LA RELIGION DE L’AMOUR OU CE QUE C’EST QUE L’ARMÉE DU SALUT
À l’heure où le Colonel Fornachon, Chef de l’Armée du Salut en France, va procéder à l’inauguration d’un nouveau poste de notre œuvre dans ce pays, il nous a paru intéressant et utile d’attirer l’attention du public sur la raison d’être et le véritable but que poursuit cette organisation.
Nous ne craignons pas la lumière, nous la réclamons, sachant que nous avons tout à gagner à ce que le grand public soit initié à ce que nous voulons et à ce que nous sommes.
Je me rappelle le temps où n’étant pas encore salutiste, je m’étais faite le champion de l’Armée du Salut dont la grandeur et la noblesse du but, des intentions et des moyens, s’étaient imposées à mon esprit et à mon cœur, et où j’avais compris que c’était un devoir élémentaire de répandre la lumière et la vérité si peu et si mal connue (du moins chez nous).
Un de mes arguments d’alors était celui-ci:
«Mes amis, renseignez-vous, étudiez l’Armée du Salut, prenez contact personnel avec les Salutistes, sondez leurs mobiles et leurs actions et vous arriverez à cette conclusion à laquelle je suis moi-même arrivée: que cette organisation est non seulement digne d’estime, même d’admiration, mais qu’elle mérite que vous vous employiez de toutes vos forces et de tout votre pouvoir à la défendre, parce que la connaître, c’est l’aimer et l'aimer assez pour savoir souffrir pour elle, s’il le faut.»
Ce que j'affirmais il y a quinze ans, je l’affirme aujourd’hui avec plus de force et de conviction encore et si je le fais, c’est parce que je parle à des Français et que j’ai conservé au fond de mon cœur, ardente et pure, cette conviction que, fidèles à leur passé, mes compatriotes sont capables de se donner pour une cause juste et bonne s’ils la connaissent.
Plus tard, je suis devenue Salutiste pour une raison fort simple:
J’avais donné ma vie pour l’édification d’une France grande et belle, moralement parlant, en me consacrant à l'éducation de la jeunesse que je désirais enflammer de cette ardeur qui brûlait dans mon cœur et jamais — pas pour des millions — je n’aurais abandonné cette œuvre sublime que je considérais, et considère encore, comme la vocation par excellence un ministère, un sacerdoce, un apostolat laïque, le seul digne de tenter un cœur ambitieux de grandeur morale pour sa patrie, jamais, dis-je, je n’aurais quitté cette sphère d’action qui faisait vibrer les fibres les plus sacrées de mon être, si l’Armée du Salut ne s’était placée sur mon chemin.
Après ma rencontre avec celle-ci, en effet, je me suis rendu compte que ses moyens d’action étaient des plus appropriés au but que je m'étais assigné, et qu’en prenant contact avec LA FOULE DES SOUFFRANTS, DES TRISTES, DES BLESSÉS MORAUX DE TOUS GENRES au milieu desquels l’Armée du Salut travaille, j’opérais simplement sur une plus grande échelle.
Certains crurent que je changeais d’idée.
Pas du tout, je l’accomplissais mieux, car, et c’est sur cela que j’aimerais attirer votre attention, L’Armée du Salut est une œuvre d’éducation sociale parce qu’elle est UNE ŒUVRE DE RELÈVEMENT MORAL ET D’ÉDUCATION DES CONSCIENCES et que, par suite, elle élève le niveau moral de la nation au sein de laquelle elle opère.
Voilà ce qu’il faut savoir et ne jamais oublier. Voilà ce que je voudrais crier à chaque Français. J’aimerais aller vers tout individu intelligent, vers tous ceux qui pensent, et le leur répéter encore et encore, jusqu’à ce que leur esprit et leur cœur en soient pénétrés.
Oh! ce travail de pionnier des esprits, de défrichement des intelligences, que j’aimerais avoir le temps de le faire plus et mieux!
Lecteur de ces lignes, il vous appartient de nous remplacer dans le milieu où vous pénétrez, mais, pour cela, soyez d’abord éclairé vous-même. Certes, le temps n’est plus des sottes calomnies du début. Certaines idées absurdes ont vécu et pourtant!... On est chaque jour plus étonné de la crédulité des gens, pourtant intelligents dans d’autres domaines, et de la ténacité de préjugés indignes d’un être qui peut penser et juger par lui-même.
