Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

EN AVANT

ET

CRI DE GUERRE

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DÉDIÉ AUX JEUNES FILLES

CHOSES VÉCUES


Souvenirs de voyage. — À toute vapeur vers le centre de la France. — Les surprises d’une lecture. — Méfiez-vous des signatures. — Les remords d’une conscience honnête. Scrupule d’un libraire.


Il y a de cela quelque vingt ans. Je venais de terminer mes études, et après quelques jours de vacances passés dans ma famille, je retournais à mon travail. La sublimité de la vocation à laquelle j’avais consacré ma vie, m'apparaissait dans toute sa beauté.

Pleine des belles et nobles pensées dont on s’était efforcé de meubler mon âme et mon esprit, j’étais toute à la joie de les appliquer dans ma vie personnelle d’une part, dans celles dont la direction m’était confiée de l’autre. Dans mon jeune cerveau de vingt ans, les plans et les projets affluaient de tous côtés, tandis que j’arpentais le quai de la gare d’Orléans, où stationnait le train qui devait m’emporter.


* * *


Les voyageurs en voiture! Ce cri bien connu retentit... Un coup de sifflet strident....et... en route! Nous voilà partis.


* * *


Mon compartiment était bondé. C’était la perspective d’une nuit en chemin de fer, dans des conditions plutôt difficiles. La directrice de l’École dans laquelle j’exerçais, faisait le voyage avec moi. Personne d’expérience, noble cœur, tout en elle inspirait confiance. Elle tenait à la main deux livres, et comme elle désirait lire, elle m’en offrit un, non sans ajouter: «Je ne connais pas l’ouvrage, mais je me fie à la signature.» Sur ce, elle s’enfonça dans sa lecture, et me laissa à la mienne.


* * *


J’ouvris le volume et je commençai. Elle avait bien raison de se fier à la signature! L'ouvrage était un de ceux dont on peut dire qu'on se sent meilleur après les avoir lus, parce qu’ils fortifient la volonté, ennoblissent l’âme, incitent aux belles actions, parce que le devoir y triomphe toujours de l’égoïsme ou des mobiles mesquins et mauvais, quelque chose à la «Corneille» enfin. C’est tout dire en un mot!


* * *


Mais, hélas! il paraissait cela! Les premières pages étaient cela! Mais, cruelle désillusion, ma naïve confiance n’avait pas prévu le revirement. Tout d’un coup la scène changeait et, sous prétexte de peindre la réalité, le récit était devenu de ceux qu’une femme qui se respecte, ne lit pas. Rapide comme l’éclair, ma résolution fut prise:

Je fermai le livre et ne le rouvris plus. Ah! comme je bénissais Dieu d’avoir placé sur mon chemin, trois ans auparavant, une femme de coeur qui avait été pour moi une de ces belles âmes dont on n’oublie jamais l’influence, et dont l’impression produite demeure pour une vie.


* * *


Je me rappelle la scène comme si c’était hier. Un matin, elle était entrée dans notre salle d’études tenant à la main un petit volume de poésies d’un auteur du XIXe.

«Mesdemoiselles, dit-elle, voici ce qu'une femme qui se respecte peut seul lire de cet auteur.»

Et, avec toute la conscience du péril que couraient nos intelligences éveillées, avides de savoir, ELLE NOUS MIT EN GARDE CONTRE LE POISON D’UNE MAUVAISE LITTÉRATURE, nous invitant à nous respecter nous-mêmes et à garder notre esprit pur.


«Si vous êtes trompées par un titre, nous avait-elle dit, fermez immédiatement l’ouvrage dès que vous vous apercevez qu’il est mauvais. S’il vous appartient, brûlez-le afin de ne pas contaminer quelqu’un d’autre.»


* * *


Dans le sanctuaire de ma conscience, je pris alors la résolution, à laquelle je n’ai jamais failli, d’obéir a cette recommandation. C’était la première occasion qui m’en était donnée en cette nuit de voyage en chemin de fer.


* * *


La lecture de ma compagne de route devait être très captivante, car elle ne relevait pas la tête et ne se doutait en aucune manière de ce qui se passait en moi. Il était trois heures du matin quand nous arrivâmes à destination.

Fatiguées, songeant à la classe qui nous attendait quelques heures plus tard, nous nous séparâmes. Le lendemain après-midi, ma directrice vint vers moi d’un air solennel. Elle me prit à part et me dit avec un accent de regret où se peignait l’intensité du repentir d’une âme qui avait failli être l’occasion d’en perdre une autre:

«Mademoiselle, excusez-moi, je vous prie; je ne savais pas ce qu’était cet ouvrage que je vous avais prêté cette nuit. Je me suis fiée à la signature. J’y ai jeté un coup d’œil tout à l’heure et j’en suis navrée. Voulez-vous me pardonner?Je ne savais pas ce qu’il était.»

Son émotion m’avait gagnée. Je fis de mon mieux pour la calmer et la rassurer. Un mot suffisait du reste:

«Madame, lui dis-je, je n’ai pas lu ce livre. Dès que je me suis aperçue de sa nature, je l’ai fermé, fidèle en cela à une résolution prise à telle époque», et je lui racontai ce que je viens de vous dire.

Un soupir de soulagement accueillit ma réponse. Elle me serra la main avec effusion. Sa conscience était libérée du poids qui l’étouffait.


* * *


Qu’en est-il, de toi ami lecteur?

Jeunes filles qui lisez ces lignes, au nom de ce que vous avez de plus cher, au nom de votre âme immortelle.

PRENEZ GARDE À VOS LECTURES!

Vous qui prêtez des livres, veillez avec un soin jaloux sur ce que vous faites et ne conseillez jamais à quelqu’un une lecture dont vous n’êtes pas sur et qui peut tuer une âme!

Mères de famille, que vos enfants ne trouvent jamais chez vous une lecture qui leur fasse du mal et pour cela n’en lisez pas vous-mêmes.

Et maintenant un dernier mot dédié aux libraires, s’il s’en trouvait parmi nos lecteurs. Écrire un livre est un sacerdoce, s’il est bon; mais c’est aussi un assassinat, s’il est mauvais.

Le vendre, c’est assumer la même responsabilité, comme l’avait si bien compris le libraire qui exprimait ainsi à son ami ses scrupules au sujet d’ouvrages qu’il avait vendus: «Une jeune institutrice qui m’avait acheté... est venue me confier son désappointement (Encore une qui avait été trompée par le titre.).

Elle m’a même marqué sa confusion d’avoir rencontré de-ci de-là des scènes un peu trop brutalement «vécues» et j’ai compris mieux que jamais que le libraire a, lui aussi, «charge d’âmes» et je me suis reproché de n’avoir pas, connaissant l’acheteuse et connaissant l’ouvrage, pris soin de prévenir cette jeune fille que... n’était point, dans toutes ses pages, un livre d’école.»

Oh! Prenons garde à ce que nous lisons, à ce que nous faisons lire, à ce que nous vendons pour lire. La question est grave. Réfléchissez-y!

En avant 1910 04 30



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