tout au plus une forme vide et morte, partant sans valeur. La religion, au contraire:

C’est une vie, la vie de Dieu dans l’individu une vie agissante, débordante, pénétrant non seulement l’être entier, corps, âme et esprit, et se manifestant dans tous les domaines de l’activité, mais encore SE RÉVÉLANT AU DEHORS PAR DES ACTIONS QUI REFLÈTENT DIEU.

Le mot lui-même le dit: Lien avec Dieu.

Or, Dieu étant par essence pur et bon, celui qui est uni à Lui, qui vit dans sa communion, qui participe de sa nature et aime les choses qu’il aime, celui-là, s’il est honnête dans sa profession de foi, celui-là doit être pur et bon.

Tout naturellement il le prouvera dans chacun des moindres détails de sa vie de chaque jour, qu’il aille ou non dans un lieu de culte, même s’il n’y va jamais. Son culte, c’est sa vie, cette adoration en «esprit et en vérité», la seule que Dieu réclame!

Il prouvera son amour envers Dieu en délaissant le mal et en accomplissant le bien, en luttant chaque jour contre ses passions, en obéissant en tout et partout à sa conscience — la voix de Dieu en lui, — en marchant dans la Lumière, c’est-à-dire dans le bien, car «celui qui fait le mal hait la lumière parce que ses œuvres sont mauvaises».

Cela ne veut pas dire qu’un tel homme ne priera pas. Bien au contraire. Sa vie sera une prière continuelle, une communion constante avec l’invisible, où il reprendra forces, courage, vie nouvelle.

Chacune de ses actions sera un élan de cœur, une preuve d’amour.

Néanmoins, bien que sa communion avec Dieu soit ainsi permanente, il aura des moments spéciaux où, seul devant l’Éternel, il examinera son cœur, fera le bilan de son être moral, lui exposera ses besoins, et, plus fort par cette communion personnelle avec la Source de tout bien, il se jettera de nouveau dans la mêlée de la vie pour y apporter, lui aussi, son élément de pureté, de paix, de joie.

Il pourra également communier avec ses frères dans la foi, échanger avec eux ses expériences, profiter des leurs, assiéger ensemble le Trône de grâces, mais TOUT CELA NE LE DISPENSE NULLEMENT DE LA SECONDE PARTIE DE SA MISSION: voler au secours de ses frères, les arracher aux abîmes de misère et de honte, du désespoir, des souillures de toute nature dans lesquelles ils se débattent.

SAVOIR qu’il y a autour de soi des débauchés, des ivrognes, des gens de mauvaise vie, des menteurs ou des orgueilleux, esclaves de leurs passions, et savoir qu’il y a un remède pour eux dont on est dépositaire SANS LE LEUR APPORTER, c’est être criminel!

Et voilà pourquoi je dis que la religion a sa place dans la rue. Je ne veux pas dire par là qu'on doit y pratiquer une cérémonie quelconque: absolument pas; mais qu’on doit aller au secours de ceux qui périssent et les arracher au danger, leur porter le remède s’ils ne viennent pas le chercher.

Si un homme périt dans les flammes ou sombre dans les flots et que vous ne lassiez pas votre possible pour le sauver, vous vous sentez criminel.

Si votre voisin meurt dans sa chambre et que vous ayez sur votre table le remède qui pourrait le guérir, votre conscience vous dit que vous êtes un monstre si vous n’agissez pas. Et votre conscience dit vrai.

Or, les gens meurent moralement chaque jour autour de vous. La science même l’atteste. Les hôpitaux et les asiles d’aliénés regorgent des victimes de l’alcoolisme; chaque jour les journaux relatent le suicide de quelque esclave de la passion qui y a perdu sa fortune, etc., etc.

Nous les coudoyons tous les jours dans la rue, dans les allées et venues, dans les omnibus, dans les trains, dans les visites et dès lors notre responsabilité est engagée. Voilà ce que j’appelle faire descendre la religion dans la rue et il n’est personne qui puisse me contredire loyalement si je dis que c’est là son domaine propre, puisque c’est au foyer de la contagion qu’il faut apporter la guérison.

Chaque jour, nous voyons le vice s’étaler honteusement dans la rue dans un motif d’intérêt.

LES ASSASSINS D’ÂMES FOISONNENT AUTOUR DE NOUS et nous aurions, après cela, le courage de nous taire?

Allons donc! Je ne veux pas croire qu’il est un chrétien qui puisse lire ces lignes et savoir quelque chose d’une religion personnelle, de la valeur d’une conscience affranchie du péché, et qui oserait dire que la religion entendue de cette manière n’a pas sa place dans la rue.

Je me refuse même à croire qu’un incrédule, homme de cœur, puisse le penser. Qu’on n’aille pas dire que ce n’est pas là de la religion! C’est justement de la religion. Car:


QUI AIME DIEU, AIME SON FRÈRE

ET LUI PROUVE.


Or, l’aimer, ce n’est pas seulement l’aider matériellement, s’il en a besoin — c’est encore et surtout le rendre grand, moralement parlant, lui faire partager la vie de l’esprit, la vie de l’âme, la vie d’un vainqueur sur le mal, d’un triomphateur de tout péché.

Puisse chaque lecteur chrétien qui n’a pas encore compris son devoir de cette manière, ou du moins n’a pas commencé à agir, dater de cette minute un nouveau point de départ dans son existence morale, et s’employer désormais, toujours et partout, au sauvetage de ceux qui périssent autour de lui.

Bon courage! Cette vie nouvelle vous réserve des joies et des bénédictions inespérées. Croyez-en mon expérience.

En avant 1910 05 28



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