Qu’est-ce donc que l’Armée du Salut?
Je connais une personne qui, lorsqu’on l’interroge sur ce que fait sa fille, Officière dans ce pays, répond: «Ma fille, elle se dévoue pour les autres!» Il y a du vrai dans cette réponse.
L’Armée du Salut est née, en effet, d’une pensée d’amour pour l'humanité souffrante, et chacune des branches de cette organisation qui couvre le monde, a pour base ce moteur puissant, l’amour, le dévouement à la cause des petits, des humbles, des malheureux de tous genres.
Nous ne faisons en cela qu’obéir à l'ordre de Dieu: «Tu aimeras ton prochain comme toi-même», et nous pensons du reste que celui qui dit aimer Dieu et n’aime pas son frère, est un menteur.
Mais, néanmoins, je tiens à ajouter qu’ils sont bien au-dessous de la vérité, ceux qui croient qualifier l’Armée du Salut, en voyant en elle une sorte d’œuvre de charité, de bienfaisance, et dans les Salutistes des braves gens au cœur compatissant, qui essayent de soulager les misères qui les entourent.
Présenter notre œuvre sous ce jour, c’est la présenter sous un jour faux, en ce sens que ce n’est qu’un côté tout à fait incomplet de notre action humanitaire et sociale.
Certes, nous ouvrons notre cœur tout grand à toute souffrance, et nous nous donnons sans compter pour la soulager, mais nous pensons que c’est insuffisant.
Nous n’obéissons pas seulement à une vague pitié en portant secours à tel ou tel: nous étudions la question, nous cherchons la cause du mal et nous nous efforçons de l’extirper.
On a dit et répété (mais, hélas! on ne saurait trop le faire), que:
SOUVENT LA MISÈRE MATÉRIELLE
EST LA CONSÉQUENCE DE LA MISÈRE MORALE.
Aussi lorsqu’un malheureux se présente à nous, nous allons évidemment au plus pressé, et nous lui donnons à manger s’il a faim, mais, immédiatement, notre pensée va plus loin, et nous voyons ce qu’il y a à faire pour que cet individu (homme ou femme) qui va sombrer dans l’océan de la vie, puisse reprendre pied et redevenir un être utile, au lieu de rester une épave de la société.
Nous étudions le cas, nous voyons s'il peut être dirigé sur une de nos Institutions sociales, où, par un changement de milieu et dans une atmosphère morale saine et pure, il recommencera la vie.
Il en est ainsi pour nos sœurs tombées, reçues dans nos Maisons de Relèvement, pour le criminel qui sort de prison, et auquel nos Asiles pour prisonniers libérés ouvrent leurs portes, pour l’alcoolique reçu dans des Institutions appropriées, etc., etc.
D’autres fois, c’est un travailleur honnête que la maladie ou le chômage a conduit à la misère. Grâce à nos Hôtelleries populaires, vrais foyers de l’ouvrier, il pourra reprendre courage et retrouver peu à peu le niveau perdu.
Ailleurs, c’est une jeune mère qui vient à nous, avec deux enfants en bas âge. C’est l’éternelle même histoire: un mari qui boit, qui joue et abandonne femme et enfants. Là encore, notre pensée va immédiatement plus loin, et après l’aide matérielle pour le moment présent, nous nous efforçons de supprimer la cause, nous tâchons de retrouver le mari, de lui parler, de l’amener à un retour sur lui-même et à un changement de vie. Nous visons donc la reconstitution de la famille et du foyer détruit.
On pourrait multiplier à l’infini les exemples.
Partout où nous trouvons un individu vicieux, bas tombé, esclave d’une passion quelconque, nous essayons d'en faire un être bon, pur, libre du mal.
D'un être inutile ou même nuisible pour la société nous visons à faire un citoyen honnête et utile et nous y réussissons très souvent.
Il faudrait être naturellement complètement ignorant des questions d’éducation pour ne pas se rendre compte que dans toute œuvre de ce genre il y a du déchet. On ne reconstruit pas une vie, un caractère, une mentalité, comme l’on ferait un objet quelconque.
