MÉDITATIONS SUR LA MORT ET L’ÉTERNITÉ
Par Edouard VII
Sous ce titre, Edouard VII avait écrit un livre, que M. Bernard Derosne avait été autorisé à traduire en français. De cette traduction, encore inédite, nous croyons intéressant d'extraire le chapitre, bien de circonstance à la disparition de l’auteur, et qui porte comme titre:
La crainte de la mort
Si nous autres mortels nous pouvions prévoir dès notre berceau tous les événements et toutes les souffrances qui nous attendent, beaucoup d’entre nous trembleraient plus a l’idée de la vie qu’à l’idée du dernier acte de la vie que nous appelons la mort.
La vie a souvent été représentée métaphoriquement comme un voyage commencé sans notre assentiment et terminé sans notre volonté.
Nous courons en avant avec une hâte inquiète. Nous avançons dans cette aube obscure du matin en sortant des profondeurs inconnues de la nuit et en nous précipitant vers une autre nuit.
DU COMMENCEMENT À LA FIN, C’EST L’ŒUVRE DE DIEU.
Qu'est-ce donc alors que nous appelons mourir?
S’éteindre comme une lumière et dans une douce extase, s’oublier soi-même et tous les phénomènes passés du jour, comme nous oublions les fantômes d'un rêve fugitif, pour former comme dans un rêve de nouveaux liens avec le monde de Dieu, entrer dans une sphère plus élevée et faire un pas que ne peut faire l'homme vers l'ascension graduée de la création.
Pourquoi, alors, craignons-nous la mort qui n’est qu’une transition certaine à un état meilleur?
Pourquoi, quand nous pensons à notre dissolution, chérissons-nous plus ardemment notre existence, quelle qu’elle soit, quoiqu’il y ait peu d'êtres parmi nous qui, s’ils avaient le choix, se soucieraient de recommencer leur vie, avec ses nombreuses souffrances, ses folies et ses tortures, à moins qu’il ne leur soit accordé d’y faire quelques changements?
Le plus sauvage des sauvages qui errent dans les bois et jusque dans les terres encore inconnues, regarde l’éternité avec la même joyeuse espérance que le sage de l’antiquité. Ce n’est pas à la mort elle-même que la terreur est inhérente, mais aux idées que nous y attachons. Éloignez-en votre esprit et portez-le vers le fait simple et plus elle perdra de sa tristesse à vos yeux.
C’est un égarement peu naturel de cet amour instinctif de la vie que Dieu a implanté en nous, cette manière ardente de se cramponner à l’existence que manifestent beaucoup de gens et la valeur exagérée qu’ils y attachent.
La vie est sans valeur, excepté si nous en usons pour perfectionner nos âmes, enrichir nos esprits des plus nobles qualités et répandre le bonheur autour de nous.
Quand nous ne pouvons plus agir ainsi; quand, dans un âge très avancé, toute espérance de pouvoir marcher dans cette voie nous est ôtée, alors cette vie a perdu son plus grand prix et une nouvelle existence devient désirable.
Un frisson glacé me saisit à la pensée de la mort, et chacune des fibres de mon corps semble lutter contre toute idée de dissolution et de séparation. Cependant, malgré la répulsion qu'éprouve tout mon être, JE DOIS MOURIR, C'EST LE SORT DE TOUT HOMME.
Pourquoi suis je venu sur la terre?
Pourquoi ne me familiariserais-je pas avec la mort comme avec la vie, puisque l’une et l’autre m’ont été départies sans ma volonté et sans que j’en puisse comprendre l’essence?
Il est établi que le moment de dissolution n’a en lui-même rien de terrible, que très peu de personnes en ont clairement conscience et que c’est l’imagination des survivants qui l’environne ainsi d’horreurs. Et cependant, même dans ce cas, ce n’est pas l’acte, mais la pensée de la mort qui semble si terrible.
Que serai-je, quand je n’appartiendrai plus à l’humanité?
Quand j’aurai été dépouillé de ma forme humaine?
C’est cette incertitude surtout ce qui nous est réservé qui nous remplit ainsi de terreur L’obscurité qui enveloppe l’avenir nous fait nous réjouir doublement de la vive lumière qui nous entoure; nous apprenons à apprécier ce que nous possédons et nous tremblons à la pensée de ce qui nous est familier pour un état que nous ne pouvons guère concevoir.
Si, dans sa sagesse, le Créateur nous eût accordé en cette vie la connaissance de ce nous devons trouver dans l’autre, très certainement la mort cesserait d’être une barrière, et un petit nombre d’entre nous seulement attendraient patiemment leur dernière heure.
Mais l’incertitude même dans laquelle nous sommes constitue le plus fort lien qui nous attache à la vie; l’impatient comme le frivole, que la moindre adversité suffit à plonger dans le désespoir, sont retenus par elle, et c’est elle seule qui les empêche de hâter le terme de l’épreuve qui leur est destinée.
C’est donc cette cruelle incertitude qui entoure la mort de tant de terreurs, qui fait que tous ceux qui ne sont pas privés de raison reculent devant elle. Pourquoi pleuré-je et pourquoi pleurez-vous, vous qui avez perdu des êtres chéris?
Plaignons-nous les morts de ce qu’ils ont dû quitter ceux qu’ils aimaient; quitter une vie qui leur a procuré tant de jouissances et leur en promettait encore tant d’autres?
Oh! vaine compassion! Pleurons-nous chaque soir sur ceux qui nous sont chers parce qu’ils se livrent au sommeil, ou bien sur nous-mêmes, au moment où nous allons nous reposer?
Mais quelle différence y a-t-il donc entre le sommeil et la mort?
Celui qui cède au sommeil, il est vrai, conserve l’espérance de se réveiller avec des forces nouvelles dès que le soleil se lèvera; tandis que pour le mourant l’espoir est moins proche. Mais à son réveil il retrouvera avant vous ces êtres chéris depuis longtemps perdus, partis avant lui, et il vous retrouvera même avant peu; car quelle est la durée de la vie la plus longue sur terre?
Demandez au septuagénaire, il vous répondra: «J’ai retenu si peu de chose de ma vie qu’elle m’apparaît à peine comme soixante-dix minutes d’un rêve d’une nuit d’été.»
Pourquoi donc pleurons-nous?
Le sommeil lui-même cause une séparation et la séparation dans la mort est-elle donc beaucoup plus longue? Mais cette incertitude elle-même n’est terrible qu’autant que la vie future paraît éloignée; à l’heure de la mort, elle change de caractère.
Alors c’est la vie que nous laissons derrière nous qui nous semble sombre et vague; tandis que l’avenir, avec sa vie nouvelle, est rendu plus radieux par la lumière de l’éternité.
L’homme qui meurt règle son compte avec le monde, une fois encore il répand ses bénédictions sur ceux qui lui sont chers, puis il se détourne de tout ce qu’il aime le mieux afin de s’enfermer en lui-même et de franchir la limite qui le sépare d’une existence plus heureuse.
Le passé n’a plus de charmes pour lui; il n’est plus attiré que par l’autre monde, sur le seuil duquel il se trouve.
Edouard VII
En avant 1910 05 21
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