Mais, béni soit Dieu, les exemples abondent de pauvres esclaves de la boisson, de la débauche, du jeu ou de quelque autre vice qui ont été rendus à leur famille absolument transformés. Voilà l'œuvre d’assainissement moral de l'individu et, par suite, de la famille, de la nation et de la société tout entière que poursuit l’Armée du Salut.
Elle est donc une œuvre patriotique au premier chef parce qu'elle est une œuvre de relèvement moral et social, une œuvre d’éducation de la conscience et que tout est là.
La valeur d’un peuple est en relation directe avec sa valeur morale et le plus grand du monde sera incontestablement celui qui aura le plus de citoyens honnêtes, purs, vrais, grands par le cœur et la noblesse des pensées.
Nous sommes donc bien loin, comme vous le voyez, d’une œuvre de charité au sens étroit du mot. Notre action — qui suppose celle-là du reste — est beaucoup plus large et plus profonde.
J’en viens, maintenant, à l’autre côté de la question:
L’Armée du Salut est-elle une œuvre religieuse?
Oui, je suis heureuse de répondre franchement, loyalement sur ce point. L’Armée du Salut est une œuvre profondément religieuse, mais elle n’est pas comme beaucoup le supposent une «nouvelle religion».
La religion de l’Armée du Salut est vieille de vingt siècles. Elle n’est qu’un retour aux sources. L’Armée du Salut est, en effet, une réunion volontaire d’individus qui croient en l’Évangile et qui, par dessus tout ce que les hommes ont ajouté à travers les siècles à la pensée de Jésus, à travers toutes les déviations qu’on lui a fait subir, qui la masquent ou la trahissent, veulent la réaliser dans leur vie, la traduire en actes.
LEUR CHRISTIANISME EST LE CHRISTIANISME PRIMITIF DES APÔTRES, la religion «en esprit et en vérité» dont parle Jésus.
Les Salutistes croient donc en Dieu, à Jésus-Christ comme Fils de Dieu et à l’action du Saint-Esprit dans les consciences.
Ils ont pris pour motto de leur conduite personnelle ces paroles de l’Écriture: «Soyez, saints comme je suis saint».
Leur religion est la religion du cœur pur, libre de tout péché, et celle de l’amour qui se donne pour autrui.
Ils croient que tout homme, si bas tombé soit-il, peut être régénéré par la puissance de Dieu, guéri de son vice quel qu’il soit, en un mot devenir un homme nouveau.
C’est cette TRANSFORMATION DU CŒUR que nous appelons la CONVERSION qu'il faut bien se garder de confondre avec un changement de religion.
La vie du Salutiste n’est pas une vie d’extase, de contemplation, d’égoïsme, mais une vie d’amour, de dévouement, d’activité, une vie où la prière a sa place, car la prière est la source et l’inspiration de leur vie, le moyen de communier avec Dieu, mais où l’action bonne est la conséquence de cette conversation avec l’Éternel.
Puiser son inspiration en Dieu,
et utiliser cette inspiration à Son service
et au service de nos frères,
voilà la pensée de Jésus.
Ce n’est pas s’isoler du monde égoïstement, pour faire son propre salut, mais se dépenser pour amener les autres à obéir à leur conscience et à devenir meilleurs, tout en se conservant pur soi-même.
Les Salutistes refusent de faire du christianisme une formule ou le mot d'ordre d'un parti. ILS PLACENT L’HOMME EN FACE DE DIEU ET DE SA CONSCIENCE et le convient à marcher dans le chemin royal d'une vie de liberté absolue, parce que de tout triomphe sur tout péché.
C’est le christianisme vécu avec ses fruits naturels de pureté, d'amour, de vérité, de justice. C’est dans ce sens que Jésus-Christ est la solution de la question sociale, parce que la question sociale est avant tout une question morale, un problème de rénovation intérieure, de transformation de la conscience.
Malheureusement, la grande majorité des gens sont dans l'ignorance ou — ce qui est plus grave — dans l’erreur quant à nos doctrines. Un exemple expliquera ma pensée:
Au début de ma carrière salutiste, j’étais alors cadette à l'École Militaire, je vendais l'En Avant sur l’avenue de Clichy. Un monsieur, à qui je l’offris, s’exclama bruyamment: «Ah! le bon Dieu! il n’en faut pas.»
Sachant très bien l’erreur qui couvrait cette réponse, j’insistai:
«Permettez, Monsieur, vous vous calomniez vous-même» et je précisai ma pensée en expliquant notre but (combien de gens, soit dit en passant, qui ignorent que nous nous battons pour une idée en vendant l'En Avant dans les rues et dans les cafés et que nous faisons, là encore, cette même œuvre d’éducation dont j’ai parlé tout à l’heure), les principes qui régissent notre œuvre sociale, etc., etc.
Au bout d'une demi-heure qui avait paru cinq minutes, mon interlocuteur s’écria:
— «Mais, Mademoiselle, pourquoi n’écrivez-vous pas cela sur tous les murs de Paris «Mais on n’ignore, on ignore, on ignore» et il ne pouvait s’en consoler.
— «N'avais-je pas raison de vous dire en commençant, Monsieur, que vous vous calomniez vous-même en disant que vous ne voulez pas de Dieu car, Dieu est à la base de notre activité, plus que cela Il en est la Source C’EST LA CONTREFAÇON DE DIEU QUE VOUS REJETEZ et je suis tout à fait de votre avis.
Vous avez mille fois raison de vous élever contre les abus dont vous parliez tout à l’heure et qui sont la caricature de l’esprit de Christ, mais nous avons encore bien plus raison de mettre à la base de notre organisation la pure sève de l’Évangile, cette doctrine de l’amour et de la pureté, cette religion qui consiste dans LA GUERRE AU MAL SOUS TOUTES SES FORMES en nous et autour de nous.
Nous croyons, par expérience, à la puissance du Christ dans les cœurs pour régénérer les plus souillés, qu’ils habitent dans le salon luxueux ou le taudis misérable.
Nous croyons que Jésus est puissance de vie et de résurrection pour tous, puisqu’il peut libérer du mal l’esclave le plus endurci et qu’il affranchit du péché quiconque vient à Lui d'un cœur sincère.
Nous croyons que la religion (pour employer ce terme consacré qui donne lieu à tant de malentendus) doit être expérimentale, c’est-à-dire qu’il ne suffit pas d’adhérer dans son esprit à certaines doctrines, mais qu'il faut les vivre selon la Parole du Maître Lui-même:
«Ce n'est pas quiconque me dit:
Seigneur, Seigneur, qui entrera dans le Royaume des cieux,
mais c’est celui qui fait la volonté de mon Père.»
Et que seuls les cœurs purifiés du péché entreront en la présence de Dieu ici-bas et après cette vie. C’est pourquoi nous avons déclaré la guerre au péché et c’est pourquoi nous avons créé des Institutions sociales par amour pour nos frères, mais par un amour complet et bien entendu, amour qui veut non seulement leur bien matériel, mais aussi leur bien intellectuel, moral, spirituel.
Il découle donc nettement de ce qui précède que si l’Armée du Salut est éminemment UNE OEUVRE SOCIALE au sens le plus élevé, le plus complet et le plus profond du mot, elle est en même temps et, au premier chef, UNE OEUVRE SPIRITUELLE et qu’elle ne puise du reste sa valeur sociale que dans ce grand principe spirituel qui en est la base, l’inspiration, la source, la sève.
* * *
Je ne puis conclure sans ajouter un mot à l'adresse de ceux qui ne réalisent pas l’expérience bénie de la délivrance du péché.
Venez à Christ!
Apportez-Lui votre cœur meurtri et souillé II le purifiera et le guérira et, à votre tour, vous pourrez vous élancer dans la guerre sainte contre le mal qui réclame tant d’ouvriers et où il y en a si peu.
* * *
Jeune homme ou jeune fille déjà sauvé, que fais-tu de ta vie?
Christ a besoin de toi! Le sais tu?
Qu’attends-tu donc pour t’enrôler à Son Service?
Je laisse la question sur ton cœur.
À bon entendeur, salut!
En avant 1910 05 28
Table des matières |